Depuis l’annonce de la grossesse de Joanne, je m’étais promis de garder mes appréhensions pour moi autant que possible afin d’avoir l’air toujours aussi solide et qu’elle n’ait pas l’impression que je pourrais être capable de me défiler sans prévenir. Je ne pourrais jamais les laisser tomber, ni elle ni notre fils, et encore moins tourner le dos à ces responsabilités, ce n’est pas mon genre. Mais le temps passe, l’échéance approche, et cette petite boule au ventre qui avait fait son apparition peu après avoir vraiment réalisé qu’il a un petit être grandissant en ce moment même au sein de la jeune femme continue de grossir petit à petit et se fait plus oppressante. Cela vient par vagues. Parfois je n’ai aucun doute, parfois je panique. Il y a des moments où je me dis que je saurais être un bon père pour cet enfant, et d’autres où je me vois être le pire parent qui soit. Je ne sais pas comment on élève un enfant, j’ai toujours été si livré à moi-même, encadré de manière particulièrement stricte et sans la moindre écoute, ignoré la plupart du temps, rabaissé lorsqu’on remarquait que j’existe. Dès le berceau j’étais un nœud à problèmes. Et si j’en devenais un pour mon propre fils et pour ma femme ? Je peux les aimer plus que tout, être prêt à tout pour eux, mais cela n’assure pas que je prendrai les bonnes décisions ni que cela suffira. Peut-être que mon esprit sera plus clair une fois devant le fait accompli. « Ou ça me semblera encore plus irréel et improbable. » dis-je tout bas, l’esquisse d’un sourire triste animant le coin de mes lèvres. Ce n’est pas contre Joanne ni contre le bébé. Ce n’est que moi qui suis persuadé que tout est bien trop beau pour que j’y aie droit. « Je n’étais pas censé avoir le droit d’être heureux. » j’ajoute sans savoir si la jeune femme comprendra. Après tout, elle a toujours été chérie par toute sa famille. Surprotégée, mais aimée, acceptée, guidée comme il se doit. Moi j’étais un intrus, et celui qui a conduit son propre frère au bout d’une corde. A partir de là, difficile de croire que l’on mérite quoi que ce soit, ni amour, ni famille. Pourtant tout est là. « Heureusement que nous nous sommes retrouvés alors. » dis-je en déposant un petit baiser sur la tempe de Joanne. Mon âme sœur. L’on y croit vraiment que lorsqu’on la trouve –si on la trouve. Je lui confie finalement mes peurs, non sans craindre son regard. Mais quand elle se redresse pour planter ses iris dans les miens, ils sont toujours amplis de cette douceur qui me fait sentir si bien. Je me sens égoïste de lui dire tout ce qui me fait trembler à l’idée de la naissance de notre fils, alors qu’elle aussi doit avoir peur pour bien des choses. Savoir mes craintes ne risque pas de la mettre plus en confiance. D’autant plus que mon esprit s’embourbe dans ces frayeurs comme dans des sables mouvants et ne trouve pas le moyen de se sortir de là, ne faisant que s’enfoncer à force de se débattre. Je ne sais pas pourquoi il me semble évident que Joanne saura bien mieux y faire que moi, sûrement parce que son environnement a été plus sain que le mien, pourtant elle fera aussi des erreurs, c’est également son premier enfant après tout, fibre maternelle ou non. Sachant mon manque d’exemple paternel, elle me conseille de me tourner vers son père. « Oh non, surtout pas. Il va croire que je ne tiens pas la route s’il me voit mort de peur. Il va se demander quel genre de type va s’occuper de son petit-fils. » Déjà qu’il doit toujours avoir une certaine méfiance vis-à-vis de moi, me montrer peu confiant ne le rassurera pas non plus. Je suppose qu’aucun père ne veut voir sa fille fonder une famille avec un homme qui doute autant. Je soupire. J’ai l’impression d’être une calamité. « Avec de la chance nous respecterons une certaine parité. » je réponds à Joanne en haussant les épaules, souriant un peu pour dédramatiser. Je n’oublie pas nos plans de famille nombreuse ; deux garçons et deux filles, cela pourrait être un bon équilibre à la maison. Pour une fois, la jeune femme est plus confiante et optimiste que moi. C’est assez rare, mais j’avoue avoir bien besoin d’entendre quelques paroles rassurantes, même si je n’y crois qu’à moitié. Cela quand même un peu. « Mais ce n’est pas parce qu’on se soucie de son bien –être et qu’on l’aime qu’on fait les choses bien. » je murmure, visiblement incapable de me raisonner cette fois. Je n’ose pas vraiment croiser le regard de Joanne. Je n’aime pas me montrer aussi négatif, même si cela est rare. Je n’aime pas laisser entrevoir à quel point je peux être hautement faillible. « Peut-être qu’on ne s’entendra pas, lui et moi. Peut-être qu’on ne sera jamais d’accord toi et moi. » Cela ne serait pas la première fois que nos différences de milieu se mettraient entre nous deux. « J’ai l’impression que je vais tout faire de travers, que je ne vais jamais savoir quoi dire ou comment réagir, et que tu devras toujours tout réparer derrière. » Je me pince les lèvres comme pour me forcer à arrêter de m’étendre à ce sujet. Je ne sais pas s’il est possible de dire quoi que ce soit pour me rassurer. Je lâche tout de même, découragé ; « Tu finiras par me trouver incapable, toi aussi, et tu regretteras tout ça. »
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Joanne n'avait pas l'habitude de voir son fiancé aussi pessimiste, aussi découragé. Il avait une si mauvaise image de lui-même qu'il avait peur de ne transmettre que ses mauvais côtés à son enfant, ou ne lui rien transmettre du tout. Il ne pensait pas être capable de réaliser tout ce qui était en train de se passer dans sa vie, tout ce qu'il y avait de bien. Elle lui sourit tendrement. "Alors tu continueras de vivre un rêve éveillé." Ce qui, en soi, n'était pas si mal que ça. Elle savait qu'il avait eu une enfance très difficile, qu'on ne lui permettait d'avoir le sourire - ce n'était que faire semblant - et d'être un enfant heureux. "Et moi, je te donne ce droit là, Jamie." lui répondit-elle aussitôt, sans l'ombre d'un doute dans sa voix. "Tu as le droit de faire ce que tu veux de ta vie, de tout mettre en oeuvre pour que tu vives tout ce bonheur d'autant que tu le veux. Et je ne laisserai personne laisser ternir le tableau que nous sommes en train de dessiner." Il fuyait souvent son regard, comme s'il avait honte d'avoir autant de craintes et d'appréhension. Alors, elle se montrait toujours présente en lui caressant tendrement la joue du bout de ses doigts ou en l'embrassant au niveau de la mâchoire. Lorsqu'il souriait, c'était pour avoir un sourire triste, lui faire croire que ses mots pansaient ses peurs. Elle savait bien que ses peurs continueraient à le ronger. Il ne préférait même pas aller voir le père de Joanne pour trouver quelques conseils auprès de lui. "Je ne vois pas ce qu'il y a de honteux à demander conseil auprès de personnes ayant de l'expérience. Je pense qu'il verrait par là que tu cherches à faire de ton mieux. Si tu lui expliques que tu n'avais clairement pas un père sur qui prendre exemple, il comprendra. Je pense même qu'ils attendent qu'on les sollicite, même si ce n'est que pour quelques petites bricoles, des choses qui peuvent sembler insignifiantes." Sa voix restait, et sans jugement. "C'est le rôle de tout parent, d'apprendre à leurs enfants de le devenir aussi. Les tiens ne sont pas vraiment exemplaires, alors viens puiser des ressources auprès des miens." dit-elle, bien fixée sur son idée. "Ils t'aiment beaucoup, tu sais." Ils avaient largement ressenti qu'il n'avait pas eu une vie facile jusque là, et ils voulaient, tout autant que leur fille, qu'il soit désormais heureux et qu'il construise la vie qu'il désire. Jamie cherchait la petite bête dans chaque phrase dite par sa belle, qui gardait son calme - car tout ceci pourrait très bien partir en querelle, mais elle restait sereine, attendrie. Elle l'écoutait avec toujours autant d'attention. "Peut-être que vous vous entendrez merveilleusement bien." commença-t-elle. "Et oui, il y aura des désaccords, parce que nous sommes différents, parce que nos idéaux sont différents, et s'il y a des tensions, au fond, ce n'est que parce que nous voudrons le meilleur pour lui. Ce n'est pas quelque chose que je crains même si j'ai horreur de me prendre la tête avec toi." Elle l'embrassa au niveau de l'épaule. Il ne se voyait que faire des erreurs, se qualifiant même d'incapable, comme ses parents s'étaient tellement plus à lui dire durant des années. "Et je réparerai derrière, ce n'est pas grave." dit-elle avec un sourire rassurant. "C'est en faisant des erreurs qu'on apprend. J'en ferai aussi, plein." Elle le força à pivoter son visage dans sa direction, et prit d'assaut ses si beaux yeux verts avec les siens, ne le quittant pas un seul instant. "Mais jamais tu ne seras un incapable, mon amour. Jamais." Son ton restait doux, mais avec une certaine fermeté. "La seule chose que j'ai pu regretter jusque là, c'est de t'avoir éloigné de moi. Je sais que je veux que nous élevons cet enfant ensemble, et nous apprendrons à être parents ensemble. Nous sommes d'accord sur de nombreux points : il ne manquera pas d'amour, et nous ferons tout ce qu'il faut pour qu'il se sente heureux." Elle l'embrassa tendrement, à plusieurs reprises. "Et nous aurons toujours des périodes de doute, mais je ne te laisserai jamais noyé dans ces sombres pensées. Tu as déjà tellement fait pour acquérir ton bonheur Jamie, tu as défié des personnes que tu n'aurais jamais pensé surpassé un jour et tu t'es toujours donné les moyens. Les règles ne changent pas. Et nous allons vivre ce bonheur ensemble, et le faire perdurer." Joanne gardait toujours ce sourire tendre dessiné sur ses lèvres, croyant dur comme fer ses paroles. Elle savait qu'il n'aimait pas se confier sur de telles choses, mais il fallait bien que ça sorte. La fatigue et ses plannings chargés ne devaient sûrement pas arranger les choses. "Ferme les yeux, mon amour, et endors-toi, tu en as besoin." lui chuchota-t-elle, en attendant qu'il s’exécute, ses doigts caressant toujours doucement sa joue. Elle lui fit un dernier baiser tendre pour lui dire bonne nuit, et continuait ses gestes de tendresse et veilla sur lui jusqu'à ce que le sommeil vienne apaiser son esprit torturé.
Les paroles de Joanne apportent un peu de réconfort. Cela ne suffit pas à me rassurer et me mettre d’aplomb, mais cela calme un peu mes angoisses pour ce soir. Mon esprit est particulièrement de mauvaise foi malgré tout. Cela me gêne atrocement d’aller demander des conseils auprès des parents de la jeune femme. « Si je lui explique que je n’ai pas eu d’exemple, il faudra que j’explicite pourquoi, et je ne suis pas certain que cela lui donne une bonne image de moi. » Après tout, il est aisé de baser une partie du jugement concernant une personne sur son environnement, sa famille, et si l’on prend cela en compte me concernant, il y a de quoi se méfier. Peut-être avec raison. Après tout, j’ai déjà prouvé que j’étais capable de me hausser au niveau de mes parents même dans les pires vices de famille. « Je ne sais pas. Je vais y réfléchir. » je soupire en haussant les épaules. De toute manière, il faudra bien que je parle de moi un jour. Et si Joanne pense que l’expression de mes craintes ne sera pas mal vu par ses parents, alors pourquoi pas. Elle le sait mieux que moi. Du reste, je demeure muet. J’écoute attentivement la jeune femme, essaye de me persuader avec tout ce qu’elle dit, ou au moins de croire qu’elle pense chacune de ses paroles, ce qui peut déjà suffire à me faire sentir mieux. Je réponds à ses baisers, fermant les yeux comme pour assimiler toute l’affection qu’elle met dedans. Je pose une main sur sa joue, caressant tendrement son visage. Si elle croit en moi, si elle a confiance en moi, et en nous, je ne devrais pas avoir besoin de quoi que ce soit d’autre. « Je t’aime. » je murmure, mon front contre le sien, avant qu’elle ne m’embrasse, me conseillant de dormir. La fatigue pesant sur les nerfs n’aide jamais à avoir l’esprit tranquille. J’acquiesce d’un signe de tête. Une nuit de sommeil me fera du bien. Alors je ferme les yeux, sachant que je ne tarderai pas à dormir, comme toujours. « Bonne nuit, mon ange. » je souffle après avoir déposé un baiser sur le haut de son crâne. C’est la première fois depuis bien trop longtemps que j’articule ce petit surnom. La journée suivante est des plus riches. Malgré une longue grasse matinée et un brunch tardif, sans nous presser, nous passons tout l’après-midi en ville. Comme prévu, nous passons des heures au zoo. Je tire Joanne dans les allées avec toujours la même excitation, et si cela n’avait tenu qu’à moi, nous aurions passé bien plus d’un quart d’heure devant les pingouins et les phoques. Comme le veut la tradition, nous prenons une glace en marchant. Nous nous arrêtons dès que la jeune femme en a besoin pour ménager son dos. A la sortie du zoo, nous restons donc une bonne heure dans le parc adjacent, allongés dans l’herbe non loin du fleuve. Ce dimanche-là, la ville est bordée de différents marchés, dont plusieurs centaines de mètres de fleurs de toutes les formes, toutes les couleurs, toutes les senteurs. Nous prenons une pause dans un café près de la marina. Nous retournons sur la plage où nous nous étions rendus la première fois, juste histoire de sentir le sable sous nos orteils. Puis nous dînons dans un de ces restaurants branchés surfant sur la vague bio qui a investi le sommet d’un des buildings de la ville, d’où nous pouvons manger en surplombant tout Sydney, et admirer le coucher de soleil d’encore un autre point de vue. Après cette longue journée, je me laisse tomber dans le canapé de la suite. Je m’endors en moins de deux comme un petit garçon épuisé par sa journée pleine d’émotions. C’est Joanne qui me secoue légèrement, me sortant juste assez de ma torpeur pour que je me lève, me change et file au lit. Le sommeil me happe si profondément que je serais bien incapable de dire si la jeune femme m’a rejoint immédiatement ou non. Mais j’imagine qu’elle est restée dehors un instant, à profiter encore de la vue, de Sydney de nuit avant que nous ne quittions la ville demain. Nous ne rentrons pas à Brisbane néanmoins. Le voyage continue, la destination change. Quand j’ouvre les yeux, elle est près de moi, endormie. La laissant se reposer, je m’occupe de libérer la chambre, payer ce qui doit être payé à la réception, commander un taxi pour l’aéroport devant arriver dans une heure, sans oublier d’acheter les tickets pour notre prochaine halte. A mon retour, Joanne émerge à peine. Un thé chaud, un jus de fruits et quelques viennoiseries suffisent à la sortir totalement de sa torpeur. Nous ne tardons pas plus avant de quitter l’hôtel, un peu trop précipitamment à notre goût, c’est sûr, mais notre vol est dans moins de deux heures. C’est une fois à l’aéroport que je fais subir à Joanne le même traitement que celui auquel j’ai eu droit pour venir à Sydney ; je bande ses jolis yeux bleus afin qu’elle ne puisse pas savoir où nous nous rendons et couvre ses oreilles à la moindre annonce qui pourrait trahir cette destination. Je la guide doucement dans les couloirs, jusqu’à l’avion, et libère sa vue une fois que nous avons décollé. Le voyage dure cinq heures. J’entends déjà Winters me maudire pour cela, et j’avoue que j’aurais préféré l’éviter. Mais entre quelques heures d’avion et deux jours de voiture, il n’y a pas photo. Je me dis que notre fils est bien protégé dans le ventre de sa mère –et d’après google, le second trimestre de grossesse est le plus propice aux voyages en avion, alors théoriquement, tout ira bien. Et c’est le cas. Nous volons sans encombre au-dessus des nuages, dans un ciel clair. Je laisse Joanne s’endormir sur mon épaule si elle le souhaite, commander autant de consommations qu’elle le désire. Je ne réponds à aucune de ses questions sur mes intentions, ne lui fournit pas le moindre indice. Je bande de nouveaux ses yeux quand nous amorçons notre descente. Nos bagages récupérés et après avoir loué une voiture jusqu’à demain soir, je fais monter la jeune femme dans l’auto et conduit encore une bonne heure à travers la ville bondée. Autant de temps que je passe au téléphone pour aider aux bouclages de la journée au sein de la radio et prendre mes dispositions pour les prochains jours. L’actualité semble assez calme pour que mon absence ne soit pas trop handicapante si je prends le temps d’être disponible par mail et sms. Garé devant l’endroit en question, je coupe le moteur. « Prête ? » je demande en retirant délicatement le tissu qui couvre son regard bleu. Je la laisse s’habituer à la lumière, même si nous sommes en fin de journée, puis sortir de la voiture. L’endroit est assez rural, mais on sent que la ville cherche à grignoter du terrain par ici. Néanmoins, les grandes plaines sont intactes. Au bout de la rue, après quelques mètres de chemin terreux, se dresse le ranch du soldat dont j’avais trouvé l’adresse. On devine les restaurations consécutives au fil des années, mais l’architecture est fidèle à ce qu’elle était dans le temps, les façades en bois conservant toute la rusticité de la maison. Elle est entourée par une clôture en bois qui délimite le terrain lui appartenant et dans lequel les silhouettes de quelques chevaux peuvent évoluer. La boîte aux lettres semble d’origine. « Et voilà. Bienvenue chez nous. En quelque sorte. » Le chez nous d’un autre nous, même s’ils n’ont pas eu l’occasion d’y mettre les pieds. En tout cas, c’est ici même que le Daniel des lettres est né, a grandi, a vécu, et l’endroit vers lequel toutes ses pensées convergeaient –avant qu’il ne rencontre Lucy et qu’elles ne convergent vers elle. Il ne faut pas longtemps avant qu’un immense chien de berger ne déboule et nous accueille en aboyant, sautillant derrière la clôture. Sa maîtresse, une femme relativement âgée, sort alors du ranch. « Bonsoir ! Vous devez être monsieur Keynes ! Je m’appelle Margareth. » Elle nous sourit largement, chaleureuse et amicale. Le chien profite de la seconde où elle ouvre le portail pour venir faire la fête à Joanne. La propriétaire, elle, s’approche de moi, me toise un instant, puis reprends ; « J’espère que vous avez fait bon voyage. Votre chambre est prête, et j’étais en train de m’occuper du dîner. J’espère que vous aimez le lapin. » Je n’ose pas dire le contraire et la remercie pour sa gentillesse. Puisque les temps ne sont plus ce qu’ils étaient et que les chevaux n’ont plus l’utilité d’antan, le ranch a poursuivi son activité parallèle jusqu’à devenir une chambre d’hôtes. Un petit havre de paix pour ceux qui se rendent à Perth et souhaitent dormir en retrait de la ville, se ressourcer un peu. « En voilà un joli ventre rond ! » lance-t-elle à ma fiancée. « Toutes mes félicitations. » Elle rappelle le chien et nous invite à rentrer. Je suis Margareth de près dans la maison, portant nos affaires pendant qu’elle nous indique où se trouve notre chambre après nous avoir rapidement montré les différentes pièces de la maison. L’endroit est modeste, la décoration un peu vieillotte, mais dans le fond c’est charmant. Il y a une certaine âme dans ces lieux, une certaine chaleur. La chambre est assez petite, mais comporte tout ce qu’il faut, et même une minuscule salle de bains. « Le dîner sera prêt dans une heure. N’hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit. » La voilà qui nous laisse seuls.
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Joanne savait qu'elle ne l'avait pas entièrement convaincu, mais sentir qu'il était un tant soit peu apaisé pour le reste de la soirée la satisfaisait déjà largement. Il restait tout de même sceptique quant à l'idée de venir chercher quelques informations auprès du père Prescott, ce qu'elle pouvait comprendre. Il ne tenait certainement pas à débammer toute sa vie comme ça, même s'il se doutait que ce passage allait finir par être obligatoire. Joanne n'en dit pas plus, pour cette fois-ci, mais restait bien convaincue de la moindre de ses pensées au sujet de son si beau fiancé. Après quelques mots d'amour et un surnom qu'il était le seul à utiliser pour elle, Jamie ne tarda pas à s'endormir, comme toujours. Il n'avait jamais eu de véritables troubles du sommeil, comme sa belle, à moins que ce ne soit sa présence qui lui permette de passer des nuits aussi complètes. Une fois qu'elle était assurée qu'il s'était bien endormi, elle posa sa tête contre son torse, prenant un peu plus de temps pour se perdre dans les bras de Morphée. La journée suivante fut des plus complètes. La visite du zoo prit une bonne partie de la journée, et elle avait retrouvé en Jamie cet enfant qui s'émerveillait d'un rien. Elle adorait le voir si épanoui, si impressionnable, et se laissait guider par lui, selon quels animaux il tenait à voir. La seule condition était de s'asseoir de temps en temps, afin que le dos de Joanne n'en subisse pas trop. L'Anglais restait toujours extrêmement bienveillant à ce sujet, malgré toute l'excitation qu'il avait à l'idée d'être dans ce type d'endroits. A la fin de la visite, ils s'allongèrent dans l'herbe, pour le plus grand bonheur de la belle blonde. Elle se laissait bercer par les senteurs florales flottaient autour d'eux, ils respiraient un peu de nature. Ils avaient enchaîné ensuite en allant dans un café et se désaltérer, puis se rendirent une dernière fois sur la plage afin de profiter d'un ciel adoptant des couleurs chaudes avant que la nuit n'arrive, et enfin, ils allaient au restaurant, avec cette vue incroyable qui avait émerveillé la jeune femme. Une journée des plus chargées, mais qui fut un véritable régal pour le couple. Jamie avait été si épuisé qu'il s'était très rapidement endormi sur le canapé. Joanne dut le réveiller en douceur afin qu'il aille se ressourcer sous une couette, et surtout, qu'elle puisse être dans ses bras. Mais elle ne le rejoignit pas tout de suite. Bien trop amoureuse de cette suite et de la vue que l'on pouvait lui offrir, elle resta encore une dizaine de minutes sur la terrasse, avant de se changer et de le rejoindre. Elle s'endormit aussi très rapidement, dans un sommeil si profond qu'elle ne sentit même pas Jamie sortir du lit le lendemain matin pour régler certaines affaires. Elle émergea difficilement, mais il fallait un peu se presser, puisqu'un avion les attendait. Somnolente tout du long, elle ne rumina pas trop lorsqu'il lui banda les yeux, même si sa curiosité la piquait constamment. Elle souriait parfois d'excitation, ayant de voir par elle-même ce qu'il lui réservait. Elle ne comptait pas les heures de vol et passa le plus clair de son temps à bord à dormir, sa tête posée contre l'épaule de son fiancé. Arrivés sur place, Jamie avait loué une voiture, et il y avait encore un peu de route avant qu'ils n'arrivent à destination. Joanne était restée incroyablement silencieuse et patiente jusqu'à ce qu'il ne gare le véhicule. Il lui retira le foulard qui couvrait ses yeux et fut d'abord longuement éblouie. Les yeux clairs ne pardonnaient pas. Puis il y avait progressivement plus de formes et plus de couleurs. "C'est un ranch..." constata-t-elle à voix basse. Il lui fallut quelques secondes afin d'assembler les bonnes informations, jusqu'à ce que ses yeux s'arrondissent de surprise. "C'est un ranch ! C'est le ranch ?" s'enthousiasma-t-elle, les yeux pétillants qui regardaient Jamie. On devinait aisément toute l'histoire qu'il y avait derrière cette habitation, et l'évolution urbaine qui rognait les limites agricoles. Elle était surprise qu'il parle de chez nous. "Tu y crois, alors ?" demanda-t-elle, avec un très léger sourire. Parce que ce n'était vraiment pas le cas jusqu'il y avait peu de temps. Ce n'était que des fantaisies et des coïncidences pour lui, rien de plus. Ils sortirent de la voiture et fut on ne peut plus chaleureusement accueillie par leur hôte. Joanne la salua avec le même enthousiasme. Elle lança un regard complice à Jamie lorsque la vieille femme évoquait le dîner du soir, le pauvre. Puis on nota la grossesse avancée de la belle blonde, qui la remercia d'un signe de tête. On les guida dans la chambre d'hôte, et tout émerveillait la jeune femme. Elle avait beau être citadine, elle aimait beaucoup se retirer dans ce genre d'endroits pour une poignée de jours. Cela lui rappelait beaucoup la maison de sa grand-même, quand elle passait des vacances chez elle. "C'est parfait." dit-elle tout bas une fois que leur hôte était partie. Elle regardait un peu la décoration de la chambre, la vue qu'offrait leur fenêtre. "Ca me fait un peu bizarre, tu sais, de savoir qu'il a grandi et vécu là. Et que nous y sommes maintenant. Comme si le cycle se refermait enfin." Joanne se sentait vraiment bien ici, et il y avait ce sourire dont elle n'allait pas se défaire de si tôt. Elle se dirigea vers lui, prit son visage entre ses mains et l'embrassa tendrement et longuement. "Merci. Merci encore. C'est juste... incroyable." dit-elle dans un rire. "Tu as eu le temps de lire leur journaux, ou de fouiller un peu plus dans leurs lettres ?" Ils violaient quelque part l'intimité de deux personnes qui s'aimaient aussi profondément, ça gênait parfois un peu la jeune femme. Mais elle était si obstinée que son histoire avec Jamie n'était qu'une sorte de continuité qu'elle se plaisait à croire que Dan et Lucy auraient voulu qu'ils sachent un peu de leur histoire, en ayant laissé ces traces écrites derrière. Joanne s'installa au bord du lit, tout de même épuisée par la journée de voyage. Elle prit la main de Jamie qu'elle embrassa également. "Pourquoi voulais-tu m'y emmener maintenant ?" demanda-t-elle curieuse, avec un sourire tendre. "Je croyais que tu pensais que tout ceci n'était que du hasard." ajouta-t-elle avec légèreté, le taquinant un petit peu. Peut-être que c'était toujours le cas.
« C'est le ranch, oui. » dis-je en acquiesçant d'un signe de tête. La surprise plaît à Joanne, comme prévu. Elle n'a pas tardé à reconnaître l'endroit, quand bien même elle ne l'avait jamais vu auparavant. Il n'y a qu'un seul endroit de ce genre dans lequel je pourrais vraiment tenir à venir. En revanche, je ne m'explique toujours pas cet intérêt que j'ai pour cette histoire -un intérêt qui frôle parfois l'obsession quand je me lance dans des recherches pour en savoir plus. Je ne sais pas si cela signifie que je crois à notre lien avec l'histoire de Dan et Lucy. Alors j'hausse les épaules, sans trop savoir quoi répondre à cela. Parfois j'y crois, parfois je me dis que nous cherchons trop à nous accrocher à une histoire qui correspond à l'une de celles que nous nous étions imaginées pour donner du crédit à cette hypothèse, la seule que nous avons trouvé, pour justifier notre propre vécu. Après tout, cela semble presque trop facile de tomber sur la romance d'un soldat et d'une infirmière alors que nous l'avions évoqué entre nous quelques semaines plus tôt. Et des soldats tombés sous le charme d'infirmières, ce n'est pas ce qui manque. Pourtant, je suis très loin d'être de ceux qui croient au hasard. Je ne sais pas pourquoi je m'obstine à y croire dans ce cas précis. Peut-être qu'une petite partie de moi a peur que Joanne ait raison. Mais peur de quoi, c'est encore une autre question. Il règne un certain malaise en fond de cette fascination et de cette excitation que je ressens en étant ici. Je me sens bien dans cette maison, je me sens un peu chez moi, et pourtant j'ai l'impression de fouler un terrain interdit, comme si je ne devrais pas être là. « Ca me fait un peu bizarre aussi. J'ai l'impression d'être à la poursuite d'un fantôme, sans trop savoir pourquoi. » Cette histoire m'est tombée entre les mains quand Joanne et moi étions séparés et a suscité en moi un très vif intérêt immédiatement. Est-ce que cela m’obséderait autant si je n'y croyais pas ? A moins que je me sois pris de passion pour eux parce que je savais que Joanne, elle, y croirait dur comme fer en tombant sur ces lettres. Je voyais dans cette enquête comme un moyen de garder un peu d'elle avec moi. Je cherchais des réponses sur nous à travers eux. « Je t'avais dit que ça allait te plaire. » dis-je en souriant à la jeune femme, tapotant le bout le son ne avec le mien avant de l'embrasser à mon tour. Dans le cours de mes pensées qui divaguent, un peu perdues à propos de tout ceci, je me demande si notre fils ressent quoi que ce soit de spécial en étant dans cet endroit. Mais c'est idiot, il n'a aucune idée d'où il se trouve, si ce n'est avec sa maman. Je m'assied à côté d'elle sur le lit. « J'ai seulement lu les lettres. Je les ai terminées, relues une ou deux fois pour certaines. » dis-je mains jointes, comme terriblement gêné à l'idée de partager cette inexplicable lubie avec elle. « Mais je n'ai pas encore ouvert les journaux. C'est tellement intime, tu sais, que ça me gêne encore trop de pénétrer dans leurs têtes. Il y a juste une photo du ranch qui a glissé des pages de celui de Daniel, et ça m'a donné envie de venir ici pour en savoir plus sur lui. » L'endroit m'a parlé, et dès que j'ai posé les yeux sur le vieux cliché, il était devenu évident et vital de faire une halte ici un jour, très bientôt. « A la base, je voulais venir seul ici, continuer ma chasse aux fantômes. Je ne sais pas pourquoi ça a commencé à vraiment prendre de la place dans ma tête, j'avais juste besoin de venir et voir cet endroit de mes propres yeux, pour me rapprocher un peu plus d'eux. » Puis je comptais fouiller du côté du Lucy, et découvrir où elle vivait, si la maison tient toujours debout, et si c'est le cas, m'y rendre aussi et fouler les lieux où ils sont allé ensemble. Je ne sais pas à quoi je m'attends en faisant tout ceci. « Puisque nous étions déjà loin de Brisbane, et que je n'avais pas très envie de rentrer… Et tu as évoqué Dan comme prénom pour le bébé… Je sais que tu accordes beaucoup d'importance à leur histoire, alors… Je ne sais pas. Ca me semblait être un bon moment pour venir. » De plus, comme je le lui avait dit, nous n'aurons pas de meilleure occasion dans un futur proche. D'ailleurs, je ne sais pas quand nous trouverons le temps d'aller à Darwin, si nous voulons y aller un jour, car très bientôt Joanne ne pourra plus prendre l'avion et son dos ne supportera pas ce genre d'escapades. Il faudra attendre des mois avant d'y songer, et c'est frustrant au plus haut point. « Je ne sais pas trop ce que j'en pense. Tout est très étrange. » J'hausse les épaules. Je me pose sûrement trop de questions. J'en viens même à me demander si c'est un hasard d'être tombé sur tout cela un peu avant de devenir père. Si ce Daniel est comme un autre moi, peut-être que j'aurais des réponses sur la personne que je suis actuellement, de quoi remplir des vides qui participent à mon manque de confiance en moi et en mes capacités à être un bon père. Dans la contradiction la plus parfaite, je m'obstine à croire au hasard tout en cherchant des liens et des connexions de tous es côtés à propos de cette histoire. C'est à en perdre la tête. « J'espère qu'ils ne nous prendront pas trop pour des fous si nous les interrogeons sur leur famille. » dis-je avec un rire nerveux. Ils pourraient se vexer à l'idée que des étrangers se soient autant immiscés dans leur passé et possèdent les lettres et le journal qui devraient leur revenir. A mes yeux, s'ils les réclament, je leur les enverrai tout naturellement. Sans surprise, mon téléphone sonne de nouveau. Je m'attends à bon nombre de ce genre de petits interruptions, mais c'est un moindre mal. « Je dois prendre cet appel, excuse-moi mon ange. » Je l'embrasse rapidement sur le front et décroche. L'affaire prend un bon quart d'heure avant d'être réglée. Quand je remet mon téléphone dans la poche de mon pantalon, je saute sur mes jambes prêt à rattraper ces minutes perdues. « Allons un peu explorer ce ranch, hm ? » Je prends la main de Joanne et l'attire hors de la chambre que je ferme derrière nous. Cet étage n'est composé que de chambres -quatre, vu le nombre de portes. Au dessus, c'est un grenier assez haut de plafond où s'entassent pas mal de vieilleries dans lesquelles nous fouillerons peut-être plus tard si nous en avons le droit. Nous descendons donc les escaliers pour voir plus dans le détail le grand salon. Le chien est allongé, pattes en rond sur le tapis, à côté d'un large canapé. Il n'y a pas de cheminée, mais un assez grand poêle. Les murs débordent de bibliothèques et d'étagères qui croulent sous le poids de bon nombre de livres tenus droits par de multiples souvenirs et cadres photos. Difficile de savoir sur quoi poser le regard. Nous n'osons pas déranger en cuisine et voyons simplement la très longue et massive table en bois brut qui se trouve au milieu de la salle à manger, déjà préparée, bordée de chaque côté d'un banc. Quoi qu'il en soit, les odeurs qui traversent la petite porte à l'autre bout de la pièce donnent l'eau à la bouche. Finalement, nous sortons du ranch histoire d'apercevoir les chevaux. Accoudés à la clôture, nous pouvons voir d'ici toute la plaine qui prend la forme d'une colline à l'horizon, derrière laquelle le soleil se cache au fil des minutes. « Au départ, quand j'ai quitté Londres pour venir en Australie, je pensais finir dans un endroit comme celui-ci. » j'avoue à Joanne. Je voulais quelque chose de simple, revenir dans un cadre me rappelant le bout de campagne où j'ai passé mon enfance, la grande bâtisse en moins. Je voulais quitter le bruit et l'agitation de la ville, troquer tout ça pour un coin de terrain de ce genre. Il a suffit qu'on me propose le poste chez ABC pour que je balaye tout ça de mon esprit. « Finalement, ça attendra sûrement que j'ai des cheveux blancs. » j'ajoute avec un petit rire. Pourquoi pas, après tout. « On se sent facilement chez soi ici, tu ne trouves pas ? » Ou ce n'est que moi. Parce que c'est une sorte de chez moi.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Il s'était toujours passionnée de vieux documents, à fouiller dans des histoires oubliées. Joanne n'aurait pas pensé qu'il s'était tant attaché à l'histoire de Dan et Lucy au point de vouloir venir ici. Il parlait de chasse aux fantômes, comme s'il était poussé à les faire. Ces quelques lettres qu'il avait trouvé avaient certainement fini par l'obséder, le poussant à revenir sur les traces de ce couple idyllique. Il était vrai que l'on s'y sentait bien, dans ce ranch, malgré la décoration qui ne pouvait pas plaire à tout le monde. Tout était accueillant, confortable, tout leur tendait les bras pour s'y sentir comme chez soi. Joanne rit un peu à la remarque de son fiancé avant qu'il ne l'embrasse. "Je n'ai jamais douté de tes capacités à savoir ce qui peut me plaire ou non." lui répondit-elle avec un large sourire. Jamie avait déjà de base, d'excellent et avait toujours réussi à trouver les endroits et les choses qui allaient émerveiller sa belle. Il se démenait pour la satisfaire et elle s'en voulait de ne pas être capable de montrer toute sa reconnaissance. Ils étaient tous les deux assis au bord du lit, Jamie lui expliquant qu'il n'avait lu que les lettres à plusieurs reprises pour le moment. "Et qu'est-ce que tu as découvert ?" demanda-t-elle, de sa voix douce, curieuse, tout en lui caressant tendrement son cuir chevelu. Il avait l'air d'être un enfant qui partageait une passion qu'il pensait futile aux yeux des autres. Ce n'était pas le cas pour la jeune femme, qui avait hâte d'entendre ces petits détails qui l'avait marqué, ceux qui lui tenaient à coeur. Joanne n'aurait jamais pensé que cela tourne en une obsession pour lui. "Et nous y sommes, maintenant. Tous les deux." dit-elle à voix basse, avec un sourire tendre. "Je suis heureuse que tu m'aies emmenée ici. Tu sembles tout aussi attaché que moi à eux, finalement." Jamie semblait un peu perdu, par rapport à leur histoire, au fait d'être venu ici. Il était vrai qu'ils étaient largement à l'aise dans ce ranch, mais il y avait toujours ce mystère, cette étrangeté qui flottait et qui restait inexplicable. "Tu me dirais ce que tu trouves dans leur journal, quand tu te sentiras prêt de les lire ? Peut-être que l'on pourrait trouvé une photo d'eux. J'avoue être assez curieuse de voir comment ils étaient, s'ils nous ressemblent ou si nous sommes complètement différents d'eux." Elle devinait qu'il se posait énormément de questions autour d'eux, de leurs histoire. Elle déposa sa main sur sa cuisse, qu'elle caressa tendrement. "De ce que j'en sais, les personnes vivant de manière isolée, comme ça, sont toujours ravis de parler d'eux, et de leur famille. Ils sont moins secrets que les citadins." Petite, avec sa grand-mère, elle entendait de sacrées histoires du voisin ou d'un aïeul, avec une multitude de détails et ça l'avait toujours passionné. "Il faut essayer d'en parler, pendant le dîner peut-être." Ils furent ensuite interrompus par le téléphone de Jamie. C'était un avant-goût de leur retour à domicile, sans compter les retours tardifs et le temps qu'il devra prendre pour ses tableaux. Elle appréhendait beaucoup de revenir à Brisbane, de ce côté là. Elle avait toujours en tête leur conversation au restaurant, du fait qu'il veuille réaménager toute la maison avec elle, pour qu'elle s'y sente chez elle. Elle n'était pas très douée pour ce genre de choses et ne voyait pas ce qu'elle pourrait apporter de plus. Joanne restait plongée dans ces pensées un peu moins positives tout le temps de l'appel. Son fiancé l'en extirpa dès qu'il lui prit la main afin de l'attirer vers l'extérieur, pour aller découvrir le ranch et ses environs. Il y avait tellement de choses à voir, tellement de souvenirs dans cette maison. Elle pourrait y passer des heures. Il y avait déjà cette odeur délicieuse qui parcourait toutes les pièces de la maison. Le couple alla à l'extérieur, s'appuyant contre une barrière, à admirer l'horizon qui changeait peu à peu de couleurs. Jamie confia que ce qu'il voulait, au départ, c'était de vivre dans un endroit comme celui-ci. Mais d'opportunité en opportunité, il dut changer ses désirs. Elle lui sourit et acquiesça d'un signe de tête pour répondre à sa question. Joanne glissa sa main dans l'une des poches arrières du pantalon de Jamie, se collant contre lui. "Tu sais, on pourrait toujours regarder pour une maison de campagne." suggéra-t-elle après quelques minutes de silence. "Pas si loin de Brisbane, mais suffisamment retiré pour que l'on s'y sente loin. Comme ça nous pourrions y aller certains weekends, et ça permettrait à notre fils de découvrir un peu la campagne, le plaisir de courir dans d'immenses champs et les pique-nique à l'ombre d'un arbre." Cela lui semblait envisageable. "Si nous en avons les moyens." Ce n'était qu'une idée qui lui passait par la tête, et elle pensait que cela ferait le plus grand bien à son fiancé de se couper de son travail ne serait-ce que pour deux jours. "Tu pourras t'y ressourcer, retrouver du calme. Même si nous adorons Brisbane, jusqu'ici nous avions toujours apprecié nous y retirer pour une poignée de jours, pour nous sortir du quotidien. On aurait un deuxième chez nous, et les chiens s'y plairont aussi certainement." Il y avait tout un tas d'arguments pour avoir une résidence secondaire en campagne, Joanne en avait encore quelques uns en réserver, mais ce qu'elle voulait avant tout, c'était trouver des solutions qui puissent faire du bien à Jamie, qu'il ne se laisse pas manger par ses obligations. "Il faudrait insonoriser les murs d'une certaine chambre, mais ce ne serait pas un problème." ajouta-t-elle plus bas, en riant. "Pas la peine d'attendre les cheveux blancs." Tant qu'ils pouvaient se le permettre. Margareth arrivait quelques minutes plus tard, les invitant à rentrer afin de se mettre à table.
Résumer le contenu des lettres est difficile. Certaines étaient plus longues que d’autres, il y avait plein de détails, plein de petites choses qui, me semble-t-il, n’auraient l’air de rien dites à voix haute. Il faut les lire pour comprendre pourquoi cela rend ces deux êtres encore plus attachants. Alors quand Joanne me demande ce que j’ai découvert dans ces papiers, je réfléchis quelques secondes avant de répondre, mettant de l’ordre dans mes idées ; « Ils s’aimaient vraiment beaucoup. Ils avaient aussi cette évidence, comme quoi ils devaient être l’un avec l’autre, et ça les a frappé quasiment au premier regard. Ils avaient également l’impression de se connaître depuis bien avant leur première rencontre. Ils n’arrêtaient pas de dire que s’ils ne se revoyaient pas, ils se retrouveront dans la vie suivante. » La jeune femme verra sûrement cela comme un signe. Et j’avoue que c’est le détail qui m’a le plus troublé. Il y avait un certain réalisme concernant leurs chances de se retrouver, teintée d’optimisme à l’idée que la guerre finisse bientôt, et sachant qu’ils se reverront dans tous les cas, ici ou dans d’autres circonstances. « Ils avaient déjà des plans pour le futur, pour après la guerre. Ca leur donnait de l’espoir de l’évoquer. Je crois que Dan parle très peu du front dans ses lettres pour ne pas inquiéter Lucy. Il avait eu un accident là-bas qui avait provoqué une sorte de surdité, je crois. C’est très vague. Mais c’est à cause de ça qu’il est revenu. » Il me paraît assez miraculeux qu’il ait survécu avec ce handicap. Et on ne peut plus triste, d’ailleurs, qu’il y survive pour mieux mourir une fois rentré au pays. « Il faudrait que tu lises les lettres dans le détail toi aussi. » dis-je avec un sourire timide. Je sais qu’à la base je n’étais pas enthousiaste à l’idée de partager ma découverte, possessif jusqu’au bout des ongles, mais Joanne tient à cette histoire autant que moi. « Tu pourras lire les journaux aussi, si tu veux. » j’ajoute. Elle en saura ainsi autant que moi. Peut-être que les recherches à ce sujet pourront remplir un peu ses journées. « Lucy m’a eu l’air aussi douce que toi. » Mais pour ma part, je ne crois pas me reconnaître dans ce que j’ai perçu chez Dan. Et physiquement, je ne sais pas à quoi l’un ou l’autre ressemblait. Je n’ai encore rien trouvé à ce sujet. Peut-être y a-t-il des photos dans les journaux, ou mieux, en trouverons-nous une ici, entre autres renseignements. Nous pourrons poser nos questions lors du dîner, il me semble que nous sommes les seuls hôtes –en semaine, ce n’est pas étonnant. Joanne pense que notre curiosité ne sera pas mal vue. Je ne sais pas trop quoi en penser. A leur place, cela me mettrait particulièrement mal à l’aise. Avant d’être invités à table et après notre tour du propriétaire, nous profitons un peu du coucher de soleil, spectacle dont nous ne nous lassons pas. J’écoute attentivement ma fiancée m’exposant toutes les bonnes raisons d’investir dans une maison de campagne. Un endroit pour nous couper de la ville de temps en temps, où notre fils pourrait profiter du grand air comme je voulais que ce soit le cas. Nous en avons les moyens, ce n’est pas une question qui se pose. Et puis, nous n’avons pas besoin d’acheter la maison la plus luxueuse qui soit en retrait de la ville. Un endroit comme ce ranch suffirait amplement, petite touche de simplicité dans un quotidien toujours grandiose. « Ca semble être une bonne idée. » je murmure, un pied dans mes pensées, m’imaginant très bien me ressourcer de temps en temps dans un endroit pareil. Margareth nous retrouve et nous invite à venir dîner. Je dépose un baiser sur la joue de Joanne avant de la suivre ; « Nous regarderons ça plus en détail une fois à Brisbane. » Ce qui signifie qu’il est acté que nous ferons cette acquisition. Il faudra simplement faire quelques visites avant de jeter notre dévolu sur un second chez nous. Dans la salle à manger, un vieil homme, à peine plus âgé que Margareth, se trouve déjà à table. Il se lève pour nous saluer, nous adressant à chacun de poignée de main ferme et amicale. « Gareth, ravi de vous accueillir chez nous. » Le prénom me revient immédiatement ; il est la personne que je voulais voir. « Jamie. Ma fiancée, Joanne. Vous êtes monsieur Fitzpatrick, c’est ça ? » Il acquiesce d’un signe de tête. Pendant ce temps, son épouse sert le repas. Je l’arrête juste avant qu’elle ne s’attaque à mon assiette. « Margareth, je dois vous avouer quelque chose que j’aurais dû vous dire au téléphone bien avant, je suis désolé de ne pas y avoir pensé, mais je ne mange pas de viande. » Ses yeux s’arrondissent d’une manière fort drôle, puis elle hausse les épaules avec un petit rire. « Oh, eh bien le chien sera sûrement ravi d’avoir votre portion ! » Elle ne me sert donc qu’une assiette de légumes, mais bien assez généreuse. « Qu’est-ce qui vous amène du côté de Perth ? » demande Gareth histoire d’engager la conversation. J’adresse un regard gêné à Joanne. Je ne sais pas si je dois être honnête d’emblée ou tourner un peu autour du pot, tâter le terrain et aborder le sujet plus tard. Je choisis la première option. « Eh bien… C’est vous, pour ainsi dire. » L’homme arque un sourcil et me fait signe de poursuivre. « J’ai trouvé des lettres dans un sac, chez un antiquaire, il y a quelques semaines. Toute une correspondance entre un soldat au front en Malaisie et une infirmière vivant à Darwin. Daniel et Lucy. Je… J’ai fait quelques recherches sur eux, et… » Je n’arrive pas à finir ma phrase. Je suis bien incapable d’expliquer pourquoi je voulais venir en personne. Ni pourquoi je fais des recherches sur des gens qui me sont complètement inconnus. « Je sais que ça semble bizarre. » Il hausse les épaules, l’air de dire que oui, ça l’est un peu, mais qu’il en a vu d’autres. Il termine sa bouchée et j’attends patiemment une réplique en piquant dans mon assiette. « Daniel était mon oncle. Je l’ai peu connu, il a passé de nombreuses années sur le terrain, bien plus que ce qu’il fallait. C’était quelqu’un de bien. Tout le voisinage et les habitués du ranch étaient très tristes qu’il n’en revienne pas. Les meilleurs partent en premier, qu’ils répétaient tous. On aurait voulu l’enterrer ici, mais il est resté là-bas, à Darwin, avec sa belle. Ma mère disait qu’il préférait les chevaux à sa famille, et l’armée aux chevaux, mais je ne suis pas sûr que c’était très vrai. Mais la première fois qu’il a cité sa Lucy dans ses lettres, ça… Elle a dit qu’il avait enfin trouvé quelqu’un à aimer plus que tout ça. C’était un miracle en soi à les entendre. » Le souvenir le fait rire doucement. « C’est lui qui m’a mis sur un canasson dès que j’avais l’âge de monter. C’était un discret. On a toujours été une famille de brailleurs et c’était à qui parlait le plus fort pour couvrir les autres. Lui parlait peu, et assez bas. Je crois que j’ai une photo là-haut, quelque part. Je verrais si je vous la trouve. » Une étincelle dans mon regard laisse deviner à quel point j’espère qu’il mettra la main dessus. Cela le fait rire aussi. « Vous en êtes à combien de mois, Joanne ? » demande Margareth avant que le silence ne revienne.
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Jamie peinait à trouver des mots pour résumer tout ce qu'il avait lu. Certaines choses ne pouvaient pas être dites oralement. Entre eux, tout était beaucoup dans les caresses, et il y avait certainement des émotions qui se transmettaient bien différemment selon les mots empruntés, la courbe des lettres et l'odeur du papier. Mais ce qu'il lui disait n'était que des raisons supplémentaires de croire en toute cette histoire, qu'ils étaient tout aussi rêveurs qu'eux. Elle en avait presque les larmes aux yeux, mais elle ne parvint pas à dire quoi que ce soit, trop émue. Il tenait à ce qu'elle lise ces lettres, et fut même flattée qu'il le lui autorise. Il savait très bien se montrer possessif quand il le fallait. Mais pas pour cette fois-ci, il se doutait à quel point sa belle s'était attachée à ces deux personnes. Il l'invita même à lire les journaux, pendant ses longues journées à venir. Elle en fut ravie et s'enthousiasma d'avance d'avoir de nouvelles occupations. Ils étaient désormais à l'extérieur, Joanne venait juste de balancer cette idée folle que se prendre une résidence secondaire en pleine campagne. Jamie était d'abord beaucoup dans ses pensées, elle le regardait silencieusement, en lui caressant tendrement le dos. Mais il passait directement au plus concret en disant qu'ils allaient voir tout ça une fois qu'ils seraient à nouveau à Brisbane. Autant résumer sa réflexion par un oui. Elle espérait que ça l'aide un peu, de se couper ainsi du monde, n'avoir que son esprit entre sa famille et la nature. Il ne fallait pas faire patienter leurs hôtes davantage et le couple finit par rentrer dans la maison, où ils firent la connaissance de Gareth par une chaleureuse poigne de main. Installés autour de la table, Margareth servit copieusement chaque assiette. Dans celle de Joanne, il y en avait largement pour deux. Son fiancé fut des plus gênés en avouant qu'il était végétarien. Joanne lui sourit tendrement. Cela surprit de plus belle la cuisinière mais elle ne s'en offusqua pas une seule seconde. Gareth lança la conversation d'une manière basique, mais qui s'avérait beaucoup plus compliqué. Le regard de Jamie était gêné, le sien se voulait attendri et rassurant. Et il se lança dans ses explications sans passer par quatre chemins. Gareth n'en fut pas plus interloqué que ça et ne tarda pas à partager ce qu'il savait de Dan. Avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, Margareth, comme toute femme, était intéressée par le petit miracle qui grandissait dans son ventre. Joanne lui sourit amicalement. "C'est le début du cinquième mois." dit-elle de sa voix douce. Margareth en fut comme émerveillée, ses yeux de vieille femme se mirent à pétiller de plus belle. "C'est un petit garçon. Au début je voulais que ce soit la surprise et lui... un peu moins, mais les choses ont fait que j'ai fini par céder." dit-elle en riant, ne voulant pas rentrer dans ces détails là. "On le fera pour le prochain." lui dit-elle en regardant tendrement son fiancé, pour le taquiner un peu. "Vous voudriez avoir une famille nombreuse ?" Joanne acquiesça d'un signe de tête. "Nous allons essayer." Margareth la regardait d'un air interrogatif. "C'est assez... compliqué." Inutile de rentrer dans les détails. "Rien que celui-ci, nous l'appelons toujours notre petit miracle." La vieille dame avait certainement deviné ce qui se tramait derrière, la difficulté de concevoir, elle le faisait comprendre par son regard brun, d'une tendresse et d'une compassion que Joanne recevait volontiers. "Dan et Lucy ont été enterrés ensemble ?" Gareth vida sa bouche avant de répondre. "Ma mère m'a dit que oui. Il y avait eu beaucoup de morts, ce jour-là, mais apparemment les parents de Lucy s'étaient débrouillés pour qu'ils soient ensemble pour toujours." Son air devint plus grave. "Ce doit être horrible, que d'enterrer ainsi son propre enfant, alors qu'une belle vie l'attendait, avec tout ce dont elle avait besoin. Dan avait envoyé un portrait d'elle dans une de ses lettres, je sais que ma mère l'a aussi conservé. Elle n'arrêtait pas de dire qu'elle semblait être tout droit tombée du ciel, tellement elle semblait irréelle." s'exclama-t-il avec un sourire. "Je peux certainement aussi retrouver cette photo là. Puis-je vous demander pourquoi vous avez un tel intérêt pour eux ?" Joanne prit la main de Jamie et répondit à la question posée. "Nous sommes tous les deux passionnés de ce genre de vieux documents, même si c'est quelque peu intrusif. Il a suffi que nous lisions quelques unes de ces lettres trouvées par hasard pour nous attacher à eux et... nous y retrouver, quelque part. Leur vie est une belle histoire, bien que sa fin fut des plus tragiques. Mais si cela vous dérange et que vous teniez à ce que nous vous rendons tout ce que nous avons trouvé sur eux, nous vous les restituerons sans problème. C'est à vous, après tout." Les assiettes s'étaient presque vidées. "Non, gardez-les donc. Ce n'est pas donné à tout le monde de faire renaître ce genre de choses, et je n'ai pas vraiment le temps à m'atteler à cela, je préférerai que vous continuiez pour moi. Je sais que notre grenier regorge d'une multitude de souvenirs, mais mes vieux os ne me donnent plus vraiment l'opportunité de faire revivre tout ça. Gardez-les. Je vais voir ce que je peux vous trouver pendant que Margareth débarrasse la table." Et elle s'en chargea immédiatement. Joanne se redressa. "Laissez-moi vous aider."
Mes pensées m'absorbent quelques secondes alors que mon esprit range dans un coin toutes les informations données par le vieil homme. J'ai l'impression que Dan était aussi comme un mouton noir dans sa propre famille, trouvant refuge auprès de ses bêtes, et se donnant les moyens d'avoir un entourage lui ressemblant un peu plus. J'avais aussi lu sa peine lors de la mort de son frère d'armes, son meilleur ami. Les rapprochements sont troublants. Quand je sors de mes pensées, j'entends vaguement Joanne expliquer qu'elle attend un garçon. Elle s'était finalement senti obligée d'en dévoiler le sexe avant l'accouchement, mais ne comptait pas refaire cela pour le prochain. « Ou la prochaine. » je corrige avec un sourire complice à l'attention de la jeune femme. Même si nous avons plus de chances d'accueillir un autre garçon. Et que les chances d'avoir un fils unique sont aussi importantes. Margareth semble comprendre sans mal ce qui peut contrarier nos plans de famille nombreuse et son mari lui adresse un regard tendre. Il nous apprend que les amoureux des lettres sont enterrés ensemble à Darwin, ce qui me donne d'autant plus envie de m'y rendre. Quelque part, même si la famille de Dan aurait aimé l'avoir auprès d'eux, je pense que tout le monde fut tout de même heureux de le savoir auprès de la femme qu'il a tant aimé si éphémèrement. Je laisse volontiers Joanne expliquer la raison de notre fascination pour cette histoire. Elle met des mots là-dessus bien mieux que moi. Je suis assez soulagé que Gareth ne réclame pas tous les documents que nous avons, nous donnant par la même occasion sa bénédiction pour poursuivre les recherches à leur sujet. La chasse aux fantômes. Tandis que son épouse s'occupe de la table, avec l'aide de Joanne, l'homme se lève pour se rendre au grenier. « Je viens avec vous. » dis-je sans lui laisser le choix, ne comptant pas rester là sans rien faire. Alors nous grimpons les deux étages, un exercice qui ne semble pas déranger Gareth dont l'entretien du ranch a su garder en bonne forme. « Vous avez des enfants ? » je demande alors qu'il ouvre la porte menant aux combles et en allume la lumière, laissant voir quelques nuages de poussière qui se sont soulevés. « Non, malheureusement. Nous ne pouvions pas en avoir. » Je maudis ma curiosité. Et je trouve cela tellement triste que la famille de Dan s'éteigne avec son neveu. Je suppose que cela explique en partie le fait qu'il accepte que nous fouillons dans le passé. C'est une manière pour tout le monde de vivre plus longtemps dans la mémoire d'autres personnes. « Mais ce n'est pas grave, vous savez. Nous avons vécu l'un pour l'autre, nous avons su profiter de la vie à deux, nous avons vu le monde. » En témoignent la multitude de souvenirs qui décorent le salon et s'entassent ici. « Vous savez comment vous allez appeler votre bonhomme ? » demande-t-il pour détourner le sujet de lui. Je me retrouve une nouvelle fort terriblement nerveux, bafouillant quelques minutes. « On… Pour le moment, nous sommes arrêtés sur Daniel. » Gareth me regarde, d'abord dubitatif. Je me dis que, cette fois, il va s'offusquer et nous prendre pour des fous. Mais un sourire prend finalement place sur ses lèvres de plus en plus largement. « Très joli. » Au bout de quelques minutes, il sort d'une étagère un carton relativement grand ; je m'approche et le lui prend des mains avant qu'il n'ait à le porter et faire subir ce poids à son dos, même si le paquet n'est pas très lourd. Je pose le tout par terre. « Voilà tout ce qu'il reste comme affaires de Dan. Difficile de se dire qu'une vie peut tenir dans un carton, hein ? » J'acquiesce d'un signe de tête. C'est même effrayant de savoir que, au fond, nous finirons tous dans un carton au fond d'un grenier, pour peu qu'il y ait quelqu'un pour bien vouloir garder ce genre d'affaires pendant autant de temps. « Je vais peut-être vous laisser fouiller tranquillement. » dit le vieil home avant de retourner au rez-de-chaussée. Je plonge dans les vinyles, les vieux livres, sort les deux chemises qui restent, quelques babioles, de vieilles plaques. Je ne peux pas m'empêcher de tout regarder dans le détail, oubliant presque ce que je dois chercher. « Il est resté en haut. » lance Gareth à Joanne avant de sortir pour rentrer les chevaux dans leurs boxes. Quand la jeune femme montre le bout de son nez, je suis assis par terre, qu'importe la poussière, et lui tend deux morceaux de papier glacé. « J'ai trouvé les photos. » Dan et Lucy. Les clichés tournent au jaunâtre à quelques endroits, les coins sont cornés, mais du reste, ils sont en bon état. On peut parfaitement voir le visage des deux jeunes gens. « Elle était magnifique. » dis-je en posant mon regard sur Lucy. Elle avait les mêmes grands yeux bleus translucides que Joanne et cet air angélique.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie ne manqua pas le coche de noter une nouvelle fois à quel point il désirerait avoir une fille, le sosie parfait de sa Joanne. Celle-ci le regarda avec un sourire tout aussi complice, elle n'avait malheureusement pas son mot à dire sur le sexe de leur prochain bébé, si prochain il y a. Le vieux couple semblait savoir de quoi ils parlaient. Elle voyait dans le regard de son fiancé l'envie d'aller à Darwin, voir ces tombes de ses propres yeux, et pourquoi pas la maison dans laquelle Lucy avait grandi, si elle était toujours là. Il allait certainement prévoir ce petit séjour dès que ça leur sera permis. Ils en avaient, des destinations à voir. Les assiettes étaient vides et les deux hommes grimpèrent à l'étage pour chercher ces fameux clichés. Joanne aidait Margareth à dégager un peu la table de toute la vaisselle. La vieille dame ne pouvait s'empêcher de sourire en regardant son ventre rond. "Vous appréhendez l'accouchement ?" Joanne lui rendit ce rictus, bien qu'un peu triste. "Oui, beaucoup. J'ai des soucis de santé qui peuvent léser le bon déroulé de l'accouchement. Et c'est aussi à cause de ça que j'ai du mal à nous permettre d'avoir un enfant en bonne santé." Son interlocutrice semblait très inquiète en entendant son discours. "Vous aviez déjà essayé avant ?" "Pas volontairement, mais j'ai déjà eu une fausse-couche et un avortement." "Bonté du ciel !" dit Margareth, profondément émue. "Et je ne veux pas devenir une source de déception pour lui. Autant pour cette accouchement, ou si je n'arrive plus à avoir un bébé qui va bien." Margareth lui assura que ça ne serait pas le cas, qu'elle avait vu à quel point il l'aimait. Parce que tout ça aussi faisait partie de ses angoisses ; qu'à force d'essayer, Jamie finisse par se lasser et se détourner d'elle puisqu'elle était incapable de leur donner ce dont ils désiraient le plus. Elle n'osait pas lui en parler, ça ne serait qu'une nouvelle source de tension. Gareth redescendit, disant à la jeune femme que son cher et tendre était resté en haut. Margareth la remercia pour son aide et elle s'en allait à l'étage. Grimper toutes ces marches l'avaient un peu essoufflé. Elle s'installa à côté de lui, et il lui tendit les photographies qui avaient été retrouvées."Tu veux me rendre jalouse, c'est ça ?" dit-elle en riant, en complimentant le physique de l'infirmière. Joanne fut très longuement troublée par le cliché, il y avait tous ces nombreux détails qui faisait qu'il y avait énormément de similitudes entre la jeune Lucy et elle. Elle en restait muette longuement, et elle regarda ensuite la photographie de Dan. "Lui était un très bel homme." finit-elle par dire, un petit sourire en coin, en lui montrant le morceau de papier glacé, et lui déposant un baiser sur la joue. "Je trouve tout ça très troublant." finit-elle par dire, lui laissant avant quelques instant pour regarder son portrait. "Mais au moins, nous pouvons mettre des visages sur leur nom." Elle posa son menton sur son épaule. "Mais je pense que nous ne devrions pas demander d'emporter ces affaires. S'il a envoyé une photo d'elle ici, c'est peut-être pour qu'une partie d'elle reste avec lui, dans son ranch, autant que lui soit resté avec elle là-bas." lui dit-elle tout bas, comme pour ne pas troubler le silence apaisant de la pièce. "Et grâce à nous, ils ne seront pas oubliés de si tôt. Ces deux amants qui prévoyaient d'avoir de merveilleux jours ensemble, qui s'aimaient bien plus que de raison, mais il y a finalement eu quelque chose pour les maintenir séparé." Le nombre de choses similaires rendait tout ceci d'autant perturbant pour la jeune femme, donnant un aspect un peu mystique à toute cette histoire, qui n'était parti d'un rien, que d'un film qu'ils avaient regardé un soir. Il restaient dans le grenier de longues minutes, jusqu'à ce que Joanne propose. "Faisons encore un petit tour du ranch, avant que le soleil ne soit complètement couché, ça doit être beau à voir." Et l'air de la campagne leur ferait le plus grand bien. Joanne se releva, non sans difficulté, s'appuyant sur l'une des épaules de son fiancé. Elle était contente d'en savoir un peu plus sur ces deux amants de la Seconde Guerre Mondiale, elle avait comme un sentiment de se sentir plus complète, plus entière.
Même en restant aussi objectif que possible, on ne peut pas nier des ressemblances assez flagrantes entre eux et nous. La petite blonde et le grand brun. Lucy, toute jeune sur le cliché, a le visage un peu plus rond que Joanne. Mais leurs regards sont tellement similaires. « Je préfère les belles femmes en chair et en os plutôt que les fantômes, si ça peut te rassurer. » je réponds à ma fiancée avec un petit rire. Elle observe aussi attentivement la photo du soldat. Les traits de Daniel sont à peu près aussi marqués que les miens, semblables au niveau de la mâchoire et des pommettes. Un bel homme, d’après Joanne. Je lui lance un regard faussement mauvais, mais je ne suis pas jaloux au point de m’inquiéter à cause d’un mort. En regardant les photos l’une à côté de l’autre, rien n’indique vraiment qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Mais on devine qu’ils auraient formé un joli couple. « Je les trouve plutôt bien assortis. » On devine deux personnalités généreuses et douces, deux esprits ouverts capables de se comprendre l’un l’autre. Je pense qu’il y a plus de fictions entre Joanne et moi, plus de différences de caractère qui mènent à ces désaccords que nous connaissons bien. « J'espère qu'il y a une photo d'eux ensemble dans un des journaux. » j’ajoute alors que la jeune femme suggère que nous laissions ces clichés ici, avec raison. Puis elle se relève et propose que nous fassions un tour dans le ranch avant qu’il ne fasse complètement nuit. Je prends sa main posée sur mon épaule, la tête un peu ailleurs, le regard ne quittant pas le carton devant moi, et dépose un léger baiser au creux de sa paume. « J'arrive tout de suite. » je murmure, la laissant donc partir devant. Je souhaite observer tout ceci encore une minute, avant de tout ranger et tout remettre à sa place. Je ne sais pas trop pourquoi je prête attention à la couverture de chaque livre, à chaque photo qui se trouve au fond du carton et qui me permettent de mettre un visage sur d’autres noms évoqués dans sa correspondance avec Lucy. Il y a encore quelques lettres, des babioles à valeur sentimentale. Je ne sais pas trop combien de temps passe avant que je ne me décide à quitter le grenier. Je retrouve Gareth dans le salon avant de rejoindre Joanne. « J'ai encore une question. » dis-je sans trop oser le déranger de nouveau. « Est-ce que vous savez ce que faisaient ces lettres à Brisbane ? » C’est une de ces questions dont je n’arrive pas à entrevoir la réponse, et ce mystère tourne doucement à l’obsession. J’ai l’impression que cette histoire ne sera jamais vraiment complète si je ne trouve pas le propriétaire du sac et si je ne sais pas pour quelle raison les lettres étaient en sa possession. L’antiquaire n’a pas été en mesure de m’informer à ce sujet. « Quelqu'un s'est donné le mal de réunir toute la correspondance, des deux côtés, et semblait assez y tenir pour les cacher soigneusement dans la doublure du sac que j'ai trouvé chez l'antiquaire. Ca devait signifier quelque chose pour cette personne. Vous avez une idée de qui il s'agit ? » Je n’ai pas vraiment d’espoir que l’homme puisse me renseigner. J’ai peur que ce mystère restera plein encore longtemps. « Aucune idée, mon garçon. A vrai dire, on a jamais lu ces lettres, et même si on se doutait qu'elles existaient, on pensait qu'elles avaient été détruites à Darwin vu l'état de la ville après le bombardement. » J’acquiesce de la tête, réfléchissant un instant. « Donc cette personne les a récupérées et sorties de la ville avant le bombardement. » dis-je en pensant à voix haute. Le vieil homme m’adresse un large sourire. Mon intérêt pour tout ceci semble à la fois l’amuser et le toucher. « Pt'être bien. Ca vous donne encore matière à enquêter, hein ? » Je souris nerveusement. J’ai l’impression d’être un enfant lancé dans une grande chasse au trésor dans le fond du jardin. Je remercie Gareth et le laisse à ses occupations. Je retrouve Joanne dehors et lui vole un baiser pour m’excuser d’avoir été si long. Prenant sa main dans la mienne, nous faisons quelques pas sur le terrain, lentement, appréciant le calme et le silence qui règne ici. L’air semble un peu plus léger et pur qu’à Brisbane. « Tu me montreras Perth demain ? » je lui demande avec un petit sourire. Je l’entends déjà dire à quel moins elle fera une mauvaise guide, cela serait tellement elle.
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Jamie disait préférer tout de même les femmes encore bien vivantes, que de se contenter d'un portrait sur du papier glacé. Joanne rit timidement à sa remarque, avant de revenir sur la photo du beau soldat. Son fiancé avait raison en disant qu'ils allaient bien ensemble, et espérait qu'il y aurait une photo d'eux ensemble dans les journaux qu'elle lui avait offert à Noël. "Tu crois qu'ils ont eu le temps de s'immortaliser ensemble ?" Ce serait en effet merveilleux d'avoir de leur côté une photo qu'ils pourraient regarder et analyser à loisir. "Les permissions devaient être très courtes et elle devait avoir beaucoup de travail. Je me dis que si c'était nous, nous n'aurions pas pris le temps de faire une photo ensemble durant ces temps si restreints. Et les photographies prenaient un peu plus de temps à se faire qu'à l'heure actuelle." Il n'y avait de selfie, ou de photos prises en un seul clic avec la possibilité de le voir dans l'immédiat. "Si j'étais à sa place, je crois que j'aurai gardé un élément qui me le rappellerait. Un bijou, une photo, même la chose la plus insignifiante mais qui me le rappellerait, pour qu'il reste près de moi, quelque part." dit-elle doucement en caressant tendrement la joue de Jamie avec le dos de ses doigts. Après quoi, Joanne se redressa. Etre assise par terre à même le sol n'était pas la meilleure chose à faire pour son dos et préférait se tenir debout. Son fiancé tenait à encore rester un peu. Le connaissant, il allait certainement encore regarder de près les objets qu'il y avait dans ce carton. Ce sera certainement sa seule occasion de pouvoir les admirer comme bon lui semblait. Joanne le laissa alors tranquille et se dirigea directement à l'extérieur, regardant le ranch d'où elle était tout en rêvassant. Mais le temps commençait à devenir plus particulièrement long. C'est qu'il y en avait, des choses à voir. Elle patienta encore pas mal de temps, restant silencieuse, jusqu'à ce qu'il apparaisse et l'embrasse rapidement pour demander pardon d'avoir autant traîné. Joanne lui fit un simple sourire, sans dire quoi que ce soit, et ils commencèrent leur marche, sans trop se presser. Jamie voulait un peu voir Perth. Elle haussa les épaules. "Ca fait très longtemps que je n'y ai plus mis les pieds, je ne sais pas si je serai la meilleure des guides. Mais si tu veux, oui." lui dit-elle en souriant. "Il y a un très grand zoo, et même un aquarium." dit-elle en riant, connaissant les goûts de Jamie. "Et beaucoup de belles plages à voir, mais ça ferait trop de route." Perth était la ville dans laquelle elle avait grandi, elle l'aimait beaucoup, et n'en dira que du bien, mais elle préférait Brisbane, pour quelques raisons vagues. "Mais on pourrait aller à Fremantle. C'est, en gros, considéré comme le centre culturel de Perth. Je pense que tu vas beaucoup aimer cet endroit." finit-elle par dire après quelques minutes de réflexion. "Il faut voir si ça fait loin d'ici, ou non." conclut-elle, parce qu'une journée n'était certainement pas nécessaire pour voir tout ceci, d'autant plus que Joanne n'était plus vraiment en mesure d'avoir des journées intenses. S'il n'avait pas été enceinte, cela aurait certainement tourné en une sorte de marathon pour voir un maximum de choses. Parfois, en marchant, Joanne posait sa tête contre le haut de son bras, tout en continuant de lui donner la main. La journée de voyage l'avait assez épuisée, à vrai dire. Peu à peu, il commençait à faire sombre et ils commencèrent à reprendre la route pour la maison, lentement. Ils souhaitèrent une bonne nuit à Margareth et Gareth, qui finissait un peu le rangement. Elle se permit de piquer un t-shirt de Jamie et de l'enfiler pour dormir avec. "On peut quand même dormir un petit peu demain matin ?" demanda-t-elle d'une petite voix, alors qu'elle se glissa sous la couette. "Je ne me sens pas très bien depuis le début de soirée." Il y avait certainement la fatigue et ses lombalgies qui jouaient énormément. Et ces dernières journées n'avaient pas forcément été de tout repos, elle commençait un peu à le ressentir. Elle attendit qu'il la rejoigne, pour pouvoir se coller à lui. C'était bien rare que Joanne ne s'endorme avec une telle rapidité.
Si ça avait été moi, j'aurai tenu à avoir une photo ensemble. Mais peut-être que Joanne a raison, peut-être que cela n'a pas été possible. Ce serait tellement dommage qu'il n'y ai pas de trace de ce dont ils avaient l'air tous les deux. J'aimerais voir la manière dont ils se prenaient dans les bras, se regardaient, se souriaient. J'aurais aimé une vidéo d'eux. J'aurais voulu les connaître et leur parler. C'est idiot, cet attachement que j'ai pour Dan et Lucy. Je m'en rends compte quand je réalise que, finalement, je ne sais pas trop ce que je fais dans ce grenier au milieu des vieilleries. Je me dis que toutes ces recherches ne les ramèneront pas, et ne m'apporteront rien. Quand j'arriverai au bout, alors quoi ? Pourtant, je veux quand même rassembler toutes les pièces du puzzle et les imbriquer. Aller à Darwin, savoir à qui appartenait le sac chez l'antiquaire. Même si cela ne doit servir à rien et me laisser un amer goût de déception. S'il ne doit y avoir qu'une utilité à tout ceci, c'est celui de faire perdurer la mémoire de ce couple un peu plus longtemps, avant que tout ce qui se rattache à eux ne s'éteigne. Il me semble qu'il n'y a rien de plus à trouver au ranch. Tous les proches de Dan sont disparus, il ne reste que Gareth qui était trop jeune à l'époque. La chasse aux fantômes a sûrement assez duré ici, je ferais mieux de me reconcentrer sur ma fiancée. Je lui propose donc d'aller à Perth demain, qu'elle me montre un peu la ville où elle a grandi. Qu'elle cite le zoo et l'aquarium en premier me fait sourire. Pauvre d'elle qui subit ma grande lubie des animaux. « J'espère que nous pourrons voir la plage de ce côté-ci de l'Australie quand même. » dis-je, car je ne connais finalement que Brisbane et Sydney. « Ca ne me dérange pas de faire un peu de route. » Que ce soit pour fouler le sable ou se rendre dans le centre culturel dont elle m'a parlé et qui me semble être également une bonne idée. Dommage que le temps nous soit compté. Et la grossesse de Joanne ne rend pas notre programme plus souple. Nous reviendrons sûrement un jour pour voir tout ce que nous n'avons pas pu voir. Après une longue balade sur le terrain du ranch, main dans la main, nous rentrons dans notre chambre. Je souris en voyant la jeune femme emprunter un de mes t-shirts comme elle a pris l'habitude de le faire. Elle a une petite mine, sûrement les heures d'avion l'ont-elle bien éprouvée -et cela ne sera pas mieux demain. « Bien sûr, reposes-toi. » je lui réponds avant de l'embrasser sur le front, la câlinant tendrement le temps qu'elle s'endorme. Je reste éveillé un instant, l'esprit trop encombré pour dormir. Mais je ne tarde pas à sombrer à mon tour. Je ne parviens pas à faire une grasse matinée. Lorsque j'ai compris que mon téléphone n'allait pas cesser de vibrer, je me suis fait violence pour sortir du lit avant que le bruit ne réveille Joanne qui a bien besoin de sommeil. Parlant dans le couloir, deux ou trois appels se sont suivis, tous provenant du travail. Il devrait y avoir un moment de calme en milieu de journée jusqu'en fin d'après-midi. Je reviens furtivement dans la chambre pour l'habiller et descends dans la salle à manger pour saluer nos hôtes. Margareth me propose de prendre le petit-déjeuner dehors, vu le temps magnifique, ce que j'accepte avec plaisir. Puisque Joanne n'est pas là, je me permets d'accompagner mon thé de l'unique cigarette de la journée. « Prochain arrêt Darwin ? » me demande Gareth qui s'assied près de moi. « Non, nous rentrons à Brisbane ce soir. » Même si j'aurais adoré continuer le voyage à Darwin, la réalité appelle de l'autre côté de l'Australie, et je ne peux pas m'absenter plus longtemps. Et puis, j'ai bien des choses à régler là-bas. « Vous avez trouvé quelque chose d'utile ici ? Des réponses ? » J'hausse les épaules ; « Difficile à dire. Je ne sais pas trop ce que je suis venu chercher, alors je ne peux pas dire si je l'ai trouvé. » Je ne veux pas qu'il me pense déçu ou qu'il se croit inutile. Il faut juste d'admettre qu'il n'y a pas vraiment de but fixé dans ces recherches. « Mais maintenant nous pouvons mettre un visage sur leurs prénoms. » j'ajoute avec un léger sourire avant de porter la barrette de tabac à mes lèvres. C'est bien mieux que rien. De plus, il y a quand même une certaine satisfaction a avoir vu cet endroit de mes propres yeux. « Vous aurez peut-être plus de chance à Darwin. » J'acquiesce d'un signe de tête. Voir leurs tombes, et peut-être la maison de Lucy, sans oublier tous les endroits où ils sont allés. Encore une fois, sans trop savoir pourquoi. Je n'ai peut-être pas besoin de raison. « Est-ce que vous voulez aller les voir ? » demande le vieil homme en suivant mon regard qui s'est perdu sur la dépendance à quelques mètres qui sert d'écuries. Je me disais justement qu'il serait dommage d'être passé dans un ranch quelques jours sans passer quelques minutes avec les chevaux. « Je n'osais pas demander. » Je termine rapidement mon thé et ma cigarette et suis Gareth jusqu'aux boxes. Il m'autorise même à monter l'un d'entre eux, assez grand, à la belle robe noire, voyant que nous nous entendions bien tout naturellement. Je me balade donc sur la bête pendant un moment, plongé dans les souvenirs de nos promenades avec Jill, et des compétitions que nous faisions entre nous en faisant sauter les chevaux par dessus les barrières. Sur la terrasse du ranch, je devine la silhouette de Joanne qui est sortie du lit. Je trotte jusqu'à elle puis descends de selle pour lui voler un baiser. « Bonjour belle au bois dormant. Bien dormi ? » Mes doigts passent doucement sur la robe du cheval, le long de son cou. J'invite la jeune femme à faire de même, tenant fermement les rennes pour empêcher tout geste brusque de l'animal. « Nous avions des chevaux en Angleterre quand j'étais petit. Mes parents les ont vendus quand nous avons déménagé à Londres. Ca m'avait brisé le coeur. Je n'étais pas monté sur un cheval depuis longtemps. » dis-je avec un brin de nostalgie.
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C'était sans réelle surprise que Joanne se réveille sans sentir son fiancé contre elle. Elle avait bien du mal à émerger et et profiter encore du confort du lit avant de vouloir s'en extirper. C'était une habitude qui ne lui avait absolument pas manqué, que de se réveiller alors qu'il était déjà parti depuis un certain temps. Mais il fallait qu'elle s'y fasse à nouveau car le retour à Brisbane est plus qu'imminent et qu'il y avait des choses de tous les jours à réassimiler. Il avait beau être passé à mi-temps, quelque chose lui disait que ce n'était pas pour autant qu'il allait être plus disponible à la maison, alors que le but premier de la manoeuvre, c'était bien ça. Mais il allait exposer ses tableaux, il allait devoir animer une animation quotidiennement. Joanne se demandait si elle n'était finalement pas perdante en lui ayant proposé cette alternative. Mais le plus important était qu'il s'épanouissait, n'est-ce pas ? La jeune femme y songea longuement, et ça ne lui donnait que davantage de raisons que de rester au fond du lit et à faire durer un peu plus cette matinée. De plus, elle s'était réveillée avec un mal de tête difficilement supportable. Elle étira ses membres encore longuement et se décida enfin à s'extirper du lit et à s'habiller. Tout lui faisait mal, ce jour-là. Joanne n'avait jamais été du genre à se plaindre, sauf que quand ça n'allait vraiment pas. Elle savait qu'elle avait une santé particulièrement fragile, mais elle ne voulait pas se faire passer pour une malade tous les jours. Tout allait bien, c'était juste un jour sans, on dirait. "Nuit difficile ?" s'inquiéta Margareth, lorsqu'elle la vit pointer le bout de son nez à l'extérieur. "Un réveil un peu difficile, mais sinon j'ai passé une très bonne nuit." dit-elle afin de la rassurer avec un sourire amicale. "Vous avez petite mine... Vous avez besoin de quelque chose ? Venez, installez vous !" dit Margareth. Joanne lui expliqua ses céphalées et lombalgies et l'hôte se précipita à l'intérieur pour trouver un comprimer afin de la soulager un peu. Elle était d'une extrême bienveillance avec Joanne, elle avait certainement du s'attacher à cette jeune maman qui avait eu un petit plus de chances qu'elle. Joanne avala le petit cachet avec un peu de jus d'orange et vit au loin son fiancé sur un fidèle destrier, s'approchant doucement d'elle. Elle se releva alors que lui descendait du cheval juste devant elle, l'embrassant ensuite rapidement guise de bonjour. "Bien dormi, oui. J'aurais peut-être préféré me réveiller dans tes bras." dit-elle tout bas avec un sourire bien complice. Joanne se serait bien passée de lui dire qu'elle avait mal un peu partout, mais Margareth pensait vouloir bien faire en en parlant devant eux. "La pauvre a eu un désagréable réveil, elle a mal de partout." dit la vieille dame d'un air attristé. "Elle vient de prendre un petit cachet." Joanne s'empêcha de lever les yeux au ciel et lança un regard à Jamie, lui faisant comprendre qu'elle pouvait très bien endurer ça pour le reste de la journée. Avec un peu de chance, le médicament fera effet d'ici peu de temps. Elle préférait revenir à ce dont il parlait à peine plus tôt, qu'il avait fait de l'équitation petit mais qu'il avait du se séparer de ses bêtes à cause du déménagement. "Je n'ai jamais fait d'équitation." commença-t-elle. "Ce n'était pas vraiment dans les moyens de nos parents de nous faire faire ce genre d'activités. Alors nous faisions d'autres choses." Ca ne l'avait jamais frustré, Joanne se contentait de ce qu'elle avait et de ce qu'on lui permettait d'avoir. "Et même si j'adore les animaux, je crois que je ne serai jamais vraiment en confiance sur un cheval. Je n'y serai pas très à l'aise. Je suis plutôt douée pour les bichonner." ajouta-t-elle avec un petit rire. "Serait-ce un message subliminal pour me demander avec subtilité si je suis d'accord que nous prenions un cheval pour l'éventuelle maison de campagne que nous trouverons ?" demanda-t-elle, les yeux pétillants de malice. Ce ne serait même pas étonnant de sa part. Elle l'embrassa tendrement, et passa son bras derrière son dos. "Tu veux commencer par faire quoi ?" lui dit-elle après lui avoir laissé un moment à caresser le poil du cheval. "Vous ne voulez rien manger avant de partir ?" demanda Margareth à la jeune femme. "Non merci. Le jus de fruits me suffit amplement." La gêne et les douleurs encore persistantes lui avaient coupé l'appêtit. Les affaires avaient déjà été remises dans la voiture. Déjà qu'ils n'avaient pas beaucoup de temps, que tout fonctionnait au ralenti avec l'enfant qu'elle portait, autant en gagner là où il le pouvait. Ils saluèrent très chaleureusement le vieux couple qui avait été des plus accueillants et des plus attentionnés avec eux.
J’adresse un regard désolé à Joanne qui fait remarquer que je manquais à l’appel à son réveil. Je sais que ce n’est pas un reproche, mais je me doute qu’elle aurait véritablement préféré que je sois là, autant que j’aurais adoré me réveiller à ses côtés. « Mon téléphone commencé à sonner dès sept heures, je ne voulais pas que ça te réveille. » dis-je, même si elle doit se douter des raisons qui m’ont poussé à quitter le lit de bonne heure. Elle était prévenue que nous ne serions pas parfaitement tranquilles. Margareth intervient pour me dire que Joanne ne se sent toujours pas très bien. Sa grossesse la fait souffrir plus que je ne le pensais, et même si sa moue dit que ce n’est pas si grave, je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter. Elle finira bien vite complètement bloquée à la maison à ne pas pouvoir faire grand-chose sans ressentir une quelconque douleur quelque part. Au final, c’est plus pour calmer ma nervosité que celle du cheval que je caresse doucement son crin. Joanne m’avoue que l’équitation n’est pas sa tasse de thé. Je suppose qu’elle a toujours préféré la danse. Un rire m’échappe lorsqu’elle croit déceler une envie d’ajouter un cheval au paysage de notre future maison de campagne. « J’aurais adoré, mais non. Il faudrait engager quelqu’un pour s’en occuper toute la semaine, quand nous ne sommes pas là, et ça n’a pas d’intérêt d’avoir un tel animal si ce n’est pas pour en prendre soin soi-même. » Ce n’est pas si grave. Ce n’est pas comme si je débordais de temps libre pour m’adonner au sport équestre. J’embrasse Joanne sur le front, passant un bras autour de ses épaules. « Je laisse ma guide décider de ce que nous devons faire. » je réponds pour esquiver la décision, n’ayant vraiment aucune idée de ce que nous pouvons faire en premier aujourd’hui. C’est sa ville, elle s’y connaît bien mieux que moi. Je fronce les sourcils en devinant que la jeune femme n’a qu’un malheureux jus dans l’estomac pour petit-déjeuner. « Tu devrais quand même avaler quelque chose, tu ne crois pas ? » dis-je, sans intention de la forcer. Je me demande surtout ce qu’en dit mon fils. Avant de partir, je rentre le cheval dans son box avec l’aide de Gareth. Je ne tarde pas non plus à ranger nos valises dans le coffre de la voiture, puisque nous n’aurons pas le temps de repasser par ici ce soir avant de partir. Quand nous saluons le couple, ce sont donc des au revoir qui n’assurent pas vraiment que nous nous reverrons, même si je l’espère. Nous les remercions de nombreuses fois, et ils nous souhaitent bon courage pour la suite. Il est assez triste de se séparer de personnes aussi attachantes, et j’admets avoir un léger pincement au cœur en les voyant secouer leurs mains dans le rétroviseur. « Bon, eh bien, la suite au prochain épisode. » A Darwin, cette fois. Mais cela ne sera pas avant un long moment. Je lance le moteur de la voiture de location et laisse le ranch devenir de plus en plus petit derrière nous tandis que nous prenons la route de Perth. Nous y passons le reste de la journée, nous baladant souvent sans but. Nous découvrons tout un quartier envahi par le street art, orné d’immenses œuvres et fresques colorées sur les façades des bâtiments. Je traîne tout de même Joanne à l’aquarium. Je ne peux pas m’empêcher de sourire en coin, discrètement, attendri par les petits enfants qui collent leurs nez sur les vitres et s’extasient à la vue du moindre poisson clown. J’ai toujours trouvé que les méduses étaient les plus fascinantes de toutes les créatures marines. Je peux me perdre longtemps dans leur contemplation. Nous prenons un verre dans la buvette à la fin du parcours de l’aquarium, reposant nos jambes et le dos de Joanne. Nous sommes régulièrement interrompus par les vibrations de mon téléphone, ce qui semble parfois l’agacer, même si elle m’assure que cela ne la dérange pas. Il est déjà temps de dire au revoir à Perth. Le séjour aura décidément été trop court, et je lui promets que nous reviendrons, avec notre fils, voir là où a grandi sa mère. Comme à l’aller, la jeune femme dort la majeure partie du temps sur le trajet de retour vers Brisbane. Pour ma part, je ne vois pas le temps passer. Ce n’est qu’une fois avoir mis le pied au sol que je réalise que nous sommes rentrés, et que la vie reprend son cours. Que la parenthèse est terminée, et que nous allons devoir reconstituer les repères de notre vie à deux, tandis que le troisième membre de la famille montrera bientôt le bout de son nez.