Les efforts périlleux de Martin pour récupérer la rame tout à l’heure étaient ruinés par ce court moment où, pour une des rares fois de sa vie, Kelly s’était montée tête en l’air. Il suffisait de perdre ses moyens une poignée de secondes dans ces rapides pour qu’un malheur se produise. Au moins, la pagaie n’avait pas atterri dans la tête d’Ivy. « Mieux vaut ça que toi ou le ukulele» commenta le jeune homme. Lee ne sut comment prendre le fait d’être mise au même niveau qu’un instrument de musique, mais elle appréciait qu’il ne la réprimande pas méchamment. “C’est la première fois que tu préfères une vie humaine à la faune marine ?” elle demanda pour le taquiner -sans trop savoir à quel point le brun pouvait se montrer susceptible ou non au sujet de son engagement écologique.

« Eh partenaire. Un petit coup de chanson de scout ? » proposa Loan, maintenant que Wake me up before you go était terminée. “Les autres vont finir par nous détester.” elle répondit dans un rire. Avait-il déjà oublié à quel point ces chants pouvaient être répétitifs, et donc, aisément insupportables ? Voulait-il que tous les participants sur le bateau soient dans le même état qu’il l’avait été à bord du bus ? Non, pour la santé mentale de tous, mieux valait qu’ils évitent d’autres chansons de scouts.

« Ivy, t'as pas choisi de chanson encore. » fit remarquer Jack. Leur jeu de regards laissait sous-entendre… quelque chose que Kelly ne parvenait pas à déchiffrer. Elle les dévisageait, l’un et l’autre. Il y avait de l’électricité dans l’air, et la seule diversion que Loan trouva fut de prendre le relais de la conversation avec la jeune femme. Laissant le champ libre à Kelly qui rappliqua auprès de Jack ; “Et du coup, je crois que je me souviens plus très bien du troisième accord, c’est tellement différent de la guitare.”

Ivy fulmine, Loan prend le relais, Martin se contente d'admirer la nature et Cap'tain Jack fout absolument rien sans que personne ne s'en étonne. c'est qu'ils ont réussi à reprendre du nerf à bord de leur navire de caoutchouc, et que tout semble aller un peu mieux dans le meilleur - kinda - des mondes.

“Et du coup, je crois que je me souviens plus très bien du troisième accord, c’est tellement différent de la guitare.” la rame délaissée, oubliée, flotte désormais lâchement au loin ; et il ne la voit plus Jack, quand son visage s'illumine aux propos de Kelly. Éternel gamin à la musique bien trop haute placée dans son palmarès d'importance, que voulez-vous. « Je le savais! » comme si elle venait de lui avouer un secret d'état, comme s'il était dans la confidence de la plus grande importance. « Classique ou électrique? » il la voit bien mieux avec une classique, quoique qu'une électrique lui donnerait un charme éclectique qu'il serait bien évidemment incapable de nier.

« Essaie comme ça. Je peux? » il prend le lead alors qu'elle a elle-même ramené la leçon sur le tapis, plaçant avec un calme presque chirurgical chacun de ses doigts là où ils doivent exactement l'être. « Voilà. » qu'il poufferait presque mais il se retient, poli, gentleman, quand elle a l'air prise au piège d'une posture qui n'a rien de fluide. Mais à la première note qu'elle occasionne déjà il la voit prendre en confiance.

Et c'est un sourire là, qu'il jure voir apparaître sur son visage. Ou alors il ne fait qu'imaginer que sa mâchoire s'est relaxée? « Colleen fait dire que si tu veux revenir prendre un verre à la chambre, t'es la bienvenue. » qu'il tente finalement, restant dans le ton des confidences. La soirée entre les deux brunes lui a bien sûr été relatée par sa binôme, et ce serait mentir de dire qu'il ne tâte pas une suite potentielle sans faire plus que de se mettre - aussi ironiquement que figurativement  - l'orteil à l'eau.

Je ne veux pas voir Jack faire ses conneries. Il fait toujours ça de toute manière, je ne vois même pas pourquoi ça continue de m’étonner. A chaque fois il est gentil, prévenant, et j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose, la seconde d’après il gâche tout en étant avec Elise, ou avec Elise, et certainement un paquet d’autres que je ne connais même pas. Qu’est ce qu’il a à essayer de me demander des musiques ? Il a perdu la mémoire le papy musicien ? Il a qu’à demander à madame je perds ma rame et j’ai trop envie d’apprendre le ukulélé. Ok, elle m’énerve maintenant. C’est dommage, elle est passée à deux doigts que je l’apprécie. Encore une ennemie, une de plus sur ma longue liste. “Démerde toi, elle connait peut-être des chansons celle là.” Ouais j’ai même plus besoin de me souvenir de son prénom maintenant.

Je me retourne et fais face à Martin, je les connais ses demi excuses après toutes ces semaines. Mais il a plutôt intérêt de faire mieux. Loan entre dans la conversation qui était silencieuse jusque là. Bonhomme. “Pardon ?” Son bonhomme ? C’est quoi ça ? Un jeu de mot, oh Loan dis moi que c’est un jeu de mot. Je fronce les sourcils, et je ne quitte pas les yeux de Martin. Il devient livide, apparemment il n’a pas envie de parler de ça. Ce qui me donne vraiment envie de faire tout le contraire. “Loan, parle.” Parce que je sais déjà qu’il va vouloir défendre son meilleur ami, je ne lui laisse aucune échappatoir. S’il ment, je le saurai, et il passera par dessus bord. Je vais finir toute seule sur ce raft.

Loan change de sujet, mais je ne vais pas oublier l’annonce boulet de canon pour autant. Il parle de ma tenue, ok il gagne quelques points le brun. Il n’a pas besoin de me dire que ma tenue est belle, je le sais déjà. Et elle est ruinée à cause de l’eau. “Ca se voit non ?” La question est presque indécente. “Tu t’y connais toi ?” Mais j’entends parler Jack dans mon dos, et une phrase tourne dans ma tête. Je vais le buter.

Je voulais tenter un petit instant de communion avec ma partenaire. Juste un peu. « Les autres vont finir par nous détester. » Et je ris à sa remarque. Je crois que sur ce coup-là, elle n’a vraiment pas tort. J’ai tous voulu les achever les gamins, vraiment. Ils m’ont couru sur le haricot avec leurs chanson répétitives à souhait qui n’en finissait pas et dont la mélodie rappelait une certaine envie de se jeter la tête contre un mur ou quelque chose comme cela en tout cas. Ici pas de mur pour nous accueillir, mais plutôt le lit d’une rivière qui semblerait ravie de nous engloutir. « T’as raison on va s’abstenir. » On gardera pour nous le souvenir de ce petit bout de route en compagnie des scouts et toutes les révélations qui en ont suivi pour elle, très probablement.

Jack joue à l’enseignant, il semble adorer cela, partager sa musique, donner un peu de lui au travers d’un instrument. Le capitaine lui, reste le regard fixer sur l’horizon, toujours prêt à attaquer. Sait-on jamais, que des pirates s’enjaille à venir nous contrer sur cette rivière, au milieu de ce parc. Et moi je m’intéresse à mon meilleur ami, pense à son fils, mon filleul. Il a dû tellement changer en un mois. Il en à jamais trop parler durant l’aventure Martin, je me demande bien si ça le travaille ou pas du tout. Est-ce qu’il a trouvé sa fibre paternelle ? Mais au moment où Ivy s’exclame, je comprends que j’ai fait une bourde. Martin devient rouge comme jamais et j’ai envie de me jeter par-dessus bord. « Loan, parle » Elle est si autoritaire que je pourrais en trembler, je jette un coup d’œil à Martin, mais compte bien ne pas mentir à la jeune femme. « Je parlais de Eliott… Mon filleul. » Ça noie le poisson ça un peu, non ? Ouais je crois pas, vu la tronche que tire Martin, c’est foutu. Je le vois rager et je me recule un peu pour en réalité me rapprocher d’Ivy on sait jamais.

Comme pour me faire oublier auprès de mon ami et surtout pour détourner l’attention d’Ivy, je me mets à lui parler de sa tenue. « Ça se voit non ? » Toujours autant sur la défensive, je crois que rien ne pourra la changer à ce sujet. « Tu t’y connais toi ? » « Un peu. »[/color] que j’affirme en souriant quelque peu. Je me redresse pour être un peu mieux assis. « J’aime beaucoup ce que fais Balmain en ce moment, les couleurs, le graphisme tout ça. » Je me racle la gorge et baisse le ton pour ne pas que Kelly m’entende. « Je t’aurais bien montré, j’ai fait un shoot avec une veste de chez eux, magnifique. J’avais du make up bleu aussi, c’était génial. »

“Démerde toi, elle connait peut-être des chansons celle là.” Ce n’était pas près pensée positive, comme genre de discours. Kelly fronça les sourcils. Malgré ses tentatives d’apaiser la jeune femme et de se montrer de son côté, elle était parvenue à ajouter son nom sur la cible des cibles de ses sarcasmes pour elle ne savait quelle raison. Oh, la brune ne s’encombrait pas de susceptibilité de ce genre. Ivy était jeune, plus jeune encore dans son comportement, et Lee mettait son attitude d’adolescente en colère sur cette explication-là. Puisqu’il n’y avait rien à sauver, la sommelière se tourna vers Jack -la vue était bien plus plaisante de ce côté-là.

Visiblement, le doyen était enthousiaste à l’idée que Kelly soit portée sur la musique. Cela n’était pas totalement le cas à dire vrai, mais pourquoi s’encombrer de détails inutiles ? « Classique ou électrique? » il demandait. “Classique. J’ai commencé il y a deux ans, à peine, donc je suis pas particulièrement douée…” La brune ne connaissait que deux ou trois chansons en tout et pour tout. Il fallait dire qu’avec Kane, son professeur, parti en vadrouille à l’autre bout du monde, elle n’avait pu compter que sur elle-même et sa persévérance pour continuer son apprentissage.

Il se montrait délicat, attentif, en indiquant la position à adopter avec le ukulélé -et cela n’était pas simple dans le contexte particulier de la leçon improvisée. Kelly, elle, écoutait d’une oreille les indications de Jack, et de l’autre, songeait qu’il sentait plutôt bon, qu’il avait des mains douces, et une voix à lui faire oublier son propre nom. Cependant, pleine de bonne volonté, elle effectuait les notes qui lui étaient indiquées. Le tout formait quelque chose de presque audible. La voilà si fière.

« Colleen fait dire que si tu veux revenir prendre un verre à la chambre, t'es la bienvenue. » A nouveau, Lee se confondait avec une jardinière de pivoines. Partagée entre l’idée qu’il lui en voulait de ne pas l’avoir invité à leur apéritif la première fois et l’embarras de se montrer peut-être trop charmée par le binôme de Colleen devant celle-ci, elle voulait dire non, et bien sûr, le contraire traversa ses lèvres ; “Oh, c’est, hm… Très gentil à elle. Avec plaisir. Oui.”

Si Kelly ne s’était pas oubliée quelque part entre le sourire et le regard de Jack, elle aurait sûrement rebondit sur la conversation à propos de la mode qui se tenait plus loin, elle qui en était une grande amatrice. Elle aurait peut-être même osé mentionner sa garde-robe quasiment faite de ses mains, tant elle se sentait en confiance auprès de Loan et ce groupe. Mais non. Non, elle était perdue, quelque part dans les nuages en forme de crocodile et de souris.

Est ce que Martin a un enfant ? J’espère que non. Il m’en aurait parlé non ? Non on ne parle pas de ce genre de choses. Mais non il ne peut pas avoir d’enfant, j’étais persuadée qu’il les détestait autant que moi. Je suis presque un déçue, et un peu paniquée mais je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas tourné mon visage vers Loan pour lui ordonner de parler, il a bien compris qu’il valait mieux pour lui et son meilleur ami qu’il le fasse sans opposer de résistance. C’est son filleul. Je serre les dents, il sait que ce n’est pas ça que je veux entendre, je me fiche de qui peut bien composer sa famille. “Loan…” Là mon regard se tourne vers lui, il aime que je le terrorise ou il est juste inconscient ? “C’est son fils ?” Oh mon dieu quelle horreur. Je soupire, si c’est ça la vraie réponse on devra avoir une discussion, ou ne plus jamais s’adresser la parole.

Il tente de changer de sujet en parlant mode, moi j’essaie de trouver un moyen de me changer les idées et de m’empêcher d’écouter le connard dans mon dos. Ce truc est trop petit, on est trop serré, et son putain de ukulélé commence à me gonfler. Kelly pourrait tomber avec au fond de l’eau. Oups. “J’ai toujours eu un faible pour les stylistes italiens.” Est ce que ça a un rapport avec mes origines ? Bien évidemment. Et parce que les italiens sont particulièrement talentueux en général. “Tu fais des shooting ?” Ok on commence à parler un peu le même langage, alors je me déride un peu. “J’ai des shoot avec des vêtements en modèle unique.” Vêtement que j’ai gardé, et que j’ai peut-être perdu dans un de mes dressing. “Make up léger ou tu fais des trucs qui se voient beaucoup ?” Est ce qu’il fait les choses à fond ou il fait partie de ceux qui osent à peine ?

“Classique. J’ai commencé il y a deux ans, à peine, donc je suis pas particulièrement douée…”
« Dis pas ça, tu t'en sors très bien pour une classe de ukulele en plein rapides en vrai. »

Il dédramatise, il dédouane, il souligne là où il voit de bons coups aussi, le plus honnêtement du monde. Il est pas là pour l'encenser et lui mentir, certainement pas, surtout quand une fois où elle s'y met elle arrive facilement à prendre un rythme, à prendre ses marques. Elle n'a besoin qu'un peu de pratique qu'il note Jack, lui qui pense déjà à quelques trucs à lui donner pour qu'elle glisse plus aisément ses doigts entre les cordes, pour qu'elle ait de la facilité autant au ukulele qu'à la guitare.

Il parle pour Colleen, mais il parle pour lui également, qui ça étonne. “Oh, c’est, hm… Très gentil à elle. Avec plaisir. Oui.” « Je lui passerai le message. Elle sera ravie. » une seconde passe, une autre. Il n'est pas au bout de ses peines quand ses prunelles s'accrochent à celles de la brune et qu'il réitère, honnête, ses mots qu'il pèse avec un énième sourire en coin dessiné au coin de ses lèvres qui commencent franchement à prendre des teintes bleutées. « Et moi aussi. » disons les choses comme elles sont, non?

« On fait un pacte okay. » une note de plus, une mélodie avec, il lui tend sa main à lui prêt à serrer la sienne à elle. « Quand - pas si - on arrive en bas avant les autres, on s'organise un vrai apéro, tous ensemble. » un truc sympa, un truc pour relâcher la pression, un truc meilleur que les quelques bouteilles de vin qui cognent entre elles, éternel rappel, au fond du raft. « Je tenterai de trouver une guitare classique en attendant que vous remportiez les dernières épreuves. » les petits caractères du contrat lui arrache un rire de plus.

« Deal? »

« C’est son fils ? » Elle retentit comme un boulet de canon la question d’Ivy. Pour moi, la réponse est évidente. Pour Martin, je ne sais plus vraiment. C’est encore si nouveau tout ça. Il l’a appris juste avant son hospitalisation, il n’a même pas vraiment eu le temps de faire connaissance avec son enfant qu’il était déjà parti pour l’émission. Je ne sais même pas s’il pense à lui, s’il se demande si tout va bien pour lui. Je ne voulais pas faire de boulette, c’était si naturel pour moi. Parler de Martin comme d’un frère, être fier de mon rôle de parrain auprès de son fils. C’est ma vie. Je ne pensais pas qu’il avait cacher cela à sa partenaire et en même temps… Kelly ne sait pratiquement rien de moi, a part le fait que je sois le diable en personne. Elle insiste du regard Ivy et je hoche la tête comme un gamin pris la main dans le sac. « Je suis désolé. » que je murmure vers Martin qui déjà me tourne le dos pour observer le court de l’eau. Il va m’en vouloir, je le sais. Probablement qu’il va vouloir me passer par-dessus bord ou me frapper à mort avec une rame. Je ne sais pas. Pour le moment, il est étrangement calme.

Et moi, je tente de faire diversion en occupant Ivy a autre chose. Loin de la vie familiale de mon ami et plus proche des podiums qui semble lui être familier. Je crois que j’ai réveiller un peu son intérêt et je suis heureux de constater que l’on pourrait, peut-être, s’entendre sur un sujet au moins. « J’ai toujours eu un faible pour les stylistes italiens. » Oh je ne peux que la comprendre sur ce point-là. « Ils sont les meilleurs girl. » Je sonne si gay et je m’en fiche. J’aime la mode, j’aime me maquiller, j’aime me montrer. J’ai retenu tout cela durant l’aventure, je ne voulais pas imposer, je ne voulais pas choquer, je crois. Puis il y a eu l’histoire avec Kelly et clairement je ne voulais pas aborder ce pan de ma vie avec elle. « Des fois, je fais des photos, mais c’est rare. » que je lui réponds avec un sourire. « Tu es modèle toi, non ? » Ou simplement une reine d’Instagram ? Je ne sais plus vraiment à vrai dire. « Make up léger ou tu fais des trucs qui se voient beaucoup ? » « Ça dépends de mon humeur. » que je réplique un brin taquin. « J’aime la couleur donc des fois ça détonne. » je hausse les épaules. « J’ai l’habitude de me maquiller pour le théâtre, c’est souvent extravaguant et ça me plaît. » Et je le fais aussi dans ma vie personnelle, parfois, quand je m’en sens le courage. « Ça sonne clicher, mais c’est quelque chose qui me plaît. » que je lui avoue dans un demi sourire. « Tu connais du monde dans le milieu ? »

Et j’entends ce Jack propose à Kelly au loin. Tel un enfant je relève le regard vers fronce le nez en souriant. « Deal. » Deal que l’on sera toujours unis à la fin de cette descente.[/color]

Ce n’était pas une fausse modeste, mais Kelly ne mettait jamais très bien en avant ses talents, qu’elle ne trouvait pas particulièrement brillants. Naturellement discrète concernant ses rares hobbies, elle étalait encore moins ses capacités dont elle parvenait constamment à douter. Et ce n’était pas non plus pour les encouragements, non, ni pour se rendre intéressante. Après tout, la brune était venue dans l’émission pour se prouver à elle-même. Elle ne s’était pas attendue à une initiation à un nouvel instrument parmi la listes des nouveautés. « Dis pas ça, tu t'en sors très bien pour une classe de ukulele en plein rapides en vrai. » Elle eut un rire franc. La situation sonnait comme le début d’une mauvaise blague. “C’est tellement inapproprié, pas vrai ? Si ça se trouve je ne fais que des fausses notes et tu n’entends rien à cause du casque et de l’eau.” C’était à peu près certain, d’ailleurs.

Elle ne savait comment aborder la proposition de Jack de boire un verre ensemble. Avec Colleen. Ne pas oublier Colleen. Mais Kelly y répondit par l’affirmative et l’engagement était fait. Elle se pinçait les lèvres comme pour atténuer son sourire bien trop grand -et cela ne donnait rien d’autre qu’une grimace étrange. Elle n’avait jamais flirté, elle ne savait pas comment s’y prendre. Etait-ce du flirt d’ailleurs ? Non, Jack était simplement gentil. C’était son palpitant à elle qui s’emballait sans raison.

« Quand on arrive en bas avec les autres, on s'organise un vrai apéro, tous ensemble. » il suggéra. « Je tenterai de trouver une guitare classique en attendant que vous remportiez les autres épreuves. Deal? » Kelly lui serra la main. Elle espérait bien qu’une fois au calme et vainqueurs de la rivière, les esprits seraient apaisés et le groupe pourrait passer du bon temps ensemble. C’était ce souvenir qu’elle voulait de cette réunion avec les anciens candidats, et cette dernière semaine de compétition. “C’est un date.” qu’elle répondit, tentant de se montrer bien plus assurée qu’elle ne l’était au fond d’elle, en train de fondre comme neige au soleil malgré l’eau froide qui se rappelait à eux à grands coups de vagues.

Et au loin, la rivière se préparait d'ailleurs à les rappeler à l'ordre.

Win : juste quelques secousses, des grosses vagues, accrochez-vous à vos rames nom de dieu !
So close : c'est un gros virage bien étroit, bonjour les rebonds
Fail : c'est une mini chute d'eau, et Loan manque à son tour de passer par dessus bord

Il est désolé. Moi je ne suis pas du tout désolée. Il me l’aurait dit s’il n’y avait pas eu Loan pour balancer la bombe ? “Sérieusement Martin ?” Je ne cherche même pas une réponse, ils ont tous décidé de jouer au con avec moi ce soir apparemment. Ils m’épuisent tous, alors je me rabat sur Loan. Qui pour une fois a l’air d’être la personne avec qui je suis la plus susceptible d’avoir une conversation calme et posée. Mais pour le moment il a juste le droit à un regard excédé de ma part. Peut-être qu’il sait pour son meilleur ami et moi, peut-être que non. Je ne sais pas, et ce n’est pas moi qui vais faire ce genre d’annonce. Il n’y a rien d’officiel, et ce n’est pas mon but que ça le devienne un jour. Et certainement pas après une annonce pareille. Il ne va pas pouvoir rester silencieux longtemps, je saurais ramener ce sujet sur le tapis.

La mode, les podiums, les paillettes. Ca c’est un sujet qui me branche. Alors je lui donne toute mon attention pour un temps indéterminé. Je n’ai pas envie de me concentrer sur Jack ou Martin. Il vaut de nouveau mieux pour eux qu’ils restent loin de moi. Il est d’accord avec moi pour les stylistes italiens et je hoche la tête en souriant un peu. “Professionnel ou tout seul ?” Je serais déçue qu’il n’ait jamais vraiment posé avec des professionnels avec le maquillage et les tenues qui vont avec. “Je suis beaucoup de choses.” Ou très peu selon les points de vue. Je n’ai pas de travail officiel, je ne travaille pas. Même si je vais sûrement devoir reconsidérer l’idée en rentrant à Brisbane. “J’espère que t’as déjà fait du rouge sur tes yeux.” S’il n’a pas fait ça il ne mérite même plus mon attention. “Seulement pour le théâtre ?” Je fronce les sourcils, je ne suis pas de genre à juger ce genre de comportement, bien au contraire. “Bien sûr.” J’ai déjà croisé des gens qui le feraient pâlir d’envie.

Un apéro ? “Tu pourras sûrement trouver une nouvelle personne à qui apprendre la musique !” Mais je n’ai pas le temps de parler que le raft commence à bouger dans tous les sens, oh non pas les rapides.

« Sérieusement Martin ? » Est-ce que le bateau pourrait se retourner, là maintenant. Est-ce que je pourrais réaliser le rêve de Kelly et me faire foudroyer par une puissance divine, juste maintenant. De suite. En express, si possible. Je ne pensais pas faire de faux pas, je parlais juste à mon meilleur ami. J’avais oublié que dans un si petit bateau, les oreilles traînent de partout. Elle a tout entendu Ivy et maintenant elle cherche des explications. Je ne suis personne pour lui en vouloir alors que je suis le premier à vouloir en apprendre plus sur Kelly depuis quelques temps. Tant pis pour moi. Je sais que Martin va m’en vouloir, mais ce n’est pas comme si je pouvais réellement faire machine arrière. Je dois assumer désormais. Et je suis tellement courageux que je préfère embarquer Ivy dans un tout autre sujet pour qu’elle oublie parfaitement l’existence même de l’activiste et se concentre uniquement sur ma tronche. C’est le moment d’être égoïste à fond mon petit Loan.

On en vient à parler de grands couturiers, de mode et surtout de make up. Je vois bien qu’elle a mordu à l’hameçon et vraiment j’en profite. « Professionnel ou tout seul ? » « Un professionnel une fois, sinon c’est de l’amateur la plupart du temps. » Je ne prétends pas être modèle photo loin de là. Je l’ai été pour de la danse, un peu pour de la mode, mais ce n’est pas mon activité principale et ce n’est surtout pas ma motivation première. Pour vivre, pour respirer, j’ai besoin d’être sur une scène, pas devant un objectif. « J’espère que t’as déjà fait du rouge sur tes yeux. » Elle me fait rire avec ses conseils et je hoche un peu la tête. « Pas souvent. J’ai les yeux verts, le bleu ça ressort bien souvent. » Oui parce que quand même, j’essaye d’accorder un minimum avec ma morphologie. Sauf au théâtre, mais tout est différent là-bas. « Non je me maquille dans la vie de tous les jours aussi. » que j’affirme fièrement. « Pas tous les jours, mais je me fais plaisir quand j’ai envie. » Je ne me mets pas de limite ou tout du moins j’essaye. Au fil des années, je me libère de plus en plus à ce sujet. Elle connaît du beau monde et je n’en doute même pas. « Tu danse non ? » Je la perçoit chez elle, cette vibe que l'on a tous, nous danseur.

Pas le temps de m’entendre, elle rage déjà sur ma partenaire et Jack qui semble flirter comme jamais. Un vrai tombeur celui-là. Je la sens bouillonner à mes côtés Ivy, en même temps que l’eau qui nous entoure. Et en une fraction de seconde, elle se rapproche du couple me laissant légèrement en plan.

Et tout chavire encore et encore. A croire qu’ils ont décidé de faire toutes les conneries possibles pour m’énerver alors que je ne peux même pas m’éloigner. C’était la leur risque et périls de me mettre dans ce bateau. Ils le savaient, c’est obligé. Et c’est exactement pour ça que je suis là, face à la caméra, à bouillir de l’intérieur en continuant d’essayer de me concentrer sur le sujet qu’a lancé Loan. C’est bien de parler mode, ça me donne l’impression de ne plus être sur l’eau. Je hoche la tête, c’est dommage que ça ne soit pas uniquement professionnel. C’est bien mieux ce genre de shootings que de simples photos sur un smartphone. “C’est parce que t’utilises pas les bonnes nuances de rouge et de prune.” Je raille et me recule un peu, j’ai raison, toujours, il devrait le savoir. Mes lèvres se pincent en un sourire, il se maquille aussi régulièrement et je hoche la tête, intéressant. “J’étais.” Et je mets ça au passé parce que je n’ai plus dansé depuis un long moment maintenant.

Mais le bateau bouge bien trop, trop fort. Je bouge dans tous les sens en me tournant brusquement vers Jack qui n’a visiblement pas encore fini son cours de guitare particulier. Je me rapproche, presque innocente. Presque. Mes yeux ne quittent pas Epstein qui doit forcément se douter de quelque chose, il ne peut pas être aussi naïf, ce n’est pas possible. Je penche légèrement la tête, et attends la prochaine secousse pour donner un coup de coude dans le ukulélé. “Oh le ukulélé.” Ma tête se tourne vers l’eau. “Oups.” Apparemment les instruments de musique en bois ne flottent pas. Je regarde l’instrument couler et on est de nouveau secoué. “Quel dommage.” Je souris et me cale à ma place, je tiens le regard de Jack, est ce qu’il va rager là ?

Comment a-t-il pu passer de ça : “C’est un date.” à ça : “Oh le ukulélé.” en deux poids deux mesures. Il est à côté de la plaque depuis le début de sa vie Epstein, et aujourd'hui n'est pas en reste quand la seule et unique chose à laquelle il se rattache maintenant, mis à part la main de Kelly qu'il n'a pas lâchée de la sienne, c'est le ukulele qui flotte au gré des ondées.

“Oups.” et elle en rajoute en plus la gamine. Elle fait exprès et elle lance des combats qu'elle n'est pas du tout en vigueur de mener quand la seconde d'avant elle roucoulait aux oreilles d'un Martin pas assez repentant à son goût, d'un Martin père par-dessus tout.

“Quel dommage.” et lui il a rien entendu Jack, évidemment. Il a pas toutes les cartes dans le paquet et il n'a même pas de cartes à dire vrai. Il a encore moins d'instrument fétiche quand son coeur se serre d'entendre le bruit du bois craquer contre un rocher à portée. L'instant d'après, il ne voit pas la vague venir vers eux, et encore moins vers Ivy, désespéré comme un gamin qui vient de perdre le seul et unique cadeau qu'il voulait vraiment à Noël. Son seul et unique port d'attache à se sentir lui-même dans une suite d'épreuves qui le sort de sa zone de confort depuis des semaines.

Quand la dite vague attrape Ivy de plein fouet, sans aucun cri de ralliement pour lancer la malchance, c'est la commotion totale dans l'embarcation de voir la blonde passer aussi vite et aussi dramatiquement par-dessus bord.

Oups.
Quel dommage.

Mais évidemment que l'appel du karma sert à rien, quand il saute d'un coup d'un seul à l'eau le canadien. Il ragera plus tard et il ragera bien, pour le moment il cherche Ivy d'abord, le ukulele ensuite. L'ordre de priorités a changé.

Le ukulélé a fini à l’eau, les mains de Kelly sont vides et j’ai récupéré toute l’attention de Jack. Comment la vie pourrait être plus belle ? Il bouillonne là ? Faites que oui. Certains diraient que c’est la seule chose dont j’ai besoin, que quelqu’un me remette à ma place. Et pourtant Jack ne le fait jamais. Il est toujours conciliant, toujours gentil et à l’écoute de tout ce que je peux dire ou faire. Mais là, son regard change un peu et je ne le lâche pas pour autant. Le scandal c’est pour la bonne télé pas vrai ? J’en fais de la bonne télé là, la production va être ravie.

Je pourrais m’en vouloir de lui enlever une chose à laquelle il tenait si je n’étais pas la pire personne de l’univers. Mais je le suis, quel dommage pour toutes les personnes présentent sur cette bouée. Kelly m’en voudra sûrement de casser son date, et ça aussi je m’en fou. Et c’est peut-être parce que je ne veux pas être celle qui lâche le regard de l’autre la première que je ne la vois pas la vague qui arrive droit sur moi.

C’est ça qu’on appelle le karma ? Je passe par dessus bord sans avoir le temps de réagir. Je n’ai pas eu le temps de prendre ma respiration, je ne sais pas comment, mais je me retrouve sous l’embarcation. Impossible de remonter à la surface, le gilet me colle en dessous du bateau et là je panique un peu. Mais par chance, quelques secondes plus tard, un rocher secoue de nouveau le raft et je finis par passer derrière et remonter à la surface. Je m’étouffe un peu, et reprends ma respiration comme je le peux. Quelle conne, j’aurais dû regarder, je ne sais pas comment je vais pouvoir les rattraper et remonter sur ce truc.