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Amelyn - dimension zombie- Chapter #1
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Elle n’a pas protesté et, en silence, je l’ai remerciée. Je n’avais pas envie d’affronter ma lâcheté alors que j’abandonne mon père à son sort au profit de mon confort. Je n’avais pas non plus envie d’ajouter une explication supplémentaire. J’ai préféré guider Raelyn jusqu’à mon ancienne chambre sans m’inquiéter de ce que ça renverrait en information sur moi à cette presque inconnue. Comme si les vieux posters qui la tapissent et que l’obscurité empêche de distinguer (du moins pour le moment) était l’important. M’endormir, paisiblement, l’était bien davantage. Je me suis débarrassé de mon jeans, me suis glissé dans la couette – elle sent bon la lessive. Ma mère les changeait toujours visiblement – et j’ai ouvert mes bras à Raelyn. Cette attitude-là non plus ne me tracasse pas. Qui, au vu de cette nuit, me jugerait de chercher du réconfort en son sein ? Elle n’est plus vraiment mon ennemie. L’a-t-elle déjà été d’ailleurs ? Je me souviens m’être laissé bercer par sa respiration jusqu’à sombrer dans le sommeil du guerrier, celui trop agité qui ne permet pas de récupérer. J’avais mal partout lorsque j’ai ouvert les yeux. Elle, elle dormait toujours et j’ai pris toutes les précautions d’usage pour ne pas la déranger. Je me suis assis sur le bord de mon lit, considérant que cette fois, il était temps que je passe par la salle de bain. Sauf que je n’ai pas trouvé assez de force. Un bruit étrange m’a arrêté. Un fracas qui m’a envahi de peur. Attentif, j’écoute. J’essaie de reconnaître le son familier de la voix de mon père. Je ne perçois plus grand-chose, moins encore dès lors que Rae m’interpelle. « Chuuuttt… » lui ai-je demandé, concentré. Je répondrai à ses questions, mais plus tard. « J’ai entendu un truc, mais j’ai dû rêver. » La vérité, c’est que je suis sur le qui-vive et que je pressens que je ne serai plus jamais serein à l’avenir. « Tu disais ? » Elle a répété la question. J’ai souri, plus tristement que je ne l’aurais souhaité, envahi par la nostalgie. « Ouais. Ça remonte maintenant. » Une bonne vingtaine d’années maintenant. Dieu qu’elle est loin cette période bénie des dieux. « On va descendre oui, mais je vais aller prendre une douche avant. Je me dégoûte. » Car à défaut d’être en pleine forme, je suis resté lucide. « Tant que ça ne s’agite pas, tu ne crains rien ici. Mais, ferme derrière moi. Tu m’ouvriras. » J’ai enfin bougé, loin d’être tranquille, mais toutefois rassuré par le silence au salon. « On prendra le temps de manger aussi. Parce que je crève la dalle. » Le frigo devait être plein. Nous n’aurions pas à attaquer nos vivre et c’était plutôt une bonne nouvelle. « ça va aller ? » Je n’ai pas eu l’idée de lui demander si elle avait dormi. Je ne suis pas causant le matin en général. La situation relevait de l’exceptionnel cependant.

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- premiers jours de l'épidémie

Je ne me suis jamais sentie gênée de me réveiller dans les bras d’un homme et il ne s’agit pas de ça, mais c’est étrange, le souvenir de son corps contre le mien avec pour seule vocation de me rassurer. Je ne suis pas habituée à dépendre de quiconque est durant ces dernières heures j’ai dépendu de lui comme de j’ai jamais dépendu de personne. Je détesterais cette idée si les circonstances étaient normales, sauf qu’elles ne le sont pas et que je puise dans sa présence plus de sérénité que je ne retire de crainte et de honte l’idée d’être dépendante. « Chuuuttt… » Je me frotte péniblement les yeux et je me redresse, les battements de mon coeur déjà boostés à l’idée qu’il ait pu entendre quoi que ce soit, un danger surtout.Non, pas déjà, pas tout de suite.« J’ai entendu un truc, mais j’ai dû rêver. Tu disais ? » Mal assurée je répète, et les regards que je jette à présent autour de moi n’ont plus vocation à observer la décoration de sa chambre d’adolescent mais bien à repérer un potentiel danger. « Ouais. Ça remonte maintenant. »

Je replonge mes yeux dans les siens, un sourire sur les lèvres. Il me font sourire ces posters, ils me permettent d’oublier un instant le bordel qu’est devenu notre existence en moins de dix heures. Ces créatures ne sont pas qu’un mauvais rêve, je ne me berce plus d’illusions. « On va descendre oui, mais je vais aller prendre une douche avant. Je me dégoûte. » Je hoche la tête. « J’en prendrai une après toi. Tu as approché la voiture ? Je me suis permise de prendre un t-shirt au hasard dans la première chambre hier, mais j’ai besoin de vêtements propres. » Il se lève, et mon coeur rate un battement. Ce n’est pas le moment d’être effrayée pour un rien dès lors qu’il quitte mes côtés. Il semble lire dans me yeux, puisqu’il me rassure. « Tant que ça ne s’agite pas, tu ne crains rien ici. Mais, ferme derrière moi. Tu m’ouvriras. » M’enfermer ? Je hoche la tête sans réfléchir, sans prendre la mesure de ce que cela dit de notre nouveau quotidien. « On prendra le temps de manger aussi. Parce que je crève la dalle. Ca va aller ? » J’hésite un instant et secoue la tête. « Bien sûr que ça va aller. T’es sûr que tu veux pas aller… Aller le voir. » Il secoue la tête et quitte la pièce. Moi je me ronge les ongles en l’attendant, et n’arrive pas à me concentrer sur autre chose que son absence. Que le fait que je suis seule dans la pièce.

Au bout d’une vingtaine de minutes, il me semble entendre un grognement. « Amos ? » Je n’entends pas de réponse, mais les grognements se rapprochent et j’entends une sorte de vacarme. Des objets, je ne sais lesquels, semblent tomber au sol. Des bruits de lutte ? « Amos ? » Je pousse un soupir, avant de tourner la clé dans la porte.

Et s’il avait besoin de moi ?

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Je me souviens avoir balisé tout du long du trajet – somme toute très court – entre l’endroit nous avons stationné la voiture jusqu’à l’allée de la demeure de mes parents. J’avais eu peur d’attirer quelques voisins transformés en zombie. Vu mon état émotionnel, je n’aurais pas été certain d’être capable de me défendre efficacement si plus de trois m’avait surpris durant ce déplacement. Sauf que le destin avait choisi d’être clément au vu de l’épreuve que j’étais en train de traverser. Je venais d’enterrer ma mère. Mon père était souffrant. Je n’ai même pas trouvé la force de me doucher avant de me coucher ce qui n’arrivait jamais. J'avais hâte, mais je pris soin de confirmer par trois hochements de tête en direction de Raelyn qu’elle aurait des vêtements propres, que je lui céderais la place sous la douche et que j’étais certain de ne pas avoir envie de descendre veiller mon père dans la seconde. C’est lâche évidemment. Je me retiens à cause de la peur de ce que je vais trouver au salon. Sauf que c’est lui qui m’a surpris sur le palier, juste après ma douche, avant que je n’aie le temps de pousser la porte de mon ancienne chambre. « ça va ? J’allais justement descendre. » ai-je chuchoté pour ne pas éveiller la curiosité de Raelyn. Si mon vieux père était sur le point de muter, si ses pas l’avait mené à moi pour chercher du réconfort à son effroi, je n’avais pas envie de l’exposer. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Il me confia d’une voix pâteuse qu’il avait mal, qu’il ne sentait plus sa jambe – il boîtait. Je n’osais imaginer l’effort surhumain qu’il a déployé pour grimper les marches – et qu’il avait chaud et froid à la fois. « Je n’ai pas trouvé les antidouleurs sur la table. » Ils y étaient pourtant. J’en avais préparé un avant de monter, juste à côté du verre d’eau. Perplexe, mais aimant, j’ai ignoré les signaux de mon cerveau qui me suppliait d’être prudent. Je ne saurais pas non plus expliquer pourquoi je l’ai invité à me suivre dans la salle de bain alors que je ne suis armé que d’un vieux survêtement appartenant à mon frère. Dans le bon droit, j’aurais au moins emporté le couteau. J’ai manqué de prudence et il fut presque trop tard lorsque j’en ai pris conscience. Mon père chuta entraînant avec lui le porte-serviette. Je l’ai appelé le timbre faiblard. Je me suis jeté sur son poignet pour prendre son pouls. Il est tombé raide mort et je suis resté là, médusé, complètement paralysé à l’idée d’avoir perdu mes deux parents sur une nuit, à le supplier mentalement d’arrêter les conneries. En réalité, j’étais aveuglé par le chagrin, assailli par tout ce que j’ai refoulé en émotions. Je suis demeuré là, paralysé, jusqu’à ce qu’il grogne et qu’il se jette sur moi, tout croc dehors. Sans mon instinct de survie surentraîné, j’aurais été incapable de me défendre, incapable de faire fit de l’identité réelle de mon assaillant. Il manqua de me mordre plus d’une fois. La bataille fut rude. Je l’ai remporté sans y trouver le moindre soulagement parce que la bête fut attirée par Raelyn qui me hélait. Elle a tourné la tête dans sa direction et j’en profitai pour lui enfoncer le vieux peigne à cheveux en métal de ma mère dans l’oreille. Ce fut instantané. Il m’a écrasé de tout son poids, inerte, sans vie. Je me suis dégagé tel un fou furieux et je me suis réfugié dans le fond dans la pièce, abattu par le chagrin, sans même envisager de rassurer Rae alertée par les bruits.

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Devant la porte, j’hésite un instant. Il m’a dit de ne pas bouger et je suis également intimement persuadée qu’il a ce qu’il faut pour être capable de se défendre, mais s’il était surpris ? Si, sous la douche il était attaqué alors qu’il est complètement désarmé. J’entends des grognements, je ne peux pas ne pas les reconnaître, ils deviennent malheureusement douloureusement familiers. Il y a une de ces choses à l’étage ? Son père ? Quelqu’un d’autre qui était hier soir en train de mourir dans sa chambre ? J’accélère jusqu’à la porte et je tourne la clé, avant de balayer le couloir du regard et de me diriger vers la salle de bain. Je réalise en chemin que je ne suis pas armée, que je ne pourrais pas aider Amos s’il est dans une mauvaise posture, et j’attrape la première chose qui me tombe sous la main, une espèce de statue religieuse en cuivre.

Il a besoin d’aide vraisemblablement, mais pas de ce genre. Il est assis par terre à côté du corps de son père, inanimé. Je n’ai pas besoin d’aide pour comprendre ce qu’il s’est passé. Il l’a attaqué, certainement, Amos ne l’aurait jamais blessé sans ça. Il a l’air abattu, et le voir dans cet état me pince le coeur. Nous sommes donc à présent seuls dans la maison, que convient-il de faire ? Nous terrer ici ? Nous enfuir ? Je continue à penser que nous sommes trop près de la ville encore, que nous devrions rouler dix heures sans nous retourner. Nous avons des provisions, assez pour tenir plusieurs semaines, le temps que tout ça se tasse. Ici, dès que les gens auront compris et fuiront la ville, nous risquons d’être attaqués par toute sorte de malades. « Amos ? Tout va bien ? » Est-il blessé ? Pire, a-t-il était mordu ? « T’es pas blessé ? » Je m’agenouille à son niveau en jetant un regard méfiant en direction du corps mais, pas de doute, il est bien mort. « Faut te sortir de là... » Je n’imagine pas comment il se sent. Mes parents n’ont pas la moindre importance pour moi mais ce n’est pas le cas du brun, et il de perdre les deux d’un coup. Il faut le débarrasser de tout ce sang aussi. « Y’a une autre salle de bain ? » Ce que je sais c’est qu’il faut qu’il se ressaisisse, cela peut paraître violent mais il n’a pas le luxe de faire son deuil.

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Hagard, je n’ai pas entendu Raelyn arriver à ma rescousse. Je n’ai vu que son ombre recouvrant le corps inanimé de mon père. J’ai relevé les yeux vers elle, mais je n’ai pas trouvé la force de me relever, de parler, d’expliquer comment il m’a surpris au milieu du couloir, malade, mais pas encore mort. Je n’ai pas réussi à lui confier qu’il s’était effondré et réveillé en moins d’une minute. J’ai assommé par la peine, mais également choqué par ce dont je venais d’être témoin. Je ne suis même pas certain d’avoir dodeliné de la tête pour la rassurer avant qu’elle ne souligne l’urgence. Je dois me secouer les puces, me gifler mentalement, me laisser prendre par la main par le militaire que je suis, que j’ai toujours été, vétéran ou non. « Non. Je ne suis pas blessé. » ai-je fini par prononcer, mollement, en la suivant du regard tandis qu’elle s’agenouille. « Et oui, dans la chambre de mes parents, ils ont une salle de bain. » Je me suis redressé en prenant appui sur la baignoire. Mes jambes me supportent mal : ce que je ne peux exprimer par les larmes, c’est mon corps qui le prend sur lui. « Je n’ai pas compris ce qui s’est passé. Je… » tentais-je d’expliquer sans grande conviction. Je suis hagard. C’est un miracle que je parvienne à empiler les mots pour construire des phrases cohérentes.

Ouvrir la porte de la “suite parentale“ m’a déchiré le cœur. Raelyn, sur mes talons, n’ose pas me laisser seul – ou l’être elle-même – et je le comprenais. Je saisissais toute l’ampleur de la précision. « On ne peut pas rester ici. On ne peut plus. » avançais-je les mains posées sur le bord de l’évier, un évier maculé du sang de mon père. En réalité, c’est moi qui n’en suis pas capable. Tout comme j’ai perdu toute envie de partir en quête de mon frère ou de mon ex-femme. Je ne supporterais pas qu’ils aient été transformés et d’avoir à les exterminer comme on le fait avec des engeances. « Je suis désolé, Rae. Je pensais qu’on trouverait un lieu sûr en venant ici. » Une terre d’asile où nous pourrions prendre le temps d’évaluer la situation et de mettre au point un plan d’attaque ou de défense ou d’attendre l’intervention des militaires du pays par exemple. Je peinais à croire que l’Australie nous abandonne à notre propre sort. «Mais là… ce n’est pas…pas ce que j’espérais. » Conclus-je en ôtant mon t-shirt propre. Je l’ai lancé dans la bannette par réflexe, mais plus personne ne le laverait. Il n’y aurait plus jamais de vie dans cette maison. Elle n’est plus que mort et tombera en décrépitude, comme mes rêves d’avenir. « Et j’ai manqué de prudence en plus. Je… » J’aurais pu la mettre en danger quand j’ai pourtant besoin d’elle. A deux, on va plus vite et plus loin…

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Je n’ai jamais vu Amos comme ça. Il me semble désemparé et fragile et, s’il ne pleure pas, j’ai la sensation que tout son corps exprime tout de même toute sa détresse, toute sa tristesse : tout son deuil. Mais même si je suis peinée de le voir dans cet état, je réfléchis surtout de façon pragmatique : je ne peux pas me permettre de perdre mon meilleur atout dans tout ce bordel. Il doit tenir le coup. « Non. Je ne suis pas blessé. Et oui, dans la chambre de mes parents, ils ont une salle de bain. » Je ne peux m’empêcher de d’ausculter moi même ses bras nus, son cou, n’importe quelle surface de peau dévoilée et susceptible d’avoir été mordue. Il se redresse, et j’en fait de même. Je me relève mais ne lui offre pas mon bras pour qu’il s’y appuie : je suis consciente que ce serait potentiellement insultant, que Amos a trop de fierté pour accepter ça sans se fissurer. « Je n’ai pas compris ce qui s’est passé. Je… » Moi j’ai compris. Il a été mordu. C’est la suite logique du mauvais film post apocalyptique dans lequel nous semblons coincés : la morsure qui transforme en l’une de ces créatures. Je ne veux pas paraître insensible, alors je me tais. Je ne me permets qu’un « Je suis contente que tu ne sois pas blessé » d’un ton encourageant.

Il clopine jusqu’à la chambre de ses parents, et sa douleur est palpable alors que nous pénétrons dans la pièce. « On ne peut pas rester ici. On ne peut plus. » ll s'appuie contre l’évier, et moi je ne sais où me mettre, que faire ou que dire : comment agir face à quelqu’un qui vient de perdre ses deux parents, et d’ôter la vie à son père ? « Je suis désolé, Rae. Je pensais qu’on trouverait un lieu sûr en venant ici. Mais là… ce n’est pas…pas ce que j’espérais. Et j’ai manqué de prudence en plus. Je… » Il ôte son t-shirt et finalement, j’ose m’approcher, je fais quelques pas à l’intérieur de la pièce, et j’allume doucement le robinet. « Hey t’y es pour rien ok ? » J’attrape le gant qui traîne là, le passe sous le jet d’eau avant de relever les yeux vers lui. « Tu veux que je t’aides ? » Il ne doit pas perdre pied. « C’est pas ta faute. Moi aussi j’espérais trouver un endroit sûr ici. » Je pousse un soupir. « Je crois qu’il faut prendre aucune décision hâtive. » Il faut qu’on mange, qu’on boive des litres d’eau et peut-être même que l’on dorme quelques heures de plus. « Mais je pense aussi que t’as raison. On est encore trop près de Brisbane, il faut pas rester là. » Et si l’armée finissait par bloquer les voies rapides ? Les sorties des villes ?

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Je ne m’insurge pas dès lors qu’elle palpe et détaille toute partie de mon corps que mon père aurait été susceptible de mordre. Mon abattement aurait pu exiger qu’elle m’accorde du temps pour encaisser, qu’elle me fasse de l’air que je puisse réapprendre à respirer quand chacune de mes inspirations est douloureuse. Dans mon torse, ça brûle. Ma gorge est tellement serrée que je ne reconnais plus ma propre voix lorsque je la rassure, car mon but est là dès lors que je l’autorise à vérifier d’elle-même que physiquement je vais bien. Quant aux raisons qui m’empêchent de lui demander de me laisser seul, c’est que je n’ai pas envie de l’être. Je redoute mes réactions. Je crains de m’effondrer et de ne plus trouver la force de me relever. Je ne peux pas l’avouer cependant. Je ne peux pas prendre le risque que Rae doute de moi. Il est important qu’elle sache que je suis solide – ou que j’arrive à l’en convaincre – pour qu’elle le soit aussi. Alors, dans ces conditions, nous pourrons perpétuellement compter l’un sur l’autre. Donc, je feins. Je feins d’être plus fort que le deuil qui se prépare doucement, mais lentement. J’en suis toujours au stade du déni. C’est plus facile de faire semblant et d’accepter que je ne suis touché par la délicatesse de ma partenaire. Elle ouvre le robinet, s’empare d’un gant de toilette et se propose de m’aider à me débarrasser mon visage et mes bras des traces de mon parricide. Jamais je ne l’aurais attendue là et j’en suis abasourdi. Mes yeux ne s’écarquillent seulement à cause de l’affliction. Ils brillent également d’effarement et de gratitude. J’ignore pourquoi j’ai hoché la tête. Je ne saurais pas non plus expliquer pourquoi je suis resté là, à la regarder faire sans l’écouter. Ce que je sais, c’est qu’au terme de son entreprise, je l’ai prise dans mes bras sans me soucier d’être pathétique. Mon visage enfoui dans son cou, j’ai serré si fort que j’aurais pu lui couper la respiration. « Merci. » ai-je chuchoté, relâchant la pression de mon étreinte pour mieux l’observer. Mon regard darde sur ses lèvres et, sans crier gare, je l’ai embrassée, sagement, bien plus qu’avant d’être monté dans la voiture, le soir précédent, avant que tout ne parte à vau-l’eau. « Je vais m’occuper de mon père. Pendant ce temps-là, si tu veux, tu peux… fouiller dans les placards et le frigo, il doit y avoir de quoi faire. Ma mère a pris l’habitude de cuisiner pour des grandes tables. Mais tu peux… tu peux prendre une douche avant évidemment. » Je profiterai de ce moment de solitude pour refouler toute ma peine, histoire de pouvoir dormir un peu sans souffrir de la culpabilité.

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Il me dit oui de la tête, alors je commence doucement à essuyer sa peau. Nous restons silencieux l’un comme l’autre alors que je passe le gant sur son torse, sur ses bras, alors que je frotte son cou et son visage pour débarrasser sa barbe de trace de sang. On entend que le son de notre respiration, de l’eau qui goutte à chaque fois que j’essore, je rince, et j’essore de nouveau jusqu’à ce que l’eau soit claire. Amos ne doit pas flancher, c’est tout ce que je sais, je ne peux pas survivre seule en ces circonstances et avec lui à mes côtés, je me sens protégée. Je sens ses pupilles braquées sur moi tandis que je m’affaire, mais je ne cède pas à l’envie de relever mon visage pour le braquer dans le sien. Je me concentre à faire disparaître jusqu’à la dernière tâche de sang et ce n’est que lorsque je termine, que je dépose le gant, que j’ose enfin affronter son regard. Il brille d’une reconnaissance nouvelle, et alors que je ne m’y attendais pas, il m’attire à lui pour me serrer contre son torse et enfouir sa tête dans mes cheveux. Là, il me chuchote même sa gratitude dans le creu de l’oreille. « Merci. » Je ne sais quoi répondre. Je ne suis pas une tendre, je ne suis pas de celle qui tendent la main sans rien espérer en retour habituellement, alors je n’ai pas l’habitude que l’on me remercie de la sorte. Je lui adresse un léger sourire encourageant alors que nos corps se séparent, mais sans que je m’y attende, il scelle nos lèvre d’un baiser. Il est doux. L’une de ses mains passe dans mon cou mais aucune ne s’aventure plus lui, et ce baiser là a le goût de la tendresse, de la gratitude. C’est une caresse sur mes lèvres plus qu’un baiser passionné, et je crois que moi aussi, ça me réconforte. Je ne dis rien lorsqu’il éloigne son visage du mien et que sa main quitte ma nuque. Je me contente de ne pas le lâcher des yeux. « Je vais m’occuper de mon père. Pendant ce temps-là, si tu veux, tu peux… fouiller dans les placards et le frigo, il doit y avoir de quoi faire. Ma mère a pris l’habitude de cuisiner pour des grandes tables. Mais tu peux… tu peux prendre une douche avant évidemment. » Je hoche la tête. « Je vais faire ça, et j’irais fouiller les placards après. » Je ne commente pas sa tâche à lui, je sais qu’il a besoin d’être seul pour le faire et je sais qu’il n’a pas envie d’en parler. Au contraire il l’aurait fait, ce n’est pas à moi de le forcer. Alors je me débarrasse de mon t-shirt et de mon sous-vêtement sans me soucier de son regard, et je disparais derrière le rideau de douche pour me glisser sous l’eau chaude. Je profite de sa morsure sur ma peau quelques minutes, comme si j’espérais qu’elle fasse disparaître le reste. Une fois lavée, j’enfile mon jean qui a séché depuis la veille ainsi que le t-shirt trop large dans lequel j’ai dormi. Mon débardeur à moi est encore maculé de taches de sang qui ne sont pas parties au lavage.

Je descends dans la cuisine, et entreprends alors de fouiller les placards. Je dépose sur la table d’un côté tout ce qu’il convient d’emmener, et de l’autre tout ce qui est frais et qui nous servira à faire un vrai festin ce matin, et potentiellement préparer quelque chose pour ce soir. Quand il revient, je ne lui parle pas de l’enterrement de son père, je tente d’occuper ses esprits avec autre chose. « Je me suis contentée de tout sortir mais il faut pas espérer grand chose de plus de ma part, je suis une piètre cuisinière. » Je lui montre les provisions sèches, celles qui se conservent du bout du menton. « Tout ça on peut l’emporter. Y’a des bouteilles d’eau quelque part ? » Je n’en ai pas trouvées dans le garde manger, au garage peut-être ?

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Ce fut un baiser chargé de reconnaissance et sans aucune prétention, un baiser qui m’a réconforté et qui m’a rendu un peu de mon courage. J’en aurais besoin alors que j’avais l’impression d’être coincé dans un seul et unique jour qui n’aurait pas de fin. Aussitôt lavé, aussitôt souillé. Ma mère à peine enterré que j’aurais à reproduire les mêmes gestes, pour mon père. Son corps git toujours au milieu du hall de nuit. Dépourvu d’autres solutions, je l’avais abattu pour ma survie, mais la consolation est maigre. Plus tard, une fois seul, je sais que je me détesterai d’avoir été incapable de le sauver jusqu’à apprendre à me conforter dans l’idée que j’étais arrivé trop tard, que je n’aurais rien pu faire de plus, que pour guérir un blessé, il faut savoir de quoi il souffre. Et, c’est précisément là que le bât blesse. Je n’en sais rien. Je n’ai en poche que des suppositions effrayantes qui me conduiraient volontiers vers l’inaction jusqu’à ce que la douleur me vole toute forme de combattivité. Sans Raelyn, je n’aurais probablement pas songé à partir le plus rapidement possible. J’aurais attendu que le train passe et m’emporte à mon tour. Je me sentais néanmoins responsable de cette femme qui ne me quitte pas des yeux. Pourquoi ? Difficile à expliquer. Sans doute parce qu’elle ne m’a toujours pas quitté des yeux et qu’ils semblent me hurler : « Tiens bon. » Je l’ai fait. Je me suis fié à son jugement et j’ai réfléchi utilement. Je n’ai pas distribué les ordres, j’ai proposé et je me suis éclipsé pour accomplir une tâche des plus ingrates. J’ignore combien de temps l’ouvrage m’a tenu occupé. Pour ce que j’en sais, je l’ai accomplie méthodiquement, mais en proie à des émotions qui m’ont bouleversés et que j’ai rincée à l’aide d’une bouteille d’alcool que j’ai pioché dans le bar de mes parents. La boisson m’a insufflé la force dont j’avais besoin et si je mentirais en prétendant que j’ai rejoint la cuisine plus léger et complètement sobre, j’étais néanmoins en état de fonctionner jusqu’à ce que la culpabilité me surprenne à nouveau, le plus tard possible, du moins je l’espère. De son côté, Raelyn avait été productive. Elle a trié les biens périssables des autres en deux tas et je lui ai adressé un sourire triste, mais toutefois sincère, devant le résultat. « Si on m’avait dit que je trouverais un jour dans la cuisine de mes parents, j’aurais trouvé ça hilarant. » Plus encore pour la vider. « Il y a probablement des litres d’eau à la cave. Je vais remonter les packs et je m’occuperai du reste. » De cuisiner puisque son sous-entendu ne soulève aucun doute : elle ne sait pas faire et je crois que ça me convient très bien comme ça. En plus de m’occuper l’esprit, le semblant de normalité qui découlera du bruit de la viande qui cuit dans une poêle et des légumes qui fondent dans une fondeuse me fera peut-être oublié que l’atmosphère est apocalyptique. « Alors, tu veux quoi au menu ? » Elle avait fait l’inventaire. Elle était plus susceptible de m’aiguiller alors que j’ai les mains et le visage salis de terre. « Je vais monter… me laver….et me changer… encore… » ai-je finalement conclu en ricanant. L’absurde de cette ère nouvelle n’a rien d’amusant, mais vaut mieux rire qu’en pleurer, non ? « Tu as genre, très faim, ou tu peux patienter encore un peu ? »

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Ce baiser est étrange, surprenant mais je crois qu’il me fait un bien fou. Je crois que, après une nuit entière passée à me tourner et me retourner, la peur au ventre, et la réminiscence des souvenirs de la veille me hantant, j’avais simplement besoin d’un peu de tendresse moi aussi. Je n’ose pas rompre le silence quand ses lèvres se détachent des miennes et sa main de mon cou, si bien qu’il demeure quelques secondes. Quelques secondes de flottement avant que la réalité ne nous rattrape. Finalement, je le regarde se diriger vers la pièce où se trouve toujours le corps de son père d’un air abattu. Mon cœur se serre, mais je n’ai pas le temps de m’y attarder si bien que je m’active rapidement, profitant quelques secondes de l’eau chaude qui coule le long de ma peau avant de descendre au rez-de-chaussée.

M’activer me fait du bien, alors que je trie les denrées périssables du reste je ne pense plus ou moins à toutes nos péripéties de la veille. Quand Amos reviens vers moi, le front moite et les avant-bras tachés de terre je ne fais pas la moindre remarque. « Si on m’avait dit que je trouverais un jour dans la cuisine de mes parents, j’aurais trouvé ça hilarant. » Un léger sourire sur les lèvres, je relève la tête vers lui. « Si j’avais su cuisiner, le tableau aurait été plus cocasse. » Incertaine quant à la conduite à adopter face à un homme qui vient d’enterrer ses deux parents, je l’observe et l’écoute avant d’agir et de parler. Je reste factuelle, préférant m’aventurer sur le sujet de nos provisions plutôt que de revenir sur ses états d'âme : ils ne concernent que lui. Il s’ouvrira à ce sujet s’il le souhaite. « Il y a probablement des litres d’eau à la cave. Je vais remonter les packs et je m’occuperai du reste. » Je hoche simplement la tête. « Alors, tu veux quoi au menu ? » J’observe ce que j’ai autour de moi avant de hausser les épaules. « Je crois que je pourrais avaler n’importe quoi. » C’est seulement maintenant que je réalise que nous n’avons pas mangé depuis des heures. « Je vais monter… me laver….et me changer… encore… Tu as genre, très faim, ou tu peux patienter encore un peu ? » je secoue la tête. « Non bien sûr, vas-y. » Je m’approche de lui et pose ma main sur son avant-bras. Je le presse doucement entre mes doigts avant de retirer ma main. Je détache mon regard du sien avant de me rediriger vers la table. « Je vais commencer à charger la voiture en attendant. »

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Mon sourire morose s’étire alors que je l’imagine derrière les fourneaux. C’est bien plus étonnant qu’une Raelyn se mitonnant, soir après soir, de bons petits plats. Pour qui ? C’est une célibataire endurcie. Je ne cuisine plus depuis que Sarah m’a chassé. Aujourd’hui, dans cette cuisine, c’est elle que je m’extirpe de la tête avec violence. Je n’ai ni l’envie ni le temps de me tracasser pour elle. « Oui. Je te l’accorde, même si j’aurais dit étrange plutôt. » Comme tout ce qui se joue à l’extérieur, tout autour de nous, et qui nous fit oublier ô combien nous avons faim, tous les deux. Elle y fait allusion et moi, mon estomac se réveille brusquement. Il gronde, mais je ne pourrai ni cuisiner ni manger avec cette odeur de crasse et de terre humide sur le corps. Alors, j’annonce que je monterai les packs d’eau plus tard, après m’en être débarrassé de l’odeur. J’annonce et, tandis qu’elle m’arrête, je me prépare à ce qu’elle me chante une litanie de quelques mots du genre : « mes condoléances » ou « je suis désolée. » Je n’ai jamais rien compris à la première formule. Quant à la seconde, elle n’aurait rien arrangé, si bien que je crois l’avoir priée du regard de ne rien dire du genre. Rien qui me rappellerait que j’ai mal. Rien à part ce regard qui accompagne cette pression sur mon avant-bras. Cette fois, je déchiffre : je suis là. Ça me va mieux, bien mieux que les risques qu’elle a l’intention de prendre. « Non. » ai-je ponctué vivement. « Ne le fais pas toute seule. » Pas parce que c’est lourd et éreintant, mais parce que c’est dangereux. « Depuis qu’on est arrivés, j’ai passé plus d’heures à l’extérieur qu’à l’intérieur et je ne veux pas que tu y ailles toute seule, même si c’est dans l’allée. » Elle est longue. On ne voit pas vraiment le bord de la route, mais qui sait ce qui pourrait la surprendre ou l’effrayer. « Dehors, tout ce que tu entendras te donnera l’impression que tu es en danger. Tu interpréteras chaque bruit. Tu les entendras partout. » Et par ce pronom, je désigne ces créatures. « Je le sais, je l’ai vécu et je te promets que tu as l’impression, à chaque instant, que tes nerfs sont sur le point de te lâcher. » J’arguais par ailleurs qu’il n’était pas utile d’avoir perdu ses parents pour que le sang-froid nous fasse faux bond. « Je sais que tu as besoin de te rendre utile, mais promets-moi que tu ne bougeras pas de là. » Que tu ne prendras pas de risque inconsidéré, ajoute mon regard revendicateur. « Promets-le où je vais être obligé de traîner jusqu’à la chambre et de t’y enfermer. »

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- premiers jours de l'épidémie

La fin du monde ne fera pas de moi une cuisinière aguerrie. Je voudrais réussir à me rendre utile mais je suis bien incapable de savoir ce dont Amos a besoin. Que puis-je faire pour l’aider et soulager ainsi un peu de sa peine ? Je ne suis pas une grande empathique, mais sa douleur palpable me brise le cœur. Les règles d’hier ne sont plus les règles d’aujourd’hui, et dans ces circonstances je me contrefiche de pouvoir passer pour une femme sensible. Hier j’ai failli fondre en larmes en attrapant mes genoux et en me secouant d'avant en arrière. À partir de là, ai-je vraiment encore des apparences à sauver ? À partir de là, du moment où j’ai eu à enfoncer un couteau dans le crâne de sa mère, je veux simplement m’assurer qu’il ne flanche pas. Ma survie est intimement liée à sa santé mentale. « Oui. Je te l’accorde, même si j’aurais dit étrange plutôt. » Son sourire s'élargit et je l’imite.

Je m’approche de lui et tente de lui communiquer mon soutien d’une simple pression sur son bras. Je ne sais pas s’il a envie d’entendre des paroles encourageantes de ma part mais incapable de trancher je me contente d’un simple geste, d’un effleurement. Il ne répond rien mais je crois lire de la reconnaissance au fond de ses yeux. « Non. » Je relève brusquement les yeux vers lui. « Ne le fais pas toute seule. » Je fronce les sourcils. « Depuis qu’on est arrivés, j’ai passé plus d’heures à l’extérieur qu’à l’intérieur et je ne veux pas que tu y ailles toute seule, même si c’est dans l’allée. » je l’observe un instant cherchant à deviner le fond de sa pensée. Je n’aime pas l’idée que l’on me dicte ma conduite, mais je le soupçonne de se sentir investi de ma protection. « Dehors, tout ce que tu entendras te donnera l’impression que tu es en danger. Tu interpréteras chaque bruit. Tu les entendras partout. » Je frissonne alors que les images de la veille me reviennent. « Je sais que tu as besoin de te rendre utile, mais promets-moi que tu ne bougeras pas de là. » Je penche la tête sur le côté et l’observe un instant. « Promets-le où je vais être obligé de traîner jusqu’à la chambre et de t’y enfermer. » Finalement je pousse un soupir avant d'hocher la tête. « C’est d’accord. » Désœuvrée je regarde autour de moi. « Mais il faudra bien que je sorte, je ne peux pas rester enfermée dans une tour d’ivoire indéfiniment. » J’entends par-là qu’il va bien falloir que j’apprenne à me défendre pour affronter ces créatures. Je me laisse finalement tomber sur une chaise. « Je peux fouiller la maison au moins pour me rendre utile ? » Un mince sourire étire mes lèvres. « Ou là aussi tu vas m’enfermer dans la chambre ? »

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Je n’avais pas l’intention de me servir de Raelyn comme d’une béquille, mais j’ai apprécié sa sollicitude. Elle ne l’exprime pas avec des mots, mais ses gestes sont plus parlants que n’importe laquelle des informations dénuées de sens. Au même titre, ce non tranchant évoque ma peur qu’il lui arrive quelque chose sur les dix minutes que durera cette douche. En proie à l’inquiétude, je me montre bien plus autoritaire que je ne l’aurais souhaité, bien plus que cette femme de poigne n’aurait été capable de l’accepter si les circonstances avaient été différentes. Quarante-huit plus tôt, elle n’aurait pas froncé les sourcils, elle m’aurait jeté une œillade défiante et se serait employé à me contrarier par simple esprit de provocation. Elle m’aurait amusée. Elle aurait remporté des points supplémentaires, ceux qui faisaient pencher la balance vers la luxure. Aujourd’hui, ça m’agacerait et me forcerait à user de ma supériorité physique pour l’écrouer dans la chambre. Je n’avais pas envie d’instaurer entre nous ce genre de rapport de force. Je l’envisageais comme ma partenaire, pas comme ma subordonnée. Mais, j’avais eu peur pendant la nuit et, il y a quelques instants à peine, je ne nageais pas dans la sérénité. Aussi, ai-je soupiré de soulagement qu’elle se montre raisonnable. « Oui. Mais, pas tout de suite. » Pas tant que je n’aurai pas évalué dans quelle mesure elle pourra survivre sans moi. Je ne doute pas qu’elle se débrouillerait durant quelques jours, mais elle n’est pas aguerrie dans l’art de la stratégie militaire. Or, plus j’analyse les faits, plus je conviens qu’il me faudra fouiner dans ma mémoire pour mettre au jour tout ce que j’appris durant ma carrière de soldat. « Et on sortira. J’étais sérieux quand j’ai dit qu’on ne resterait pas ici et je t’ai entendu quand tu as proposé de nous enfoncer dans les terres. » L’Australie a cet avantage certain d’être peu peuplé par rapport à la surface habitable. Je ne désespère donc pas que nous y trouverons une terre d’asile tôt ou tard. « Je suis pas en train de te dire que je vais faire de toi ma prisonnière. » me suis-je radouci dès lors qu’elle jeta autour d’elle des regards éperdus. « Je te dis juste que j’ai pas besoin de ça en plus. » Gérer sa peur quand je ne sais pas quoi faire de mes propres émotions me semble insurmontable. « Mais, tu peux fouiller, oui. Mais pas trop. Je ne suis pas sûr d’avoir envie de perdre en crédibilité. On ne sait jamais ce que tu pourrais trouver dans les tiroirs. » Je suis rassuré. Alors, je me permets l’humour. « Je fais vite. » ai-je achevé en me dirigeant vers l’escalier. Je suis descendu près d’un quart d’heure plus tard, un peu hagard. J’avais opté pour de l’eau bien chaude dans l’espoir de m’anesthésier un minimum. Je l’ai trouvée assise en tailleur dans le canapé. « Qu’est-ce que tu regardes ? » Ou, pour être tout à fait exact, qu’est-ce qui t’amuse autant ?

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Je suis tiraillée entre l’envie de me rendre utile, de faire quelque chose de ma journée, et ces souvenir de la veille que je n’ai pas envie de revivre et d’affronter à nouveau. Mon caractère et ma fierté sont mis à mal alors que j’acquiesce à l’ordre d’Amos. Je dois me museler pour ne pas écouter mon orgueil qui s’insurge de me voir accepter que l’on me dicte ma conduite. Mon instinct de survie heureusement plus fort et je réalise que le brun à raison : je ne suis pas taillée pour affronter ce qu’il y a dehors. Face a des êtres dotés de capacités de réflexion je suis capable d’en tirer grâce à ma force de conviction. Mais face à ces choses qui ne semble animées que par la faim je suis complètement désarmée. « Oui. Mais, pas tout de suite. » Bientôt, je pense en silence. « Et on sortira. J’étais sérieux quand j’ai dit qu’on ne resterait pas ici et je t’ai entendu quand tu as proposé de nous enfoncer dans les terres. » Je hoche la tête et le dévisage. « Tu as entendu et ? Tu as décidé quoi ? » Là-dessus je compte bien avoir ma voix au chapitre. « Je suis pas en train de te dire que je vais faire de toi ma prisonnière. ». Je secoue la tête un sourire sur les lèvres. « C’est pas ce que je pense. » Je le sais animé par le désir de me protéger et l’envie de bien faire. Et dans ces conditions je suis bien obligée d’admettre qu’il a raison. « Je te dis juste que j’ai pas besoin de ça en plus. » De ça ? Parle-t-il du fait de devoir s’occuper de moi ou de sa crainte de me perdre ? Cette dernière je la partage sans trop comprendre ce qui en est à l’origine. « Mais, tu peux fouiller, oui. Mais pas trop. Je ne suis pas sûr d’avoir envie de perdre en crédibilité. On ne sait jamais ce que tu pourrais trouver dans les tiroirs. Je fais vite. » Je hoche la tête et le regarde s’éclipser avant de me mettre en mouvement.

J’avale d’abord quelques tranches du pain encore presque frais qui traînent sur la table, avant de revenir au salon et de laisser mes doigts traîner discrètement sur tous les meubles que je croise.J’ouvre les tiroirs, je récupère tout ce qui me semble utile : ouvre-boîte, ciseaux, cordes et aiguille avant de me faire la réflexion qu’il faudra emporter tous les médicaments. Je sais faire quelques points de suture approximatif, je ne serai peut-être pas si inutile que ça. Dans l’un des tiroirs je trouve un vieil album photo que je dépose sur le canapé avant de continuer mon investigation de la maison. Quand j’ai fouillé tout le rez-de-chaussée j’y reviens avant de le feuilleter en souriant. « Qu’est-ce que tu regardes ? » Je ne sais combien de temps je passe à observer cette fenêtre sur le passé d’Amos que m’offre l’album. « Un petit blondinet qui te ressemble. » Il s’installe mes côtés et je lui tend l’album. « Pas mal la coupe au bol, pourquoi tu ne l’as pas gardée ? » je me moque gentiment surtout désireuse de détendre l’atmosphère.

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« Que tu as raison. » Il n’y aurait que de moi, nous serions déjà partis, mais elle avait visé juste un peu plus tôt. J’avais besoin de détendre mes nerfs, de me reposer, de manger et de faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes, que tout est entièrement normal. Cet aveu-là, je le garde pour moi. L’ego de madame n’a pas besoin d’être flatté. Quant au mien, il doit retrouver en vigueur. Il est en bonne voie. Qu’elle ne se méprenne pas sur mes intentions m’aident d’ailleurs à me décrisper et à me radoucir. Avant de retrouver la salle de bain – je veillai à ne pas m’arrêter au milieu du couloir et ne pas m’attarder sur le souvenir de mon père gisant mort à mes pieds – je l’ai invitée à faire comme chez elle. Elle y était le temps que ça durerait. Toutefois, en descendant, je ne m’attendais pas à découvrir sur ses lèvres l’un de ses sourires sincèrement égayés. Qu’avait-elle bien pu trouver dans les tiroirs ? Etait-elle tombée sur de vieux albums photo ? Dans le mile ! Elle tenait entre ses doigts une photo de moi, petit blondinet en culottes courtes, quoique ça n’apparaisse pas sur le cliché. « Oh mon Dieu. » me suis-je exclamé, les yeux ronds et les lèvres pincées par mes dents pour finalement rire de bon coeur. « C’était la mode à l’époque et, je t’avoue que j’ai hésité, mais j’ai estimé que ça rendait moins bien quand on a pas une fenêtre dans la bouche. » Il me manque au moins deux dents sur cette photo. « C’est tellement vieux. » Je feuilletai l’album à mon tour, le cœur serré alors que je constate que, bizarrement, ça me fait du bien. Je suis ému bien sûr, mais c’est gérable. « Celle-là n’est pas mal non plus... » Je suis barbouillé de terre et je tiens à bout de bras, comme un trophée, un poisson presque aussi grand que moi. « Mon père nous emmenait souvent à la pêche. » Détail inutile. Il l’intéressait bien moins que notre futur plan de survie. Ce fut plus fort que moi cependant. La nostalgie n’est pas toujours bonne à jeter. « ça non plus je n’y aurais pas cru si on me l’avait dit. Et c’est tout aussi étrange. » ai-je remarqué en refermant l’album et de lui confier à nouveau. « Tu as trouvé des trucs intéressants ? Je veux dire, vraiment ? » me suis-je enquis en me levant du canapé. Si j’y étais resté une minute de plus, je m’y serais allongé et probablement endormi malgré la faim qui tiraille mon estomac. « Et puis non, on en parlera plus tard. » Je me suis dirigé vers la cuisine. Sur le seuil de la porte du salon, je me suis tourné vers elle en guise d’invitation à me suivre. J’ai été seul trop longtemps aujourd’hui et je n’aime pas l’espace qu’offre la solitude à mon cerveau. Il réfléchit trop et j’ai besoin d’une pause. « Tu peux le prendre si tu veux…. » Si ça peut t’aider à te décider…

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