La dernière épreuve avait déjà démarré sur les chapeaux de roue, mais visiblement, la production s'archarnait à leur foutre des petits coups de flippe et autres plot twists significatifs. Ainsi, en entrant dans le parc, Grace s'attend sans détour à une partie de domptage de crocodiles, de chasse à l'antilope ou à devoir recomposer un adagio pour violoncelle de Tchaïkovski sur un tambour fabriqué par eux-mêmes. Elle est ainsi tout, sauf près de se douter du retour de leurs anciens camarades, et elle est tout, sauf passablement heureuse de revoir leurs visages : elle est extatique. “Les meeeecs !! Qu'est-ce que vous faites là !?” Elle étreint un à un Kane, Kieran puis Elias en se demandant où la production les avait cachés tout ce temps. “Vous avez été kidnappés et gardés ici pour la finale, c'est ça ?” Au point où ils en sont, ça ne l'étonnerait même plus : “Non, parce qu'on nous a demandé de passer sous des fils électriques en étant trempés, donc plus rien ne me surprend.” Elle interrompt deux secondes sa diatribe et examine leur visage à chacun, une expression sincère et débordante d'affection sur le sien : elle n'a aucune idée de si c'est calculé, si la promotion savait qu'il s'agissait de ses trois concurrents préférés, s'ils avaient été soumis à un vote du public (ou bien qu'ils avaient réellement été kidnappés, allez savoir), mais elle est plus que ravie de les revoir là.

La production, cela dit, n'a visiblement pas le temps de faire durer les retrouvailles, à moins qu'elle ne craigne une rébellion généralisée face à leurs méthodes : on les presse vers un rapide et on force Isaac et elme à enfiler un gilet de sauvetage similaire à ceux que revêtent leurs trois amis. “Vous avez déjà fait du rafting, vous ?” questionne la photographe une fois devant le bateau qui est amarré pour eux. Elle, quelques fois par le passé, mais à l'époque alors elle était valide. Ceci dit, elle imagine que quatre personnes à pagayer, c'est largement suffisant pour qu'elle ne risque d'assommer quelqu'un avec sa main folle. Regard de biais vers Kieran : lui, en revanche, si elle en croit ses souvenirs, n'a pas besoin de main folle pour faire foirer deux-trois éléments. Tant mieux, se dit-elle, au moins ne sera-t-elle pas seule dans sa honte et sa maladresse.

On a été rappelé pour aider les finalistes à justement aller au bout de la course. J’ai sauté sur l’occasion en deux secondes même si je venais tout juste de me réinstaller chez moi. Même si j’allais enfin me lancer dans les gros projets, j’ai nommé : l’achat de l’appartement. Et bien tout porte à croire que ça va attendre encore une semaine ou deux. Je suis plus à ça près.

C’est sur une épreuve de Rafting qu’on doit porter main forte. J’en ai déjà fait une fois y’a très très très longtemps. Je vais faire de mon mieux même si je peux rien promettre. En short de bain, t-shirt le tout avec un gilet de sauvetage par dessus et une casquette que je porte à l’envers. J’aime pas m’attacher les cheveux et il faut que je puisse voir quelque chose là. C’est important.

Un immense sourire se forme sur mes lèvres quand Grace apparaît. “Les meeeecs !! Qu'est-ce que vous faites là !?” Elle me fait une étreinte. First. Oui, ça me fait plaisir d'être le premier. Je lui rends le hug doucement.  “Non, parce qu'on nous a demandé de passer sous des fils électriques en étant trempés, donc plus rien ne me surprend.” Je n’ai pas vu ça. Ils ont du le couper au montage ou bien c’était dans les émissions que j’ai pas vu.  « Wow. Plus les semaines ont avancé plus c’était vraiment plus dur. Ils vous ont fait signer des contrats supplémentaires pour se décharger de ça? » Le pompier en moi est outré de ouf. C’est pas normal. Je vais faire plus attention que prévu du coup. J’ai pas tout lu des nouvelles clauses que j’ai eu à signer pour le retour oups.

“Vous avez déjà fait du rafting, vous ?”
« J’avais 15 ans ça compte? »

Je dis ça en me positionnant près du bateau pour passer aux choses sérieuses. Je prends deux des rames avant d’en filer une autre à la personne la plus proche de moi. Ca me fait grave plaisir de faire une épreuve avec Kieran et Elias. J’ai beaucoup fangirler sur eux et j’ai été très surpris qu’on se retrouve éliminé la même semaine (et un peu honoré aussi). « On va essayer de pas mourir hein. J’ai toujours en projet de me marier et d’avoir des enfants. » Petit clin d’oeil à ce que j’ai dit lors de la première semaine d’émission.

Arrêt obligatoire : Avon Valley National Park. La méfiance transpirant par tous les pores de ma peau, je considère l'entrée ainsi que les alentours d'un œil éhontément suspicieux. Le parc en lui-même, hors contexte Race of Australia, a l'air des plus agréables et sportifs. Des randonnées semblent y être proposées ainsi que quelques parcours de recherches diverses vouant à découvrir la faune et la flore locales. “Tu crois qu'on devra faire une course d'orientation ?”  Je conjecture, sollicitant l'avis de Grace sur notre futur proche. Mais la photographe s'exclame derechef, extatique. Son euphorie et ravissement sont tels qu'ils me font sursauter avant d'invoquer un large sourire sur mes lippes, assimilant la source de sa réjouissance. “Les meeeecs !! Qu'est-ce que vous faites là !?” “Oh yessss !” Je m'exclame, accueillant chaleureusement les candidats malheureusement éliminés plus tôt dans l'aventure : Elias, Kieran et Kane. C'est que la Coughlin était entourée que de mecs. “Vous avez été kidnappés et gardés ici pour la finale, c'est ça ? Non, parce qu'on nous a demandé de passer sous des fils électriques en étant trempés, donc plus rien ne me surprend.”  « Wow. Plus les semaines ont avancé plus c’était vraiment plus dur. Ils vous ont fait signer des contrats supplémentaires pour se décharger de ça? »  « Non... Mais on a une sacrée liste de situations maltraitantes. On vous racontera. » Je souris doucement, complice, davantage sous l'effet de revoir le visage des autres concurrents que de me remémorer ce parcours du combattant ô combien ardu et périlleux.

Nous avions frôlé la mort de différentes façons grâce cette émission télévisée. Toutefois, jamais n'avions-nous eu à risquer la noyade jsuqu'à présent. Voilà que ce point était rectifié, le progrès et l'innovation ne cessaient jamais. “Vous avez déjà fait du rafting, vous ?” questionne ma partenaire tandis qu'on m'enfile un gilet de sauvetage sans cérémonie aucune. C'est peut-être de la paranoïa doublé d'un soupçon de choc post-traumatique, mais il me semble percevoir une lueur d'inquiétude dans le regard du moniteur à nos côtés. « J’avais 15 ans ça compte? » Un rictus indécis apparaît sur mon minois. Distribution des rames, Kane poursuit : « On va essayer de pas mourir hein. J’ai toujours en projet de me marier et d’avoir des enfants. » Un rire nerveux s'extirpe de mes lippes. « Le sort nous a été plutôt favorable jusqu'ici, » j'encourage, m'installant dans le bateau et aidant les autres membres de cette nouvelle équipe à faire de même. « Allez, force et honneur. On va s'en rappeler longtemps, de celle-là aussi ! » J'annonce avec enthousiasme, prêt à en découdre. Les souvenirs issus de cette compétition seront nombreux et j'étais véritablement heureux de partager celui-ci avec Grace et le retour de ces trois héros.

L'élimination avait été dure à encaisser pour Kieran qui fondait bien trop d'espoirs en ce jeu, mais ce n'est pas ce qui l'a empêché d'accepter avec plaisir la proposition de la production de venir prêter main forte aux finalistes en cette dernière semaine de course. Plaisir est un euphémisme, on peut parler d'une euphorie de la part du dessinateur qui, s'il a tenté de rester calme au téléphone, n'a pas hésité à esquisser quelques pas de danse au milieu de sa chambre en hurlant de joie ; c'est dire si, malgré la défaite, cette aventure l'a marqué. Kieran aurait donc accepté n'importe quelle proposition lui permettant de repartir loin de Brisbane. On lui aurait demandé de devenir le cireur accrédité des chaussures de May ou de prêter sa main pour faire du stop en remplacement de celles, fatiguées et brûlées par le soleil, des finalistes qu'il l'aurait fait. Et peut-être même que ce sont des rôles qu'il aurait préféré à celui qu'on lui a donné : apporter son aide au cours d'une épreuve. En finale. Quand c'est une question de vie ou de mort, donc. Inutile de préciser qu'avec Kieran, on se situe plus facilement dans la seconde catégorie et que le jeune homme n'est plus si certain d'avoir réellement envie d'apporter son aide : il a conscience que son rôle va surtout consister à ralentir la progression vers la victoire de Grace et Isaac, puisqu'il s'agit bien d'eux qu'il va épauler. À l'inverse de la perspective de participer une épreuve, celle d'être associée au binôme qu'il apprécie le plus lui est plaisante - même s'il n'oublie pas que, cette fois, l'objectif reste le chèque et non les pizzas à prix réduit. Quoi qu'il en soit, alors qu'il attend l'arrivée des deux heureux élus, c'est un mélange d'appréhension (liée à la crainte de ne pas être à la hauteur et de les desservir plus qu'autre chose) et de joie (liée au plaisir d'être ici, pour accompagner deux personnes qu'il apprécie, aux côtés de celui qui est devenu un ami et d'un autre en phase de le devenir) qui berce Kieran, qui jette de temps à autre des coups d’œil du côté d'Elias, le sourire aux lèvres, ravi de trouver son binôme. Ils n'ont pas interrompu le contact après leur élimination, mais quand même, il y a une saveur bien particulière de se retrouver ici, comme au bon vieux temps. Il échange aussi quelques mots avec Kane, ravi de faire équipe pour la première fois avec le blond.

Finalement, Grace et Isaac font leur apparition ; Kieran accepte l'étreinte de la brune avec timidité, fait un signe de la main à l'infirmier, le sourire aux lèvres. « Quoi ? » Il interroge, surpris suite aux propos de la jeune femme. « Non, mais c'est pas ''dur'' c'est inconscient, ça, ça devrait pas être autorisé dans un jeu. » Il s'inquiète, sourcils froncés, soucieux du sort d'Isaac et Grace. Ils sont bien en vie devant lui, c'est déjà rassurant, mais quand même, ça ne se fait pas. « Non... jamais. » Il rétorque, hésitant, à la question de la jeune femme : il n'a jamais fait de rafting pour la simple et bonne raison qu'il ne savait même pas ce que c'était. Il n'est pas certain que ce soit la réponse à donner pour mettre ses camarades en confiance ; mais mentir n'aurait servi à rien, il aurait été grillé en une fraction de seconde compte tenu de son manque de capacités. « Ah bah oui, oui, ça j'en suis persuadé. » Il ajoute suite aux propos d'Isaac ; mais ils ne s'en souviendront certainement pas pour les bonnes raisons. Allez, Kieran, tu peux le faire. Il se répète tandis qu'il entreprend de monter dans le bateau au fond déjà un peu humide, glissant et se rattrapant à « Eliaaaas. », comme au bon vieux temps, on a dit. Il reprend un minimum de contenance alors qu'il s'accroche à son gilet de sauvetage après s'être assis, un sourire gêné adressé à Isaac, puis à Grace. « Il fait vachement beau pour la saison. » Il commente en perdant son regard autour de lui, tentative de changer de sujet plutôt que de les laisser réaliser qu'il va être compliqué de faire équipe avec lui et qu'il aurait été préférable qu'il soit effectivement doublure main pour cette fin d'aventure, un rôle qu'il aurait géré à merveille (non, il est fort probable qu'il se serait retrouvé avec un doigt en moins parce qu'une voiture serait passée trop près de son pouce tendu. « Tout le monde sait nager, hein, j'espère, ahah. » Qu'il rit nerveusement, autrement dit : ce n'est qu'une question de temps avant que l'un ne tombe à l'eau, probablement par sa faute par ailleurs.

 « la finale, roa »    kane, kieran, grace, isaac & elias

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Il avait été éliminé, et fallait l’avouer, il avait eu du mal à l’accepter, on ne pourrait pas prétendre le contraire. Il n’avait pas su les épreuves de la semaine d’après, et lui qui a toujours été du genre très sportif, nul doute qu’il se serait amusé dans cette demi-finale. Il aurait tout manger, bravant le parcours du combattant haut la main, enfin c’est ce qu’il pourrait espérer. Mais parce que ROA est plein de surprise et de rebondissement, finalement il ne savait pas vraiment ce qu’il en serait advenu de sa présence dans l’émission. Et dire qu’il avait accepté sans une once d’hésitation de revenir, il espérait malgré tout y voir l’équipe de Greg et Sienna, et de Isaac et Grace. Parce que finalement, c’est avec eux qu’il avait le plus accroché, l’équipe de Kane avec qui il avait participé à une course étant parti en même temps qu’eux. Mais par-dessus tout, il avait espéré de tout cœur que Kieran, son acolyte dont il avait eu des nouvelles depuis leur élimination, malgré que leur vie ayant repris peu à peu le quotidien, serait lui aussi de la partie. La production avait voulu garder la surprise. Si les débuts furent un peu compliqué, face à cette pipelette de nature face à un Sanders souvent orgueilleux, et solitaire, il avait quand même su le toucher à sa façon, et suffisamment pour qu’il est envie de le revoir, et pouvoir le taquiner. C’est alors dans ce terrain, derrière eux, un bateau, qu’Elias regarde de part et d’autres, dans un silence, attendant avec une impatience soudaine de revenir dans le jeu, bien qu’il n’est plus question de défendre sa peau dans le jeu, ni sa place. Ce qui pourrait étonner, puisqu’il n’est pas du genre à se battre pour les autres, surtout si ça ne concerne pas son travail, mais il a pourtant cette passion qui ne le quitte et ce désir de se surpasser, de toujours vouloir bien faire, quitte à en faire trop. Besoin d’adrénaline, il espérait une activité sportive, il avait toujours dit à Kieran qu’il avait ce besoin – finalement sans jamais y parvenir – et c’était une petite revanche. Et à en voir le bateau derrière nul doute que ce sera sportif ! « Faut la mériter sa place en finale faut croire ! » Qu’il avoue en relâchant l’étreinte de Grace tout en faisant un signe de tête à l’infirmier. Il était content que ce soit eux, ils n’auraient pas pu mieux tomber ! « Finalement la pizza de notre première semaine vous aura porter chance ! » Qu’il avoue, souriant aux deux concernés avant d’emboîter le pas de tout le monde et de partir en direction du bateau. Elias n’est pas du genre à hésiter ou à avoir peur, mais il en connaît un qui balise déjà à la vue de ce gros bateau. D’ailleurs ce dernier se rattrape à lui, en hurlant dans ses oreilles, ça lui avait pas manqué ça tiens… « Vous n’avez pas un second gilet de sauvetage pour le petit, il est capable de le perdre ! » Qu’il dit en direction des cameramans en jetant d’un signe de tête son dévolu sur son camarade de jeu, Kieran. Qu’est-ce que ça lui avait manqué de pas pouvoir le titiller en réel… « Moi j’en ai déjà fait, je me fais pas trop de souci pour nous, au pire on jette Kieran à la flotte… » Qu’il dit en rigolant, mais si ça continue on allait le foutre lui aussi… Et d’ailleurs le flic récupère la rame que lui tend Kane, un sourire aux lèvres, le remerciant d’un signe de tête. C’est pas tout mais ils allaient devoir s’installer et commencer… Le massacre…

Revoir leurs anciens concurrents ravit Grace – les têtes les plus amicales de l'aventure lui avaient manqué, après tout, et malgré son entente quasi-légendaire avec Isaac, son caractère grégaire lui avait fait regretter le manque de plus de contacts. Après tout, leurs cameramen et leur infirmier n'étaient pas des plus loquaces, contrat et caméras obligent. Découvrir l'épreuve l'enchante davantage encore : elle a progressivement retrouvé son goût pour les sensations fortes depuis le départ de Brisbane et le rafting lui semble une activité plutôt douce dans le genre. “Pas à ma connaissance, mais ils ont pu nous y forcer dans notre sommeil, ça m'étonnerait pas”, peste-t-elle sur un ton conspirateur en réponse à l'étonnement de Kane et Kieran. C'est d'autant plus con parce qu'elle n'a pas lu avec tant d'attention que ça le contrat qu'ils lui avaient fait signer, toute pressée qu'elle l'était de partir de Brisbane avec quasi rien sur le dos, et tout risque encouru lui retomberait sûrement dessus, mais elle se tient en garde contre la production malgré tout. Davantage encore que les autres binômes, c'est eux, ses vrais adversaires.

“Toute expérience compte. On va dire que c'est comme le vélo”, fait-elle en sachant pertinemment qu'après dix ans sans faire de vélo, elle est incapable d'en refaire. La comparaison est donc pourrie, mais elle instillera au moins la confiance (du moins l'espère-t-elle – tout pour ne pas flipper Kieran davantage encore). La belle brochette monte à bord de leur embarcation, calant en leur sein un cameraman. “Je sais pas nager, moi”, précise Grace à la question de Kieran. “Enfin, j'ai un bras qui pêche, quoi. Sans mauvais jeu de mot.” Elle dit ça surtout pour se faire refourguer au milieu, ne servir à rien et profiter des sensations. “Du coup, je veux bien un deuxième gilet aussi”, lance-t-elle au moniteur en lâchant une oeillade complice en direction de Kieran. « Moi j’en ai déjà fait, je me fais pas trop de souci pour nous, au pire on jette Kieran à la flotte… » La remarque d'Elias tire un rire général à l'équipe – Grace première. Le sarcasme du jeune homme lui avait manqué, autant que le duo en lui-même.

“On est prêts ?” lance-t-elle au groupe. Elle, en tout cas, est prête à s'asseoir et se détendre.

win : le démarrage se fait en douceur.
so close : ça part sur des cailloux, ça tangue un peu, mais personne ne tombe.
fail : le bateau se renverse avant de quitter son port.

« Faut la mériter sa place en finale faut croire ! Finalement la pizza de notre première semaine vous aura porté chance ! » Je ris doucement, tapotant amicalement l'épaule d'Elias. « J'ai pas oublié qu'on s'en prendra une autre après tout ça terminé, aussi, » j'avais lancé l'invitation dès la deuxième semaine de la compétition et je ne comptais pas ne pas tenir parole. Bien évidemment, tout le monde était invité.

Cette épreuve s'annonce être du rafting, énième vecteur de sensations fortes. “Toute expérience compte. On va dire que c'est comme le vélo,” conclut Grace . « Ah bah oui, oui, ça j'en suis persuadé. » commente un Kieran mal assuré quant à mes propos tenus sur le caractère mémorable de cette épreuve. Je souris doucement à l'attention de l'artiste, qui, à la manière d'un éclopé, s'installe avec peine et misère dans le bateau de rafting. Finalement, son fidèle allié, soit Elias, le rattrape, après l'avoir charrié, comme s'il avait développé une annexe de son instinct de survie au profit de son ancien binôme. « Il fait vachement beau pour la saison. » Je ne peux m'empêcher de rire doucement, autant amusé, nerveux, qu'ambitionnant le fait de banaliser l'expérience - de potentielle mort imminente -. « Un temps radieux, on est chanceux, » Jouons de l'optimisme. J'attrape la dernière pagaie, hésite à la tendre au dessinateur mais opte tout de même pour lui offrir une arme. Pour des raisons obscures, j'imaginais très bien Kieran nous empêcher une fatale crevaison en poussant le bateau en appuyant l'outil boisée contre une surface rocheuse. « Tout le monde sait nager, hein, j'espère, ahah. » “Je sais pas nager, moi. Enfin, j'ai un bras qui pêche, quoi. Sans mauvais jeu de mot.” « Y'a les gilets, » je rappelle en tapotant la texture serrée contre mon corps, dans une énième volonté de rassurer. Survient néanmoins une nouvelle tentative de négociation pour obtenir des gilets supplémentaires. « Moi j’en ai déjà fait, je me fais pas trop de souci pour nous, au pire on jette Kieran à la flotte… » « Avec les gilets, ça nous fera un joli bonhomme Michelin, » j'enchéris, taquin.

“On est prêts ?” Tout le monde est installé, je saisis à deux mains ma pagaie avec détermination. C'était parti pour ajouter un chapitre à cette étape qui se promettait être des plus rocambolesques. “Et go !” Avec l'aide des bras costauds, le bateau quitte de bon train le point de départ pour s'orienter directement vers les cailloux. Ça secoue, ça tangue, ça tourne aussi un peu trop au goût de mon estomac rétrécit par les dernières semaines sur la route, mais le nombre demeure inchangé au sein du bateau. Soudainement, trente kilomètres à débouler dans des courants rapides me semblent excessivement longs et assassins et je suis désormais totalement désorienté après les quelques tours sur lui-même du bateau. Mais une chose est certaine : je suis toujours attiré dangereusement dans la même direction, malgré mon énergie à tenter de rester plus ou moins en équilibre dans le bateau. Finalement, je réalise que mon gilet s'est accroché à celui d'un candidat lors de notre départ intense, “Attends, j'suis accroché à toi,” je crie presque pour me faire entendre malgré le fracas des vagues. De la sorte, je ne peux pas user de ma pagaie pour aider - tant bien que mal - à l'orientation du bateau, et si l'un de nous passe par-dessus bord, c'est promotion deux pour un assuré.

À écouter Grace, ce n'est peut-être pas un mal qu'ils aient été éliminés, avec Elias, bien plus tôt dans la compétition - ce qui leur a permis d'assurer ainsi leur survie. Bien-sûr, Grace et Isaac sont bien vivants, mais peut-être que les conséquences des épreuves auxquelles le duo a été confronté se fera ressentir plus tard (ce que Kieran ne leur souhaite pas). Il ne masque pas son étonnement et cogite sur ce que la production peut décemment autoriser ou non, préférant rester dans un mutisme qui lui évitera de pointer du doigt un dysfonctionnement qui pourrait perturber Grace et Isaac là où ils ont plus que jamais besoin d'être concentrés sur leur jeu et l'issue victorieuse que le dessinateur leur souhaite. Bien-sûr, il n'a rien contre Kelly et Loan (ce serait mal connaître Kieran que de songer qu'il ressent de l'animosité pour qui que ce soit), mais sa préférence va à Grace et Isaac. Pas uniquement parce qu'il leur a été associé, mais parce qu'ils ont sympathisé dès le début et que, forcément, son jugement est biaisé. Toutefois, ils ont prouvé sur les épreuves qu'ils étaient au-dessus des autres et ce ne serait que justice que leur talent soit récompensé. C'est bien pour cela qu'ils sont aujourd'hui réunis tous les cinq, même si l'épreuve pouvant leur permettre de marquer des points s'avère plus compliquée qu'elle n'y paraît. Kieran n'est pas confiant ; le courant est mouvementé et la descente longue. Peut-être que la presque électrocution vécue par les finalistes n'est rien en comparaison à ce qui les attend aujourd'hui : une belle noyade. Surtout Grace, qui ne sait pas nager d'après ses dires. Enfin, pour l'instant c'est lui qui se positionne en pôle position pour la mort certaine vu la difficulté qu'il a déjà à rejoindre le bateau de fortune. Il adresse un sourire sincère à Isaac qui rentre dans son jeu et n'en profite pas pour enfoncer le clou et se moquer de sa maladresse qui n'est plus à prouver. « Vraiment radieux pour utiliser... ça. » Qu'il murmure, sceptique, en se saissisant de l'équipement tendu par Isaac. Qu'est-ce qu'il est supposé faire de ce truc ? Dans le doute, il garde l'objet bien en main, se doutant bien qu'à un moment ou à un autre, les regards sur lui et quelques signes de tête lui feront comprendre ce qu'il doit en faire. « Mais non, pas du tout. » Qu'il tente de s'offusquer face à la taquinerie d'Elias (en réalité, si, il est parfaitement capable de perdre ce gilet) avant de se retourner vers la jeune femme. « Hm, installes-toi au milieu ? C'est peut-être un peu plus stable ? » Il propose, inquiet que Grace puisse chavirer et se blesser (pour la version optimiste, la version pessimiste parle de mort pure et simple). Il est bien plus réactif par la suite lorsque son ancien partenaire propose de le faire passer par-dessus bord. « Non, non, on jette pas Kieran à la flotte, non. » Yeux écarquillés, tête qui se balance de gauche à droite et sourcils froncés, il essaie de persuader (avec peu d'assurance) Elias - et les autres - de cette mauvaise idée, avant de reporter son regard sur Isaac. « Et non plus, non, pas de bonhomme Michelin. » S'il vous plaît, qu'implore son regard.

Le départ est donné par Grace et si Kieran acquiesce de la tête, c'est surtout pour masquer le son de sa voix qui se briserait et contredirait l'affirmation ; car il est vrai qu'il n'est ABSOLUMENT pas prêt. Il s'imagine déjà des dizaines de scénarios dont l'issue n'est pas favorable à leur intégrité physique. Mais il se tait, conscient de ne pas donner la meilleure image de lui-même et ne voulant pas, en plus de son manque d'équilibre, mettre en avant sa peur. Le départ ne se fait pas dans les meilleures conditions et finalement, le bateau préfère passer par des cailloux, faisant tanguer ses occupants. C'est compliqué de rester debout, ça l'est tout autant de s'entendre et lorsque la voix d'Isaac résonne à côté de lui et semble lui être adressée, Kieran tente de se retourner - mais cela semble laborieux, ce qu'il ne comprend pas vraiment. « Qu'est-ce que tu dis ? » Il demande, se dandinant sur place, finissant par donner un grand coup d'épaule pour se dégager, sans se douter des conséquences que cela pourrait avoir.

win : le coup d'épaule décroche leurs deux gilets, ils retrouvent chacun leur liberté.
so close : ils sont toujours accrochés.
fail : le coup d'épaule les déséquilibre, c'est le grand plongeon.

« Allez, force et honneur. On va s'en rappeler longtemps, de celle-là aussi ! » Ouais, si y’en a un d’entre nous qui meurt on va s’en souvenir longtemps. Arrête. Ok. Isaac a l’air super enthousiaste et j’avoue, ça me fait vite chasser cette idée tragique de ma tête. Je préfère ignorer que personne parmi nous cinq ne sait vraiment comment gérer ce bateau dans ces courants. “Je sais pas nager, moi” Hahahhahaa. Non, je refuse de la croire. “Du coup, je veux bien un deuxième gilet aussi” Ah. Elias fait allusion aux caméraman et c’est comme si j’avais déjà oublié que tout ça allait être filmé. On va pas être lancé sans filet. Y’a des gens qui nous entourent. Tout va bien se passer. C’est sûr. Surtout que Elias rassure le groupe avec son expérience en la matière. Parfait. Au pire on jette Kieran, c’est eux qui l’ont dit, pas moi.  « Non, non, on jette pas Kieran à la flotte, non. » Ah.

“On est prêts ?” J’hoche la tête, la rame dans ma main. Prêt à affronter les courants et on s’en sort pas trop mal pour des bras cassés que nous sommes. C’est bien de commencer comme ça. Je mets en applications les deux trois infos que le moniteur nous a donné avant. Moi qui aime toujours tout bien faire, c’est pas le moment de me planter.  “Attends, j'suis accroché à toi,” Je tourne la tête vers Isaac pour voir de quoi il parle parce que ça sonne pas bon du tout ça. C’est compliqué de suivre ce qu’il se passe à côté plus ma rame qui tente de suivre le mouvement tant bien que mal pour avancer dans le bon sens. Kieran et Isaac sont accrochés. Ca commence bien. J’essaie tant bien que mal de continuer à gérer le bateau avec les autres alors qu’ils sont en train de se gérer leurs gilets accroché. C’est un peu la panique là mais je fais genre je gère. Tout un métier ça. Y’a un moment où on lévite un peu à cause du courant et d’un « rebond » qu’on a fait.  « Woooow! » Peut être que ça a assez secoué Kieran et Isaac pour les détacher? Je regarde de leur côté.


Win : Ils sont détaché.
So close : Ils sont toujours en galère.
Fail : Y’en a un qui est tombé dans l’eau

Ça cahote et ça penche, dans leur moyen de locomotion peu stable et pourtant pas encore détaché, et Grace se sent peu à peu perdre de sa verve – elle n'y connait presque rien en rafting, la photographe, encore moins maintenant qu'elle est handicapée et doit se contenter de laisser les autres gérer pour elle. Cette perspective, qui au début la réjouissait, la rend maintenant significative moins à l'aise alors qu'elle s'installe : s'ils perdaient le contrôle alors qu'elle faisait partie des pagayeurs, alors elle n'aurait eu qu'elle-même à blâmer. Là, elle n'a absolument aucun contrôle quant à l'issue de l'aventure et elle réalise que c'est ça qui l'inquiète : la possibilité qu’elle n’ait aucun mot à dire sur l’issue de l’aventure. Or si elle veut être honnête, depuis le début, la perspective de gagner n’a jamais résidé uniquement dans leurs mains, pas une fois. Il y avait toujours les performances de leurs adversaires, le hasard des gens qui voulaient bien s’arrêter ou non. Cette fois, il y a les flots, et ceux-ci sont capricieux.

“Attentioooon, c’est un peu capricieux, là.”

Grace n’en mène à présent pas large sur l’embarcation qui se libère de son port, secoué avec énergie par les vagues avant même d’avoir retrouvé le creux de la rivière. Sa seule peur, c’est qu’ils frappent un caillou, que la coque se pète et qu’ils meurent tous enchaînés les uns aux autres, mais elle n’en dit pas mot parce que ses camarades arrivent à se détacher et à reprendre contrôle de leurs rames, après moultes galères mais avec une détermination surprenante. “C’est bon, tout le monde va bien ?” demande la jeune femme en s’accrochant à son gilet, à défaut d’avoir plus stable. “Je peux vous encourager en vous chantant une petite chanson, si ça vous tente.” Il faut bien qu’elle serve à quelque chose, au fond, mais elle n’est pas sûre de quoi. “Dites, vous étiez restés ici depuis votre élimination ou ils vous ont fait revenir ?” lance-t-elle au hasard, à personne au particulier, un peu au pif alors que son corps se laisse brinquebaler gentiment par le flux du cours d’eau.

« Et non plus, non, pas de bonhomme Michelin. » « Je te promets que personne te jettera à l'eau, » j'assure solennellement à Kieran, plantant mon regard dans le sien de manière à ce qu'il puisse y déceler toute la sincérité de mon âme. Cependant, cela allait bien sûr sans compter que dans la secousse du début de la descente infernale de trente kilomètres, mon gilet s'accroche malencontreusement à celui du dessinateur. « Qu'est-ce que tu dis ? » me voue Kieran, la conversation s'avérant des plus difficiles avec tout le brouhaha et l'agitation nous englobant sans merci. De plus, avec ce méli-mélo nous soudant quasiment - et dangereusement - l'un à l'autre, il frise l'impossible de se faire face.

Le Hasltead se dandine sur place et j'ai le sentiment d'apercevoir un funambule qui sautille sur sa corde fatale. J'ai envie de lui prier d'arrêter de gesticuler ainsi, qu'un nouveau heurt nous fera basculer irrémédiablement par-dessus bord, mais voilà que le maladroit de la bande offre un véhément coup d'épaule en arrière, que j'évite de justesse. « Bouge plus bouge plus bouge plus, » je le supplierais presque, mon équilibre suivant une courbe exponentielle vers la précarité des plus totales. “Attentioooon, c’est un peu capricieux, là,” annonce, dans une remarquable démonstration de l'euphémisme, Grace. Puis c'est le bond, le saut prodigieux vers les abysses célestes - oui, tout à fait l'allure que ça m'en donne -. Mon cœur manque un battement, ma main se crispe contre la première partie du corps de Kieran que je peux saisir, comme si ça me permettait d'avoir un contrôle sur quoi que ce soit alors que nous sommes condamnés à voler vers d'autres cieux ensemble.  « Woooow! »

Et c'est la libération. Je rebondis mollement dans le bateau, j'ai le tissu du vêtement de Kieran entre mes doigts mais nous sommes détachés. « Wow. » Je répète, subjugué par ce tour de magie. « Wow, » je réitère, manifestement en étant de choc, cillant et fixant Kieran comme s'il s'agissait d'un nouveau langage qu'il pourrait comprendre car il nous a été inculqué à l'essence même de nos synapses dans cette union anti-gravité.  

“C’est bon, tout le monde va bien ?” J'acquiesce, bien qu'incertain. “Je peux vous encourager en vous chantant une petite chanson, si ça vous tente.” “Oh oui ! Muddy Waters ?” Je suggère, jeu de mot oblige - et petit souvenir de route également. “I wish a was a catfish...” je commence, étrangement, ça me rassure, ça me ramène sur la terre ferme et les déboires emplis de poussières, traces de pneus et conducteurs atypiques qu'on a connus, redoutés, appréciés. Je m'engaillardis, maniant de la pagaie pour orienter au mieux le bateau de rafting. “Dites, vous étiez restés ici depuis votre élimination ou ils vous ont fait revenir ?” questionne la Coughlin et j'attire mon attention sur le groupuscule de valeureux combattants. Peut-être avaient-ils été hébergés dans un hôtel et attendaient-ils l'arrivée des candidats éliminés pour découvrir la suite de l'aventure via leur récit ? “Ils vous ont pas fait revenir de Brisbane, quand même ?” J'ose espérer, naïveté tenace.