Le passé est un repère plus important que l'on ne veut bien le croire, nous qui mourrons trop jeunes pour nous attarder dessus bien longtemps. L'enfance ne l'est pas vraiment, l'on se marie tôt, l'on endosse des responsabilités et l'on déclare des guerres à l'âge où un ballon et du soleil nous attirent encore dehors. J'ai tant de souvenirs agréables de mon enfance à Florence qui ont construit mon amour pour cette ville et mon profond respect pour les Médicis. Aujourd'hui, tout ceci semble bien plus gris, et même la ville a perdu de son charme. La génération que j'ai connue, noble et érudite, a complètement disparu, laissant place à ces monstres plus corrompus que je ne saurais l'être un jour. Des êtres assoiffés de chair, de sang, de pouvoir et de domination. L'un cruel, l'autre malsain, et une fille antipathique. Seul Cosimo m'a semblé sortir du lot, mais peut-être ais-je tort de voir en lui le salut d'une génération pourrie jusqu'à la moelle. Ma déception n'a pas de qualificatif qui puisse concrétiser sa profondeur et le mal qu'elle me fait. Rien ne me rattache à des personnes pareilles, et je regrette presque de partager un bout de passé avec eux, que mon nom puisse leur être assimilé d'une quelconque manière. Sans eux, il me reste les souvenirs partagés avec ma tante, son époux et leurs enfants à Ferrare. Et les autres Borgia, sont-ils aussi corrompus que les nouveaux Médicis ? Peut-être que je me fais vieux, en effet, à voir le mal dans la génération qui me suit. Peut-être que le monde évolue dans ce sens. Je trouve peu de réconfort dans les paroles de Grace, mais ce n'est pas le contenu qui ne m'atteint pas, c'est le moment qui me rend trop triste pour apprécier ses mots et leurs bienfaits. Je pensais trouver des alliés, des racines, mais je n'ai trouvé que des aliénés couchant à gauche à droite en manquant autant de respect à leurs partenaires qu'à eux-mêmes. Florence sera bientôt à leurs mains… Mieux vaut qu'elle soit rapidement aux miennes. Je souris malgré tout à Grace lorsque nous arrivons, la remerciant tacitement de prendre le temps d'essayer de me réconforter par les mots. Avant d'entrer dans la villa de Giulia, je lui prend la main. “Attends.” Je saisis son visage et colle sur ses lèvres un long baiser passionné, tantôt fougueux. De quoi la remercier d'être cette épouse si fidèle et attentionnée qui prend si bien soin de moi. “Je t'aime tellement…” Je demeure un instant, devant la porte, mon visage frôlant le sien tendrement, à la recherche du courage pour poursuivre cette journée et toutes les suivantes que elle seule peut me donner. Notre fils est également d'un grand réconfort. Une fois à l'intérieur, je le prends immédiatement dans mes bras et fait abstraction de tout commentaire au sujet des Médicis. “Il est parfait…” je murmure en l'admirant. J'embrasse son front, remerciant le ciel d'avoir cette lueur d'espoir près de moi, une motivation supplémentaire pour aboutir tous mes projets. “Me topolino…” “Pourquoi tu l'appelle comme ça le pauvre bout de chou ?” lance Giulia avant de retourner en cuisine. “Je trouve qu'il ressemble à ces bébés souris tu sais, sans poils et un peu fripés, si vulnérables, mais adorables quand même.” C'est un petit surnom affectif qui est à la fois amusant et mignon. Je rends le petit à sa mère afin de suivre mon amie en cuisine. De nombreux mets sont sur le feu, et même si je ne souhaite pas la déconcentrer, je ne peux pas repousser la conversation. “Giulia, je…J’aimerais que tu viennes avec nous à Naples.” Surprise, elle abandonne ses préparations et me fait face en croisant les bras, le regard plissé. Son potentiel refus me tourmente, mon regard l'implore. “J'ai si peu de personnes de valeur et de confiance dans mon entourage, je vais arriver dans une ville que je ne connais pas pour construire une nouvelle Cour, je vais confier mon fils à quelqu'un qui m’est inconnu, je…” J'ai peur, je l'avoue. Depuis l'empoisonnement, j'ai peur de mon ombre. La solitude n'arrange pas les choses. La trahison d'Ippolita et d'Anatoli fut le coup de grâce. “J'ai cruellement besoin de toi à mes côtés.” Peu à peu, la moue froncée et sérieuse de Giulia laisse place à un fin sourire. Elle ouvre grand ses bras pour accueillir ce petit frère que j'ai toujours été pour elle et m'étreint aussi fort qu'elle et son ventre rebondi le peuvent. “Je pensais que tu n'allais jamais le demander.” De soulagement, un rire m'échappe au creux de son cou. Si les paroles de Grace m'ont bien fait ouvrir les yeux sur une chose, c'est que je ne peux pas et ne doit pas me passer de Giulia. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d'un altruisme qui nous forcerait à la laisser rester à Florence ; il faut être égoïste et lui demander de nous suivre car c'est ainsi que les choses doivent être. « Laisse moi le temps de préparer ce départ, quelques jours, et nous nous rejoindrons à Naples. » J'acquiesce d'un vif signe de tête, si heureux. « Merci infiniment. » dis-je en embrassant sa bouille sur les deux joues et le front. « Emmène tes enfants et ton mari. Ils sont aussi ma famille. » Et d'une certaine manière, l'histoire se répète. Je laisse Giulia à sa cuisine afin de terminer la préparation du dîner et retrouver Grace et Francesco dans la pièce adjacente. Je récupère mon fils pour profiter au maximum de lui tant que je le peux. J'aime lui parler, même pour ne rien dire. Il semble toujours si intrigué par ma voix, et il aime prendre l'un de mes doigts pour exercer la force de ses minuscules mains. « Giulia sera la nourrice de Francesco. » j'annonce finalement à mon épouse avec un sourire qui laisse transparaître toute ma joie à l'idée d'avoir enfin quelqu'un sur qui compter aux côtés de ma famille.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
C'était au tour de Celso d'être alors bien morose. Sa femme, elle, se sentait beaucoup mieux dès lors qu'elle avait quitté Bologne. Mais la désillusion pour lui avait été des plus totales, elle le voyait bien, sur les traits tirés de son visage. Il souriait moins en voyant les rues de Florence défiler sous leurs yeux lorsqu'ils étaient dans la calèche, il y avait beaucoup moins d'enthousiasme dans sa voix. L'image et le souvenir qu'il avait de cette ville qu'il affectionnait tant semblait s'effriter peu à peu, ne laissant quelques fragments ici et là d'une vie qui semblait parfaite. Il trouvait alors du réconfort en touchant les lèvres de son épouse, à les embrasser passionnément et fougueusement. Elle savait qu'il comptait énormément sur elle. Que tous les jours, il avait besoin de se ressourcer, de s'aérer l'esprit, de se sentir aimé. Grace était une source inépuisable. Elle l'avait été pour son précédent mari, mais Celso, elle l'avait aimé depuis le début. Ca faisait toute la différence. La petite blonde répondit avec tout autant d'amour à son baiser, ses mains posés au niveau de son visage. Il restait un long moment là, à frôler son visage, à humer son parfum, à puiser encore un peu plus de l'énergie qu'elle était capable de donner. "Je t'aime aussi, Celso." lui souffla-t-elle au bord des lèvres, le regard plongé dans le sien. Aucun des deux ne doutait des sentiments de l'autre. Ils respiraient, transpiraient et vivaient l'amour éprouvé pour l'autre, sans aucune modération. Parfois, les mots n'avaient pas leur place. Il n'en n'existe même pas pour définir exactement cette valse d'émotions et de sentiments qui les submergeait à chaque fois qu'ils se retrouvaient et qu'ils passaient du temps ensemble. La présence suffisait. Avoir Francesco dans ses bras lui avait aussi été d'un grand réconfort. La petite blonde les observait avec un regard bienveillant et plein d'amour pour ces deux hommes. Quelques instants plus tard, il lui confia leur fils et s'absenta en cuisines avec Giulia. Grace s'installa et invita Luisa et Jane à s'asseoir aux côtés d'elle. Elle leur demanda alors ce qu'elles avaient acheté, ce qu'elles avaient pu visiter. Un bijou chacune, et les deux avaient aussi passé un long moment de prière à la Santa Maria del Fiore. Cette journée libre leur avait vraisemblablement beaucoup plus, mais elles espéraient aussi retrouver leurs propres appartements, ceux qui leur seront attribué à Naples. Celso réapparut un moment plus tard, désireux de reprendre son fils dans ses bras. "C'est vrai ?" lui demanda-t-elle, le regard brillant d'émotions. Elle se leva et enlaça son époux avant de se diriger en cuisine pour enlacer chaleureusement Giulia. Celle-ci était en premier lieu surprise d'un tel élan chaleureux venant de l'Anglaise, mais elle finit par en rire. "Si vous saviez combien cela me rassure et me rend heureuse, que vous ayez accepté." "C'est un honneur pour moi, et je me doutais bien que vous appréhendiez d'aller à Naples sans connaître qui que ce soit. Je ne me voyais pas vous laisser y aller. Et m'occuper de cet enfant, ce n'est que du bonheur, et j'espère en garder quelques autres par la suite." Ses yeux pétillaient également d'enthousiasme. "Nous tâcherons de vous trouver des appartements dignes de ce nom, je vous le promets." "Je n'en demande pas tant, Grace. Ca me fait on ne peut plus plaisir d'être aux côtés de Celso, parce qu'il faut le gérer, celui-là ! Et je suis honorée d'avoir pu faire votre connaissance. Aucune femme n'avait réussi à véritablement faire chavirer le coeur de ce gaillard, et rien que pour ça, vous la méritez, cette couronne !" Elle éclata de rire. "Allez donc vous distraire un petit peu, le temps que je prépare ce festin ! Allez, du vent !" dit-elle, toujours aussi rieuse. Grace était soulagée, et heureuse d'avoir une alliée à ses côtés, en plus de ses suivantes. "Elle sera parfaite, pour veiller sur Francesco. Je suis si heureuse Celso, si soulagée." Elle se précipita sur lui pour l'embrasser longuement et fougeusement, qu'importe si c'était sous les yeux chastes de Jane et Luisa. "J'ai sorti mon meilleur vin, regardez. Je me suis dit que ce serait l'occasion. Jane, veux-tu bien chercher quelques coupes, s'il te plaît ? Et prendez aussi pour toi et Luisa, voyons !" Grace était un peu surprise par de telles familiarités déjà entre ses suivantes et la nourrice de Francesco. Jane s’exécuta et ramena le nécessaire qu'elle avait trouvé dans meuble. Luisa se chargea de servir les verres. "Mieux vaut commencer le dîner tôt, parce qu'il y a de quoi faire ! Parce que demain, il va falloir que je prépare toutes mes affaires, c'est pas gagné !" L'enthousiasme de Giulia était également indescriptible. Grace se sentait bien, sous ce toit. Lorsqu'elle trinqua avec la nourrice, bien qu'heureuse de savoir qu'elle les rejoindra à Naples, elle avait un petit pincement au coeur de laisser derrière elle cet endroit où elle avait été si chaleureusement accueillie.
Giulia fait l'unanimité et qu'elle accepte de nous suivre à Naples est un soulagement pour Grace et moi. Nous n'avons pas plus grand trésor que notre fils, notre famille et l’amour qui nous unit, et la personne au plus proche de nous, prenant soin de notre progéniture, notre héritage, ne peut définitivement pas être une inconnue à laquelle nous ne pouvons pas nous fier aveuglément. Nos déménagements ne peuvent pas nous desservir sur ce point bien trop important pour le placer entre les mains de n'importe qui. Les enfants demeurent dans la famille, auprès de proches, de personnes de confiance. Les Médicis n'aideront pas, et je n'ai pas de contact avec d'autres Borgia, je n'ai aucune autre famille. Giulia est ce que j'ai de plus proche d'une soeur, son père fut comme le mien durant mon enfance à Florence. Notre visite chez les Médicis m’a ouvert les yeux. Elle fait partie de mes racines, le peu qu'il me reste. J'ai besoin d'elle, ma famille a besoin d'une femme comme elle. D'un repère, un pilier. Et Grace l'apprécie. Elle se réjouit de savoir qu'elle s'installera dans notre Cour, et bien entendu, nous lui trouveront les meilleurs appartements qui soient, la recevant comme l'on reçoit un membre de la famille. Joyeuse, mon épouse m'offre un long baiser fougueux. Les yeux de Jane et Luisa s'arrondissent puis leurs regards se détournent honteusement de nous. Peut-être qu'un jour elles comprendront, si elles ont la chance de tomber amoureuses. Du reste de la soirée, le vin coule à flot et la maîtresse de maison nous couvre de mets plus succulents les uns que les autres. Nous parlons beaucoup de l'organisation de sa venue à Naples et nous mettons d'accord pour qu'elle nous y rejoigne dans un mois, ce qui lui laisse le temps, à elle et son mari, de préparer leurs affaires, rendre leur maison à leur employeur et prévenir celui-ci de leur départ. De notre côté, nous aurons réglé nos dernière formalités à Tricarico, réuni nos propres bagages, et aurons eu le temps de prendre quelques marques dans notre nouveau palais. Sur le papier, tout semble parfait, et j'ai un excellent pressentiment. Je retrouve un sourire sincère et bien plus d'appétit que ces derniers jours. Je sens que vous ensemble, Grace, Francesco, Giulia, Giovanni (qui daigne enfin se joindre à nous), leurs enfants, et même Jane et Luisa ; tous ceux autour de cette belle et grande table, nous saurons être heureux et faire de grandes choses dans cette ville, dans ce royaume qui nous ouvre ses portes. Mais une fois ce dîner aux allures de célébrations terminé, une fois rentré dans notre chambre après un nouveau moment passé à dessiner à l'extérieur, et après avoir réchauffé mes doigts auprès du feu, la morosité refait son apparition, mon coeur perd sa légèreté. Je dors peu et ma somnolence n'est d'aucun repos. C'est bercé par la houle de la calèche, une fois partis de Florence, que le sommeil me gagne. Douze jours de voyage s'écoulent, le temps de voir l'hiver s'effacer du paysage, et le printemps s'installer dans les vergers.
Nous mettons le pied à Tricarico dans les premiers jours d'avril. Je suis assez soulagé de ne pas avoir à fêter mon anniversaire sur la route, et pourtant, je n'ai pas même envie de le célébrer. Celui-ci est un peu plus effrayant que tous les autres. Mais je n'ai pas la tête à la fête lorsque je descends de la calèche, les jambes et le dos meurtris par le voyage. Je veux m'arracher une épine du pied le plus vite possible, l'affaire a attendu bien assez longtemps, mais je me devais d'être présent en personne. “Trouvez moi Anatoli.” je murmure à l'un des valets avant de laisser les membres de la Cour nous saluer le plus chaleureusement du monde, tous ravis de nous revoir, honorés que nous passions par la ville avant de prendre nos fonctions officiellement, et enchantés de faire la connaissance de notre fils. Là encor, je n'accorde qu'une oreille distraite et un sourire de façade aux éloges pourtant sincères des conseillers et des dames qui ne pensaient pas nous revoir après notre départ pour Bologne. Ils ne montrent as de signe de peine à l'idée que nous repartions aussitôt pour Naples et préfèrent, au contraire, vanter la beauté de la ville, son commerce et ses artistes, et nous souhaiter tout le meilleur. Le valet revient pour m'indiquer qu'Anatoli attend dans la grande salle. J'invite alors notre comité d'accueil à m'y suivre. Avant d'y pénétrer, l'on place cette couronne neuve et allant de paire avec mon nouveau titre sur la tête -bien plus lourde aussi. C'est le visage fermé que je m'installe sur le trône, Grace à côté de moi, pendant que le silence est fait. Le sourire de l'homme au centre de la salle laisse deviner ses espoirs qui seront bientôt déçus. “Anatoli Mancini…” Le pouls s'accélère tandis que ma gorge se serre. Je sens le poids de tous les regards posés sur moi, ces personnes pendues à mes lèvres qui attendent que je prononce cette annonce inattendue et fort soudaine -sûrement une bonne nouvelle puisque la région semble être sous une bonne étoile en ce moment. Un optimisme qui flétrit au fur et à mesure que le silence dure. Ce n'est pas une promotion. C'est un procès. “Je vous condamne à mort pour avoir attenté à ma vie en m'empoisonnant. Vous serez décapité demain matin. Vous serez mis en cellule en attendant.” Le grondement d'un murmure s'élève, de la surprise et de l'indignation, beaucoup d'incompréhension. D'autres son immédiatement rangés de mon côté sans savoir pourquoi, uniquement par respect aveugle des décisions d'un monarque qui fut, jusqu'à présent, toujours juste et droit. Les regards sont tantôt accusateurs, compatissants, féroces, tantôt estomaqués et interrogateurs. Mais je ne compte pas justifier mon jugement, et ce verdict n'est pas contestable. Des gardes saisisses Anatoli, paralysé sur place par le choc de l'annonce. Les mains qui empoignent ses bras le font soudainement réagir ; le voilà qui se débat et clame son innocence à tout va. “Votre Altesse c'est une erreur. Je n’ai rien fait ! Je vous ai sauvé la vie !” La mâchoire serrée, visiblement affecté par ma propre sentence, je me lève et approche du coupable avec le coeur, les épaules et la conscience bien lourdes. Pourtant c'est là la seule chose à faire. “Votre culpabilité n’excuse pas ce que vous avez fait Anatoli. Vous êtes un traître de la pire espèce. J'ai tant cru en vous, en votre sagesse, votre gentillesse, votre bienveillance à mon arrivée puis à celle de mon épouse que je vous ai confiée avec une confiance aveugle. Jamais je n'aurais pensé que vous puissiez me poignarder dans le dos de cette manière et je vous avoue que je ne comprends toujours pas ce qui a motivé votre geste. Je n'ai pas les mots pour qualifier ma déception. Vous m'avez trahi, vous avez voulu ma mort, mais vous n'êtes parvenu qu'à briser mon coeur et ma confiance en l'espèce humaine. Ne soyez pas plus insultant en niant votre trahison. Rendez-vous service et confessez-vous avant demain matin, ou emportez votre pestilence avec vous en enfer.” “Nous nous y retrouverons alors.” “Certes.” “Votre Altesse vous faites une erreur, c'est une manipulation, un coup monté d'Ippolita. C'est elle qui vous a empoisonné.” “C'est votre Majesté maintenant.” Je fais signe aux gardes de l'emporter. Il ne se débat plus, et se laisse traîner hors de la grande salle jusqu'au donjon. Je l'observe, dépité, sous le regard de cette Cour qui se demande encore ce qu'il vient de se passer. Je ne veux pas le réaliser moi-même, et faire face à ma capacité à condamner un homme, un ami, à mort.
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Grace n'avait pas eu le coeur si léger depuis bien longtemps. Grâce à cela, elle put dignement profiter du repas minutieusement préparé par Giulia, discuter de ce qui les attendait à Naples. Savoir que Francesco serait entre de bonnes mains lui permettait d'envisager son avenir sous un jour meilleur, avec plus de clarté qu'auparavant. Les esprits étaient à la fête, et cela faisait du bien à tout le monde. Il n'y avait que lorsque le calme qui revint, et la nuit froide, que certaines ombres firent leur réapparition. Grace se réveillait en ne sentant pas le corps de son époux, collé à elle. Allongée sur le côté, elle l'avait observé, installé sur le fauteuil, près du feu. Il semblait bien moins joyeux qu'auparavant. Elle savait qu'il préférerait qu'elle se repose au lieu de se soucier de lui, alors elle se contentait de l'observer, et d'espérer que le sommeil finisse par l'emporter. Celso dormit la majeure partie du voyage, exténué par ces nuits bien trop courtes. La jeune femme, quant à elle, ne cessait d'admirer les paysages et se réjouir de passer quelques jours à Tricarico, là où elle se sentait le plus chez elle, avant de partir pour Naples. Les températures se faisaient bien plus agréables, on abandonnait peu à peu fourrures et manteaux épais. Ils étaient merveilleusement bien accueillis, le peuple était touché de voir son prince, son vice-roi, leur rendre visite avant de reprendre la route. Sans attendre, ils se rendirent dans la salle du trône, Celso ne comptant apparemment pas se permettre de se reposer avant. La jeune femme le suivit sans dire mot, perplexe de le voir si hâtif. Il fallut peu de temps pour que le silence se fasse dans la cour. Anatoli se trouvait juste là, souriant. Grace se demandait bien ce que son mari lui voulait pour qu'il soit pressé et elle ne manquait pas d'être surprise de l'entendre l'accuser à mort. Il lui semblait peu probable que cet homme fut capable de l'empoisonner de la sorte. Elle regarda Celso, qui était d'apparence impassible. Pour la première fois, elle avait peur de lui. N'y avait-il aucun jugement ? Ne compte-t-il pas lui laisser une chance de s'exprimer ? Non, il voulait uniquement retirer sa tête de ses épaules, sans attendre davantage. Grace sentit son coeur s'accélérer. Certes, Anatoli avait toujours été fidèle, mais ce n'était pas ça, ce qui la faisait paniquer intérieurement. Elle resta longuement dubitative, incapable de prononcer le moindre mot. Grace le trouvait cruel, elle n'avait pas d'autres mots. Dans ce cas, pourquoi ne coupait-il pas la tête d'Ippolita. Mécontente, la jeune femme se leva. "Paronnez-moi, votre Altesse, je ne me sens pas très bien. J'ai besoin de me reposer après ce long périple." Elle s'inclina gracieusement et tourna les talons sans ajouter quoi que ce soit. Qu'il n'en fasse qu'à sa tête, dans ce cas, mais il ne pouvait certainement pas espérer avoir de ses conseils s'il continuait à prendre de telles décisions. Furax, elle prit le temps de respirer un bon coup lorsqu'elle retrouvait ses appartements. Ca la peinait énormément, de le voir ainsi, sans la moindre compassion. Grace lui avait apporté de ses conseils, et voilà qu'il en accusait un autre, sans le moindre bénéfice du doute. S'il n'accusait pas Ippolita, c'était qu'il la pensait encore de son côté. Il l'épargnait, il était évident qu'il était encore en contact avec elle ou qu'elle lui avait promis certaines choses. Voilà que c'était Grace qui se sentait trahie. Des larmes de rage se mirent à couler le long de ses joues. "Votre Majesté ?" s'inquiéta Jane de la voir dans un tel état. Grace récupéra son chapelet. "Si sa Majesté vient, dites-lui que je suis en train de prier et que je n'aimerais pas à être dérangée." Jane et Luisa s'inclinèrent alors que la petite blonde se rendait à la chapelle. Elle priait toujours pour les mêmes choses, mais demandait aussi de l'aide. Que Celso revienne à la raison, qu'Il ne les punisse pas d'avoir condamner une âme si hâtivement. Agenouillée, les mains jointes, elle récitait toutes les prières qu'elle pouvait connaître tout bas, on ne voyait que ses lèvres bouger, laissant échapper entre elles un léger murmure. Elle désirait aussi surtout qu'on la laisse tranquille, pendant ce moment, qu'importe s'il dure des minutes ou des heures. Elle voulait déjà retrouver son calme habituel, ce qui fut bien plus difficile cette fois-ci. Grace retournait ensuite s'isoler dans ses appartements. Elle se tenait debout près d'une des fenêtres, à regarder l'extérieur. Ses bras étaient croisés, son visage était particulièrement fermé. Elle n'avait pas vraiment le coeur à se rendre au banquet du soir pour le moment, bien que les cuisiniers avaient du s'acharner pour préparer leurs meilleurs plats pour le couple royal. "Comment va Francesco ?" "Il est en train de dormir, votre Majesté, je viens d'aller le voir." répondit Luisa. La jeune femme acquiesça d'un signe de tête. Au bout de longues minutes de silence, elle leur dit. "Allez donc profiter un peu de Tricarico, je ne suis guère de bonne compagnie et je saurai me passer de vous pendant quelques temps." Les deux suivantes hésitèrent un moment, quelque peu déboussolées, mais finirent par obéir, quittant la cour. Luisa en profitera pour retrouver sa famille, et Jane pour se promener un peu et faire quelques achats pour avoir quelques souvenirs.
Le malaise demeure bien présent durant de longues minutes. La Cour se disperse, chacun préférant retourner ou se trouver une occupation plutôt que de déranger un souverain visiblement mal en point ou plus risqué encore, lui poser des questions sur cette condamnation si rapide et sans explications. Je n'ai pas besoin d'en donner, je dirige cette ville, cette région, et tout le royaume désormais. Le despotisme est si facilement à portée de main lorsque l'on obtient un pareil pouvoir. Mais il n'est pas question de tyrannie ou de terreur, il est question de justice. Et il n'est que justice que celui qui a attenté à ma vie soit puni, quel qu'il soit. Si je ne dois pas laisser mon affection et mon respect pour Anatoli me rendre moins dur avec elle, au contraire, la trahison provenant d'un proche, d'un être de confiance, est encore plus blessante et rend le jugement plus obscur. Je n'avais jamais prononcé pareille sentence auparavant. Je suis celui qui aime la vie, qui en profite, qui goûte chacun de ses plaisirs, parfois entre les lignes de ces règles qui font la moralité. Je suis celui qui aime les fêtes, les danses, et le sourire des femmes, celui qui aime peindre le vivant, les corps, les regards et les personnalités. Jamais n'aurais-je pensé devoir un jour envoyer mon propre ami face au bourreau. Lui faire couper la tête. Néanmoins, je pensais chaque mot traduisant l'ampleur de ma déception et de ma blessure ; mon coeur est brisé et froid, et ma confiance, désormais, sous clé. Non, jamais n'aurais-je pensé devoir atteindre ce degré de cruauté afin d'être juste, aussi paradoxal cela puisse être. Quand je me tourne enfin vers Grace, celle-ci s'excuse et prend congé. « Bien sûr. » je murmure. Aussi translucide son regard bleu soit, je peux voir toute sa désapprobation et sa contrariété. Et voici pourquoi je redoutais notre retour à Tricarico. Je quitte à mon tour la Cour afin de m'isoler. La couronne entre les mains, j'en admire longuement la surface dorée, les saphirs, les rubis incrustés entre les feuilles ciselées dans le métal. Je me demande quel est ce reflet dans les pierres précieuses qui ressemble au mien. Et je soupire longuement, las. Peut-être qu'un anniversaire sur la route n'aurait pas été si mal. A la place, j'aurai une décapitation pour le petit-déjeuner. J'abandonne la couronne dans mes appartements pour me rendre dans ceux de Grace. Nos rares discordes me sont toujours insupportables, et les disputes muettes sont certainement les pires de toutes. « Sa Majesté n'est pas ici. Elle prie à la chapelle. Elle souhaite être seule. » m'informe Jane en me laissant à la porte. J'acquiesce d'un signe de tête et me rend tout de même dans le lieu de prière, juste pour m'assurer que la jeune femme s'y trouve bien. Dissimulé derrière la porte, je l'observe un instant à genoux devant le Christ sur la croix, et entends l'esquisse de son murmure. Dans mon cabinet, j'occupe mon esprit dans les préparatifs de notre départ pour Naples dans quelques jours. La conversation dévie toujours sur les festivités de demain, qu'importe le nombre de fois où je refuse que cette journée soit fêtée plus qu'une autre. Jusqu'à ce que ma patience atteigne ses limites et que je m’époumone dans la pièce ; « La tête de mon ami roulera par terre et vous ne pensez qu'à célébrer des futilités le jour de sa mort, n'avez-vous aucune décence ?! Dehors ! » Mes mains froissent le papier et jettent tous les documents au sol dans un élan de rage. Du reste de l'après-midi, je demeure assis, léthargique, en attendant la soirée, ou simplement le pressentiment d'avoir à nouveau le droit d'approcher mon épouse. Je m'y risque avant le banquet. Je la trouve seule dans sa chambre, toujours amère. « Grace... » Je ne saurais dire si elle me laisse approcher parce qu'elle le veut ou parce que mon statut ne lui laisse guère l'opportunité de refuser. Je demeure donc à une courte distance d'elle, adossé à l'autre bout de la fenêtre. « Ce n'est pas vraiment le genre de premier ordre que j'aurais aimé donner en tant que vice-Roi mais... » C'est même le pire premier ordre qui soit à vrai dire, et certains diront que ce jugement aurait pu attendre, mais à mes yeux Anatoli n'avait pas payé pour ses actes depuis bien trop longtemps et avait joui de plus de liberté que ce que sa culpabilité ne devrait avoir permis. Et pour moi-même, pour ma vengeance, cela ne pouvait pas attendre. « Je n'ai pas le choix. Je sais que tu l'appréciais beaucoup, et moi aussi, et ce n'est facile pour personne. Mais il a tenté de me tuer. Je ne peux pas laisser cette trahison impunie. » C'est aussi mon rôle, malheureusement. Aurais-je du me montrer plus tendre parce qu'Anatoli a amené le médecin et a insisté malgré mes menaces pour me sauver ? Je ne le pouvais pas. Cela ne rattrape pas sa première intention, et sa marche arrière fut effectué au bénéfice de sa conscience plus que de ma vie je pense. Ce qu'il voulait, c'était de pouvoir continuer à se regarder dans un miroir, et me sauver était un bonus. Du moins, c'est ce que je crois. Je préfère penser le pire des traîtres. Et malheureusement, celui-ci doit constituer un exemple. « C'était mon ami. » je murmure, la gorge serrée, ces mots suffisant à traduire toute ma peine. Je pensais qu'il était mon ami, en tout cas.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Même si le temps passait et lui permettait de se calmer, Grace n'avait toujours pas la moindre envie d'aller dîner. Cette nouvelle lui avait coupé l'appétit, tout comme le regard dur qu'avait Celso en condamnant à mort celui qu'il disait être son ami. Son regard se perdait dans le paysage. Les habitants de Tricarico devaient déjà être au courant, à cette heure-ci. Mais la vie continuait. Ils semblaient plus heureux, les échoppes étaient mieux fournis, une certaine activité s'était créée par ici. Elle se laissait bercer par toute cette insouciance et cette simplicité de vie, juste le temps de s'échapper quelques secondes de son rôle. De celui d'épouse. Elle n'avait pu vraiment envie de le conseiller, ni même d'exposer son avis. Il préférait apparemment prendre cette décision à la va-vite, sans la moindre réflexion, sans le moindre témoignage. Rien du tout. Le temps s'écoulait. Bien que plus détendue qu'avant, elle ne désirait toujours pas Celso. Mais celui-ci se permit et se risqua à pénétrer dans ses appartements. Il faisait bien moins le fier. Elle aurait voulu qu'il ne s'approche pas plus que ça, mais il le fit quand même, ressentant apparemment le besoin de soulager un peu sa conscience vis-à-vis de sa toute première décision de vice-roi. "Ah bon ? C'est lui, maintenant ?" lui rétorqua-t-elle avec le regard on ne peut plus dur. Certes, il était dépité et peu joyeux d'envoyer son ami au bourreau. "Il n'a même pas eu droit à un jugement, Celso. Rien du tout. Tout homme a droit de se faire entendre, de se faire juger. Il y a le jugement de Dieu, tu me diras, mais il sera mort depuis bien longtemps lorsque ce sera le cas." Démarrer cette discussion mit les nerfs de la jeune femme à vif. Il était très inhabituel qu'elle s'énerve à ce point. Elle n'avait pas besoin d'hurler ou de s'emporter. Non, ses traits et son regard étaient durs, c'était amplement suffisant. "Où sont tes preuves ? Qu'est-ce qui a fini par te faire que ce soit lui, et pas quelqu'un d'autre ? J'aimerais bien le savoir." Grace se demandait ce qui pouvait bien faire changer la balance, mais elle réalisait qu'il était véritablement loin de tout lui confier. Sur le principe, elle le comprenait, mais il y avait parfois certains de ses raisonnements qui la dépassaient. "Il était véritablement inquiet. Dans son regard, ce n'était pas de l'effroi, la peur d'avoir commis une erreur et de vouloir se rattraper autant que possible. Il avait tout aussi peur que moi de te voir mourir. Mais je suppose que mon jugement à moi est aussi biaisé, n'est-ce pas ?" Après tout, que valaient les paroles d'une femme, face à un homme, face aux autres ? Elle savait que lui l'écoutait, mais elle se doutait que si elle bavait trop sur son devoir politique de souverain, il la remettrait rapidement à sa place - ce qui n'allait certainement pas enjoliver leur relation. "Pourquoi a-t-il accusé Ippolita ?" A vrai dire, Grace connaissait déjà la réponse. Mais pour une fois, ce n'était pas elle qui se méfiait de la Sforza, c'était aussi le cas d'Anatoli et cela ne pouvait pas être une simple coïncidence. Non, c'était une question pour que Celso réfléchisse. A moins qu'il en connaissait déjà la réponse. Grace fit quelques pas et se dirigea ensuite vers la table où Jane avait laissé un pichet de vin et un verre. Elle se servit et prit une gorgée. "Tu m'as fait peur Celso, tout à l'heure, vraiment." dit-elle, le regard bas. Elle craignait certainement qu'il y prenne goût, qu'il devienne malgré lui un tyran à cause de sa paranoïa, de la crainte de perdre des êtres chers et de demander à décapiter chaque personne dont il se méfiait. Elle ne l'en pensait pas capable, mais elle n'était plus vraiment sûre de quoi que ce soit. Grace finit son verre de vin et le déposa à nouveau sur la table. Elle passait sa main sur son visage. Ce n'était pas ainsi qu'elle s'était imaginée son retour à Tricarico, absolument pas. Autant, être toujours aussi bien accueillie par son peuple, qui était même ravi de voir leur ascension, lui avait mis du baume au coeur. Même cette accusation surprise l'avait rendu bien amère que même le vin qu'elle venait de boire lui semblait mauvais.
L'affaire agace Grace à une vitesse fulgurante ; sa simple évocation durcit ses traits instantanément. Elle n'est pas prête de digérer cette décision de ma part, qu'elle trouve particulièrement contestable. Un jugement aurait été une perte de temps à mes yeux, rien d'autre. Et je savais que personne n'oserait se mettre en travers de cette sentence, personne n'oserait me questionner à ce sujet ou remette mon autorité en question. Je ne voulais pas avoir à répondre de mes accusations et encore moins laisser à Anatoli la possibilité de tourner le couteau dans la plaie en se défendant. « L'entendre n'aurait rien changé. Il aurait nié, voilà tout. Et ma décision aurait été exactement la même parce que je sais qu'il l'a fait. » Ce qui est utile avec le fait d'avoir une couronne sur la tête, c'est qu'on ne me demande pas comment je le sais. Du moins, personne ne l'oserait en dehors de mon épouse. Elle est et demeure la seule capable de me tenir tête et parfois de me raisonner. « Et où sont les preuves de son innocence ? » je rétorque, puisqu'il est fort facile de poser la question dans un sens ou dans l'autre, et dans les deux cas la preuve est quasiment impossible à fournir. « Je n'ai entendu que les banales jérémiades d'un homme qui pense que clamer son innocence fera de lui un innocent. J'ai entendu un homme tenter de m'amadouer en me rappelant qu'il a amené le médecin. Et il m'a dit, à peu près, d'aller en enfer avant d'accuser quelqu'un d'autre pour son crime. Ce n'était pas le comportement d'un innocent à mes yeux. » A vrai dire, cela n'a fait que confirmer sa culpabilité, et le verdict. Son regard et ses paroles n'ont pas suffi à me faire douter des affirmations d'Ippolita, et je crois sa parole qu'elle a offert en gage de bonne volonté. Malheureusement, je m'y fie cette fois plus qu'en le jugement de Grace. Je doute que ses yeux bleus embués par les larmes aient réellement pu discerner la vérité sur le visage d'Anatoli pendant que j'agonisais. « Oui, il l'est. » j'affirme autoritairement, n'appréciant guère le ton qu'elle emploie. J'accepte volontiers ses avis, ses opinions, ses convictions, mais pas sa manière de me prendre à revers afin de me faire passer pour le méchant. « Et même s'il voulait vraiment me sauver, ça n'excuse pas la trahison, ça ne doit pas me rendre moins sévère face à son crime. Je ne peux pas le relâcher avec une tape dans le dos parce qu'il a eu la clémence de réparer son erreur, comme si la tentative de meurtre n'était pas si grave que ça. » Se croyant toujours plus éclairée que je ne le suis, Grace évoque les accusations d'Anatoli envers la Sforza. Ils étaient de connivence et je le sais, mai je ne peux l'avouer à ma femme. Elle ne comprendrait pas pourquoi Anatoli est le seul à payer ce crime, et elle ne me pardonnerait pas de poursuivre mon alliance avec Ippolita malgré tout. « Une tentative désespérée de se dédouaner. » je réponds alors en haussant les épaules, argument qui tient. « Tu aimerais tant que ce soit elle que tu n'accepte pas que quelqu'un d'autre soit coupable. » Grace ne peut le nier. L'italienne ferait la coupable idéale à ses yeux, elle la déteste tant, et j'imagine qu'elle jubilerait de voir sa tête rouler par terre bien plus que pour Anatoli. Pourtant il est coupable. Aussi innocent a-t-il l'air, et malgré l'affection que nous avons eu pour lui, il est coupable et doit être puni à la hauteur de son crime. Lèvres pincées, contrarié, j'observe la jeune femme se servir un verre de vin. Qu'elle avoue avoir eu peur de moi j'assène un coup au coeur et me révolte autant que cela me fait de la peine. « Pourquoi ? » je demande en approchant d'elle, le regard dur. « Parce que j'envoie le coupable de mon empoisonnement à la mort ? Tu aurais préféré que je l'épargne peut-être ? Qu'on attente à ma vie n'est pas une raison valable à tes yeux pour ce genre de sentence ? » Si c'est ce qu'elle pense, alors c'est offensant. Je déglutis difficilement, la mâchoire toujours serrée par l'agacement. J'ai l'impression que c'est moi qui suis jugé, et non celui qui a voulu ma mort. Suis-je seul à vouloir être vengé de ce méfait ? J'aurais tant aimé avoir Grace de mon côté. Je soupire et songe à quitter les appartements de la jeune femme où je ne suis visiblement pas le bienvenu, mais avant cela, bras croisés, je lui propose ; « Faisons un marché. Si d'ici demain matin tu m'apportes la preuve de l'innocence d'Anatoli, ou ne serais-ce qu'un élément pouvant me faire douter, alors il sera épargné. »
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Que Celso ne veuille même pas lui accorder le bénéfice du doute exaspérait son épouse. Celle-ci n'aimait pas qu'ils se disputent, mais elle ne se sentait pas capable de rester muette à face à ce qu'il venait de faire. Les pouvoirs d'un roi étaient toujours effrayants. Il avait le droit de vie ou de mort sur une personne et aucun être vivant n'oserait contester son autorité. Certains y prenaient goût et en abusait, d'autres en avaient horreur, craignant d'avoir trop de sang sur les mains. Grace lui aurait bien raciné au nez lorsque la seule chose qu'il avait fait était de répliquer sa question par une similaire. L'on dit un être innocent tant qu'il n'y a pas d'éléments pour l'accuser, n'est-ce pas ? Où étaient ces éléments là ? Celso aimait de moins en moins que la petite blonde lui tienne autant tête dans cette affaire. Ils étaient tous les deux d'accord sur le fait d'accuser et de faire passer la peine de mort pour la personne qui avait osé l'empoisonner, Grace était d'accord sur ce point. Mais, pour elle ne savait quelle raison, il était soudainement si sûr de lui que c'était Anatoli, et personne d'autre. Et pour ça, il ne voulait pas dire qui ou quoi était sa source. Elle le fusilla du regard. "Je me fiche que ce soit elle ou qui que ce soit d'autre. Tu fais ce que bon te semble avec la Sforza. Cela peut être un servant, un de tes conseillers, je m'en fiche, à vrai dire. Pourquoi te braques-tu tant dès que je parle d'elle ?" Il l'épargnait, quoiqu'il advienne. "Où est ce temps où tu te méfiais même d'elle ?" Parce qu'elle se souvenait, de ces mots là. Le nombre de fois qu'il lui avait dit qu'elle ne devait pas se fier à qui que ce soit, se méfier de chacune des personnes qu'elle pouvait rencontrer. Alors elle se méfiait d'elle, plus que les autres, c'était une évidence. "Il aurait pu accuser n'importe qui d'autre pour se dédouaner, mais non, il a préféré parlé d'elle, je trouve ça juste étrange." reprit-elle plus calmement, bien que la conversation était toujours aussi tendue. Il devenait tant évident qu'il se soit rangé du côté de la Sforza. Pourquoi tenait-il tant à le lui cacher ? Grace se demanda même, à un moment donné, si c'était parce qu'il l'avait prise pour maîtresse, ou un titre du même genre. Elle ne savait véritablement plus quoi penser de son propre époux. A moins que ce soit une technique de la Sforza afin que Celso n'est plus qu'elle envers qui se tourner. "Ce n'est pas ça qui me fait peur. C'est le regard que tu avais." dit-elle froidement. Les peines de mort étaient relativement courantes, il suffisait de trahison et de manigances pour retrouver sa tête sur un piquet. "Tu sais que je souhaite autant punir que toi celui qui t'a fait ça." Le vice-roi comprit qu'il n'était plus vraiment acceptable et raisonnable de rester là et respecta l'intimité de son épouse en quittant ses appartements. Elle haussa les sourcils en entendant son soit-disant marché. Elle secoua négativement la tête, elle ne le croyait pas. "Tu viens juste de le dire, Celso. Ta décision sera exactement la même parce que tu sais ce qu'il a fait." Il ne voulait pas l'écouter, alors Grace ne voyait pas en quoi elle devrait encore parler. C'était alors sur une note bien sombre que le couple se séparait, très certainement pour le reste de la journée. Elle soupira longuement pour se écharger un peu. Elle n'aimait absolument pas lorsque leur avis divergeait tant au point qu'il puisse y avoir de tels conflits. La jeune femme s'installa sur le canapé, bien songeuse. Ses suivantes refirent apparition peu avant le dîner, prêtes à préparer Grace s'il y avait besoin. "J'avoue avoir perdu l'appétit et tout esprit de fête." leur dit-elle alors, le regard perdu dans les flammes. "Nous pourrions demander aux cuisines de vous préparer un plat, nous pourrons leur dire que vous êtes exténuée du voyage et que vous voudriez pouvoir dîner au calme. Ils apprécieront tout de même de savoir que vous mangiez ce qu'ils vous ont préparé." suggéra Luisa. Grace la regarda. "Pourquoi pas, oui." répondit-elle d'un air las. Ce qui l'avait surtout épuisée, c'était d'avoir tenu tête à Celso, et que ça n'aille toujours pas mieux entre eux. Comment espérait-il qu'elle trouve des preuves en une nuit ? C'était un marché déjà tout gagné pour lui, autant qu'il lui coupe la tête avant de souper. Grace soupira. En dehors de l'amitié qu'elle avait pour Anatoli, son coeur restait persuadé qu'il était innocent, ou qu'il avait été pris au piège dans des manigances et des complots dont il ne doutait pas. Après avoir dîné, elle se débarrassa de tous ses bijoux et se rendit une nouvelle fois à la chapelle. Elle priait cette fois-ci pour celui qui avait été son ami, mais aussi pour une quelconque amélioration dans son couple. Elle craignait que cette crise là allait être bien plus longue que n'importe quelle autre, et ça la rendait profondément triste. Jane et Luisa aidèrent sa maîtresse à se changer, à enfiler chemise et robe de nuit. "Je veux être réveillée après l’exécution d'Anatoli, pas avant. C'est bien compris ?" Elles acquiescèrent d'un signe de tête et laissèrent Grace seule avec ses pensées. Elle s'allongea sur le lit, sans défaire les draps, les yeux rivés vers la fenêtre. C'était une nuit de pleine lune. Elle était si triste de perdre une personne qui fut un jour amie et alliée. Elle se sentait terriblement seule, cette même solitude creusée par les désaccords avec Celso. Elle n'aimait tellement pas se prendre la tête avec lui. La jeune femme sanglota silencieusement, bien incapable de fermer un tant soit peu les yeux pour s'endormir.
La justice d'une Cour n'est jamais complètement juste, mais j'ose croire que la mienne s'en approche malgré les circonstances et tout ce dont ceci à l'air, d'une petite crise de despotisme -du moins, au yeux de ma propre épouse. Je sais ce que je sais et nul ne peut exiger de moi la moindre justification, en revanche, de la part de quiconque souhaitant remettre en cause ma décision, je peux exiger les preuves de l'innocence de mon accusé. C'est ainsi, pas autrement, et même Grace ne se risque pas sur ce terrain là, sûrement parce qu'elle ne peut rien prouver du tout. Je ne peux pas gracier Anatoli sur sa seule intuition alors que je sais sa culpabilité de source sûre. Cela ne serait pas juste non plus. Que je défende Ippolita agace tout autant la jeune femme. Elle peut nier autant qu'elle veut son jugement biaisé, elle ne fait pas illusion une seule seconde. « Ca n'a pas changé, je me méfie toujours d'elle, mais je m'efforce de rester impartial. Cela vaut pour Anatoli et pour Ippolita. Et je ne crois pas que ce soit ton cas. Je crois que tu ne te contente pas de te méfier, mais que tu la méprises, et même si je le comprends et je le respecte, je pense que cela assombrit ton jugement dans tout ce qui touche à elle de près ou de loin. » J'ose me croire plus pragmatique de mon épouse. Et malheureusement, pour le moment, la Sforza peut être plus utile vivante que morte. Cela ne me plaît pas plus qu'elle, c'est pourtant une réalité avec laquelle il faut composer. Concernant l'accusation d'Anatoli à son encontre, je hausse les épaules ; « C'est bien pour cette raison qu'il l'a nommée. Pour semer le doute. Au moins cela fait effet sur toi. » Le ton est méprisant et je le regrette dans l'instant, mais ce qui est dit est dit. Grace n'est pas tendre avec moi non plus, et plutôt que d'être de mon côté, elle se dresse contre mon jugement. Un jugement qui me tient à coeur dans une affaire qui a blessé mon âme. Tout ce qu'elle trouve à dire, c'est que c'est moi qui fit le plus peur dans cette histoire. « J'étais en colère et blessé par la trahison d'un ami, je n'aurais pas pu avoir d'autre regard, et tu aurais du l'avoir aussi car en m'empoisonnant il t'a trahie aussi. » Mais cet aspect des événements ne semble pas l'effleurer. Elle préfère me laisser affronter seul tout ceci. J'apprécie d'habitude son caractère et son audace dans son expression, mais ce jour, elle me laisse amer et peiné. Pour lui plaire, je lui propose ce marché qui laisse une chance à Anatoli d'être innocenté, ou tout simplement de faire naître un assez gros doute pour que la sentence soit injustifié ; je remets celle-ci en question en quelque sorte, le temps d'une nuit, mais Grace n'en veut pas. « Bien. Alors tu ne m'accuseras plus de ne pas avoir laissé le bénéfice du doute. » Je ne peux pas faire plus. Puisqu'il n'est visiblement pas question que j'importune la jeune femme plus longtemps, je la quitte et me rend au banquet. Certains n'ont pas le luxe d'y échapper. Mais il semblerait que la Lady se pense également le droit d'être absente au matin de l'exécution, le lendemain. Alors que la table du bourreau est installée, tâchée du sang des précédents condamnés et creusée par les coups de hache à répétition, alors que la Cour est installée et que les habitants curieux s'attroupent devant ce rare spectacle dans leur ville, mon regard ne trouve pas mon épouse où que ce soit. « Où est Grace ? » je demande à ses suivantes, assises à côté de la chaise vide. « Dans ses appartements votre Majesté. » « Je peux savoir pourquoi ? » Les jeunes femmes échangent un regard inquiet. Le ton de la question ne présage rien de bon. Quelques secondes, elles pèsent le pour et le contre de dire la vérité ou de couvrir leur maîtresse, mais elles n'ont guère le temps ou l'opportunité de tomber d'accord. « Elle… » « Elle se sent souffrante votre Majesté, elle a besoin de se reposer. » coupe Jane avant que Luisa ne puisse avouer. Le sang bouillonnant, les dents serrées, le regard dantesque, j'ordonne ; « Allez me la chercher et préparez la. » Immédiatement, quoi qu'à contrecoeur, les demoiselles se ruent au château puis dans les appartements de Grace afin de la réveiller, sur ordre de sa Majesté précisent-elles pour se dédouaner, et de l'habiller aussi rapidement et correctement que possible. Entre temps, j'ai envoyé un garde se placer à la porte de la chambre de la Lady afin de la contraindre à se présenter en cas de refus. Il l'escorte, ainsi que ses suivantes, jusqu'à la place de l'exécution -un peu à part, où je l'attends pour dire un mot avant de nous installer. « Tu n'as pas l'air souffrante. » je remarque en la toisant de haut en bas, le regard noir et méprisant. Ce n'était certainement qu'un mensonge. Malgré tout le calme que je tente de conserver, je ne peux m'empêcher de fulminer et d'être consumé de l’intérieur par la rage, la peine et la déception tous unis que ma femme me fait ressentir à cet instant. « Est-ce que tu as décidé de m’embarrasser, Grace ? De protester comme une enfant en refusant de te présenter à l'exécution ? De quoi ais-je l'air sans mon épouse à mes côtés ? Est-ce que c'est l'idée, de m'humilier et me discréditer devant toute la Cour et le peuple en montrant ton désaccord par rapport à ma décision ? » Son affront est intolérable. J'approche mon visage du sien, le regard planté dans ses iris bleus, peut être menaçant, surtout foudroyant. « C'est ton devoir d'être présente, que cela te plaise ou non. Va à ta place. »
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Elle entendait les cloches sonner. Elle aurait tant préféré être si profondément endormi qu'elle n'aurait rien entendu, et tout ignorer. De base, elle ne voulait pas assister à une éxecuté, cela avait toujours été quelque chose qu'elle évitait au possible et se précédent mari ne lui en tenait pas rigueur. Mais cette fois-ci, il s'agissait d'Anatoli et elle sentait son coeur se pincer à cette simple idée. Jane et Luisa arrivèrent dans ses appartements bien alarmés. "Sa Majesté exige votre présence pour l'éxecution." Grace leva les yeux au ciel et soupira. "Il est véritablement mécontent, il a..." "Ne prenez pas ça pour vous, c'est uniquement pour moi." dit-elle d'un ton presque las. Malgré tout, la jeune femme se laissa habiller par ses suivantes, coiffer correctement à une vitesse éclaire et mettre en place les bijoux assortis. Elle soupira longuement, prenant un peu de courage avant de devoir quitter cette pièce. Même un garde l'attendait pour être escorté. "Cela ne vous donne certainement pas le droit de me toucher." répliqua-t-elle sèchement lorsqu'elle vit la main du soldat se lever, certainement pour l'inviter à prendre la marche. Jane et Luisa la suivait de près, on voyait bien que cette querelle de couple les tourmentait elles aussi. Celso était un peu en retrait, fou de rage, mais il tentait au mieux de se contenir, étant si près de la foule. Elle n'eut aucun mal de le regarder, encore moins de rester de marbre face à ses propos. Grace était une experte en la matière, elle avait fait ça toute sa vie. Elle avait tout de même chacune de ses paroles. Grand bien lui fasse s'il considère tout ceci comme des caprices d'une enfant. Il aura beau s'approcher d'elle, l'assassiner du regard, elle le fixait d'un air neutre, quoi qu'assez offusqué. Voilà un Celso qu'elle ne connaissait pas. Etait-ce le vrai ? Est-ce que celui qu'elle avait connu jusqu'ici n'était qu'un masque, un semblant uniquement pour plaire à la gente féminine. Arrivait-il à se regarder dans un miroir avec des accès de rage pareils ? Grace se posait tout un tas de questions le concernant. Elle s'inclina légèrement, comme toute personne devrait le faire devant lui et se contenta de dire "Oui, votre Majesté." S'il veut jouer le rôle de l'époux autoritaire, Grace ira retrouver un rôle qu'elle connaissait par coeur. Elle savait se taire et penser silencieusement, elle savait être une épouse exemplaire. Si c'était ce qu'il voulait désormais, elle allait le faire avec grand plaisir. Qu'il n'espère pas pouvoir partager sa couche avec elle avant un moment. Qu'il aille, comme tout bon roi de sa trempe, se satisfaire auprès de femmes plus jeunes, plus belles, plus osées. Elle n'était finalement pas libre que ça. Celso lui avait dit tout ça juste pour se vendre, et rien d'autre. La voilà bien déçue, elle aussi. C'en était même blessant, et elle vivait intérieurement sa totale désillusion lorsqu'elle montait la petite estrade où se trouvaient deux sièges pour le couple, afin d'assister confortablement à l’exécution. Elle salua brièvement la foule et s'installa, Celso était à ses côtés, les traits toujours aussi durs et fermés. Le bourreau était déjà là, le prêtre aussi. Il ne manquait plus que l'accusa, qui ne tarda pas à arriver, dans des vêtements bien simples, des chaînes aux pieds et aux mains. Grand dieu, elle détestait tant les exécutions. Certains lui diraient que Celso s'était montré clément en lui accordant une mort rapide. Il y avait d'autres techniques beaucoup moins plaisantes et flatteuses, qui en faisaient vomir plus d'un. Elle sentait son coeur se pincer, paniquer. Anatoli donna plusieurs pièces au bourreau. Tout le monde l'insultait, le méprisait, hurlait sur lui, critiquant son déshonneur, sa lâcheté, sa trahison. L'accusé demandait pardon à son vice-roi, à sa vice-reine, espérant avoir quelques unes de leurs prières, et ne demanda guère de bénédiction. Il clama tout de même une fois son innocence, se disait être victime d'un complot et promettait que son âme prierait pour que le couple royal n'en soit pas également victime dans les temps à venir. Il les remercia d'avoir été aussi bons et généreux envers lui et envers le peuple de Tricarico, mettant en avant qu'ils avaient su faire briller une cité qui fut longuement oubliée par n'importe quelle couronne. Anatoli ne craignait pas de regarder Celso ou Grace droit dans les yeux. Jusqu'au bout, la jeune femme restait persuadée de son innocence. De ce fait, il fut particulièrement douloureux pour elle de maintenir ses yeux ouverts alors que la hache venait sèchement séparer la tête du corps. Le plancher rougit en une vitesse éclair, et tout le monde demeura bien silencieux. Anatoli n'était plus. Et Grace se sentait particulièrement seule, sur l'instant. Bien que la foule commençait à se dissiper, elle resta longuement assise sur son siège, les yeux rivés sur la flaque de sang qui était en train d'être épongée. Qu'importe si Celso parte également, elle, elle restait longuement là, silencieuse, immobile. Jane et Luisa espéraient qu'elle ne s'y éternise pas trop, elles ne se sentaient pas vraiment à l'aise, par ici. La petite blonde eut soudainement ce lourd poids sur la conscience, le poids de la mort d'Anatoli. Elle culpabilisait de n'avoir rien fait, pas même pour tenter de l'aider. Il ne lui en avait pas tenu rigueur, et pourtant, elle avait la sensation que de là où il était, il la damnait.
Grace sait gérer ses maris à l'aide d'une force tranquille. Un regard froid, un rictus neutre de façade, une pirouette élégante et docile. Elle file s'asseoir comme je l'ai ordonné. Pas de joute verbale, pas de crise, pas même de réelle réaction. Une froide impassibilité, rien de plus. Rien de plus frustrant pour une rage qui ne demande qu'à exploser, et pourtant, la solution la plus sage qui soit pour éviter tout esclandre et les regards du public rivés sur nous. Je prends place sur mon trône à mon tour, sans plus accorder un regard à la jeune femme, bien trop énervé contre elle pour ne pas l'assassiner à chaque coup d'œil. Et pourtant, je ne sais pas ce qui est préférable ; observer avec agacement cette superbe femme à mes côtés que rien ne saurait m'empêcher d'aimer malgré nos différends, ou l'exécution d'un ancien ami dont je ne peux me réjouir de la mort malgré son crime et dont la vision dans ces fripes défraîchies suffit à serrer ce qu'il reste de coeur battant à cet instant. Il s'exprime, longuement. Adresse ses excuses et ses prières. Plus je l'écoute, plus mes doigts serrent les accoudoirs de la chaise, ma respiration se fait plus difficile. Il est mis à genoux, la nuque dégagée. Mes lèvres s'entrouvrent, mais ma gorge reste nouée. Je ne peux pas tout arrêter ; la hache est déjà bien haute au dessus de l'épaule du bourreau, et avant de trouver le courage de parler la lame s'abat dans le cou d’Anatoli. Mon regard se détourne. Un goût amer envahit ma bouche. Un poids s'assoit sur ma poitrine. Avant que je puisse m'en rendre compte, la place se vide, minute après minute. Grace demeure ici, je ne sais si elle attend mon autorisation pour partir puisque, la connaissant, le jeu de masques qui vient d'être lancé durera bien quelques jours. Je soupire, tente de revenir à mes esprits. C'est terminé. Un coupable puni et désormais aux mains d'un tout autre juge pour le sort de son âme. Pourquoi est-ce que je ne me sens pas mieux, soulagé ? Peut-être est-ce un sentiment à retardement. Peut-être… je ne sais pas. Au bout d'un long moment, c'est sur les suivantes de Grace que mon regard se pose. Elles ne tardent pas à se sentir lourdement observées et à tourner la tête dans ma direction. D'un geste vague, je signe d'approcher. “Jane.” L'anglaise, si loyale et fidèle à sa maîtresse, se lève et effectue quelques pas afin de se tenir devant moi. Mon regard glisse de haut en bas sur sa silhouette. “Vous m’avez menti.” Ce n’est pas une question, mais la demoiselle ne peut s'empêcher d'être honnête et d'acquiescer discrètement. “Est-ce que Grace vous l'a demandé ?” je reprends d'une voix calme, presque douce. Ses yeux s'écarquillent, elle cherche l'appui de la Lady, ou son pardon, un court instant. “N-non, c'était mon idée, à moi seule.” J’acquiesce pour signer ma compréhension et demeure silencieux, le temps de réfléchir. “Je vous demande pardon votre Majesté.” J’acquiesce à nouveau. Je ne pensais pas pouvoir faire véritablement peur, et pourtant, depuis la veille, cela semble être un nouveau pouvoir venu de paire avec la couronne. La petite tremblerait presque. Je soupire une nouvelle fois en me dressant sur mes jambes, la surplombant de bien nombreux centimètres. “Vous réfléchirez à la pertinence de vos idées dans une cellule jusqu'à notre départ pour Naples.” D'un signe, j'ordonne à un garde d’escorter Jane jusqu'à ses nouveaux appartements pour les prochains jours. Pour ma part, je quitte la place, qui sent désormais le sang frais, à mon tour.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Impossible d'échapper au rouge qui dégoulinait désormais sur le sol. Grace restait muette, et observait, sans dire le moindre mot. Sur le moment, elle haïssait Celso au possible. Elle se demandait si la couronne était véritablement faite pour lui, si l'artiste qu'elle avait connu apprécierait ce nouveau lui. Elle en doutait fortement. La place se vidait à vive allure, il n'y avait plus vraiment de distraction, tout était terminé. Le silence qui régnait était à la fois lourd et apaisant. Elle n'en pouvait plus d'entendre la voix de Celso, mais voilà qu'il s'adressait à l'une de ses suivantes. A croire qu'il prenait un certain plaisir d'appuyer sur son pouvoir autoritaire, et il ne lésinait pas les moyens en osant mettre la jeune femme en cellule pour avoir protéger sa maîtresse. Celle-ci eut presque l'envie de lui taper la tête contre un mur. S'il devait s'en prendre à quelqu'un, c'était bien à Grace, mais il préférait s'en prendre à elle de manière indirecte et quasi déloyale en éloignant sa plus fidèle amie d'elle. La petite blonde avait envie de le fusiller du regard, de lui hurler dessus et de lui garantir qu'elle ne passerait plus jamais une seule nuit avec lui pour abuser ainsi de son pouvoir. C'était un argument qui était toujours particulièrement efficace, auprès des hommes. C'était son pouvoir, son autorité à elle. Jane n'opposa aucune résistance et accepta même sa sentence sans dire quoi que ce soit. Celso quitta les lieux, certainement gêné par l'odeur qui commençait à régner sur la place. Elle était bien là, seule. Peu de personnes ne voudrait l'importuner, ni même oser l'approcher, ici. "Je suis désolée, Luisa. Je m'en veux terriblement pour Jane." dit-elle tout bas, alors que ses yeux restaient toujours bien rivés sur l'endroit où Anatoli avait perdu la vie. "M'accordera-t-elle son pardon ?" "Il n'y a rien à pardonner, Votre Majesté. Jane a fait tout ceci en pleine connaissance de cause. J'en aurai fait de même à sa place, et j'aurais voulu que vous ne culpabilisiez pas." "Elle a été punie pour m'être si dévouée et loyale, au point de mentir." "Parce qu'elle pensait agir pour votre bien, Votre Majesté." La voix fluette de Luisa semblait sincère. Elle espérait qu'elle avait raison, que Jane voudra toujours la suivre après cet épisode fâcheux. "Il faut que j'aille à l'église." finit-elle par dire au bout d'un long moment, avant de se lever et de rejoindre sans dire quoi que ce soit son appartement. Ses vêtements étaient un peu plus sobres. Grace avait déjà tellement la mort d'Anatoli sur la conscience qu'elle ressentait le besoin de se confesser et de prier longuement. C'était également une excuse pour rester un peu éloignée du château de Tricarico, et donc, du vice-roi. La jeune femme, tout comme Luisa, restait longuement à l'avant de l'église. Les prêtres s'assuraient que personne ne vienne l'importuner - et personne n'oserait venir perturber ses prières. L'on s'était même hâté à réunir un choeur d'enfants, chantant durant tout le temps où Grace était là. Elle demanda à Luisa de donner une pièce à chacun d'entre eux, avant qu'elles ne quittent l'église. Puis, sans grande surprise, elle atteignit ses appartements, n'ayant guère le coeur de prétendre quoi que ce soit à la cour. Elle n'avait pas la moindre envie de faire ne serait-ce qu'un geste affectueux à son mari. Assise dans son fauteuil, son chapelet en main, le regard dans le vide, elle ne savait plus trop quoi penser. Si tout ceci avait été une bonne idée ou non. Si ce n'était que le début du règne d'un tyran ? A punir à tout va, à demander de trancher la tête à celui qui osera dire non. "Allez me chercher Francesco, j'aimerais l'avoir un peu dans mes bras." ordonna-t-elle à Luisa, qui s’exécuta aussitôt. Il avait déjà un petit peu grandi. La nourrice se réjouissait de sa bonne santé, de son bon appétit et de ses longues nuits de sommeil. Il était si paisible, si beau. "Je t'aime tant, Francesco." dit-elle tout bas, en caressant délicatement sa joue. Lorsqu'elle faisait ceci, il se mettait toujours à sourire un peu, comme s'il savait qu'elle était bien sa mère. "Je t'aime de tout mon coeur." répéta-t-elle. Elle le gardait un long moment dans ses bras avant de demander à le remettre dans son berceau afin qu'il dorme paisiblement. "Si je puis me permettre, votre Majesté, peut-être devriez-vous vous rendre au banquet de ce soir ?" "Je n'en ai pas le coeur, Luisa." "Je pense qu'il y a beaucoup de personnes à la cour qui adoreraient vous revoir, ça leur ferait plaisir que vous leur fassiez rien que par votre présence." Grace soupira. Luisa n'avait peut-être pas tout à fait tort et elle savait bien mieux sonder l'esprit des Italiens qu'elle. Elle n'avait même pas vu la journée passer. Entre les prières et le temps passé dans ses appartements, il était effectivement déjà presque l'heure du dîner. Grace réfléchit longuement avant de dire à sa suivante. "Je vous laisse choisir ma tenue." C'était le genre de petites choses qu'elle leur permettait de temps en temps, et ça faisait toujours leur plus grand bonheur. Luisa avait le choix sur tout et s'appliqua avec minutie sur sa coiffure et sur le choix des bijoux qui concorderaient avec une robe de couleur émeraude. La suivante se faisait toujours plaisir en mettant en valeur sa vice-reine. Sa simple apparition dans la grande salle où étaient dressés les tables fit exclamer de joie de nombreuses personnes présentes.
« Alors, ça vous fait quel âge maintenant ? » La salle est vide désormais, le banquet a touché à sa fin il y a quasiment une heure. Grace et moi nous sommes à peine adressés un regard. Alors une fois la Cour dispersée, les musiciens partis, et même les servants congédiés, moi et Pietro avons décidé de rester ici et de boire jusqu'à ce que l'odeur même du vin nous écoeure. Ce qui signifie que nos rires résonnent dans cette grande salle vide sans la moindre raison. Le grand brun est un aristocrate de Tricarico. Discret et sans utilité particulière, si ce n'est celle de me tenir compagnie ce soir et de s'être souvenue que nous avions célébré mon anniversaire à la même date l'année passée, peu avant l'arrivée de Grace à Squillace. « Dix-huit, c'est évident, pourquoi ? » je réponds en plaisantant. Nous pouffons quelques secondes. Non, à voir les rides aux coins de mes yeux, cela fait longtemps que cette jeunesse m'a quittée. « Non, allez, sérieusement. » insiste-t-il, quitte à se montrer poussif, ce qui est presque pardonnable après autant de coupes de vin. Je soupire. « Trente-trois. L'âge du Seigneur. » Du moins, l'âge qu'il avait en décédant sur la croix. Pour certains c'est un chiffre porte bonheur, pour d'autres, particulièrement redouté. « Mais contrairement à lui je suis certain que vous avez encore de belles années devant vous. » « Je l'espère. » Nous trinquons à ceci puis renflouons nos verres à peine vidés. Ma couronne, devenue trop lourde pour ma tête engourdie, trône sur mon royal fauteuil à l'opposé de la salle. Parfois mon regard se perd dans la brillance des pierres précieuses, mais c'est une pensée moins poétique qui me traverse cette fois. « Hé, ça vous dit un concours ? Celui qui envoie le plus de bouchons dans la couronne. » Ce ne sont pas les projectiles qui manquent vu le nombre de bouteilles de vin qui furent ouvertes. « Sérieusement ? » Quelle idée saugrenue de manquer de respect au royal couvre-chef. « Bien sûr ! Ce n'est qu'un… un grand serre-tête de luxe. » Et pourtant, un objet au coeur de toutes les guerres. Après avoir battu Pietro à plate couture -à moins qu'il ne se soit laissé battre, c'est bien le problème lorsque l'on est un souverain qui fit décapiter un membre de la Cour le matin même, l'on ne peut pas en être certain – après notre petit jeu donc, l'aristocrate me souhaite bonne nuit, et nous prenons des chemins opposés dans les couloirs du château. Pour ma part, je m'enfonce dans le sous-terrain menant au donjon malgré mes pas malhabiles qui peinent à placer mes pieds l'un devant l'autre. Je crois que même les gardes hésitent à me laisser passer dans cet état, pourtant ils n'osent pas m'escorter jusqu'à ma chambre comme un enfant qui pourrait se faire honte à lui même. Ils m'indiquent la cellule que je cherche. « Jane. » je murmure jusqu'à la réveiller. Elle dort au sol, sur un amas de paille et d'on-ne-veut-pas-savoir-quoi. Son regard est méfiant, je suppose que l'alcool qu'elle peut sentir jusqu'à ses narines ne joue pas en ma faveur. D'un signe de tête, je demande aux gardes de libérer la jeune femme. Ils hésitent, se demandent s'il ne regretteront pas leur coopération demain matin, et trouvent intelligent de me faire signer le registre des prisonniers au cas je ne me souviendrais pas de ma propre intervention le lendemain. Etrangement, je m'exécute sans broncher. Jane revient de l'autre côté des barreaux. « Vous pouvez rejoindre vos appartements. Je suis désolé. » dis-je le plus sincèrement du monde, rempli de regrets, et ne me supportant plus moi-même pour aujourd'hui. L'emprisonner était injuste, ce n'était qu'une vengeance puérile, une manière maladroite de faire passer un message. Mais ce n'est pas moi. « Vous faites partie de la famille, Jane. Grace serait perdue sans vous. Et je vous apprécie beaucoup aussi. C'est juste que… Les temps sont difficiles. Nous évoluons dans un environnement difficile. J'ai besoin de pouvoir faire confiance à ceux qui sont au plus près de moi. Alors plus jamais de mensonge. Je préfère une vérité dérangeante plutôt qu'un mensonge. » Je doute que la jeune femme donne beaucoup de crédit aux mots d'un homme saoul venu la voir au milieu de la nuit, ce qui importe c'est qu'elle puisse dormir dans son lit. « Merci votre Majesté. » Je souris faiblement. « Filez. » Je commence à fatiguer moi-même. Je doute tantôt de ce qui est réel et de ce que je pourrais être en train de rêver depuis le fond de mon lit sans savoir que je me suis couché -ou que je me suis endormi dans je ne sais quel recoin du château. Errant dans les couloirs, l'âme en peine et les pieds traînant au sol, je tracte ce corps jusqu'à la chambre de Francesco. La nourrice est endormie sur un lit des plus modestes à côté de son luxueux berceau, le contraste est flagrant. Le sommeil léger, aux aguets, veillant sur le petit même dans son sommeil, elle ouvre un œil, note ma présence et reprends sa profonde somnolence. Je demeure là un long moment, à admirer mon garçon endormi, débordant d'amour pour ce petit être si adorable, encore si innocent. J'aimerais dormir aussi bien que lui la nuit, l'esprit libre de toutes pensées. Ma fine caresse sur sa joue ne suffit pas à le réveiller. Je garde précieusement cette image dans ma tête, dans le moindre détail. Puis je quitte la chambre. Après un court arrêt à mon cabinet, je passe devant la porte des appartements de Grace. Il est bien assez tard pour qu'elle dorme à poings fermés elle aussi. Je récupère le petit bout de papier dans une poche de ma veste et le glisse sous la porte avant de rejoindre, enfin, mon propre lit. Un rapide croquis de notre fils endormi estampillé d'un timide « je t'aime. » dans un coin.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
C'était l'anniversaire du vice-roi, il fallait bien fêter ça dignement. Mais personne ne s'essayait à lui faire de mauvaises blagues, tout le monde avait été bien refroidi par ce qui s'était passé le matin même. Grace l'avait à peine regardé, elle préférait encore l'ignorer. Tout le monde semblait déjà satisfait de sa simple présence, n'ayant pas été là la veille. La jeune femme partit une fois le repas terminé, n'ayant guère l'envie de danser ou ni même d'apprécier la musique. Luisa la suivit de près. Un feu de cheminée avait été allumé et bien alimenté dans ses appartements. Comme à son habitude, elle s'y installa pour lire et tenter d'apaiser son esprit. Mais c'était impossible. Elle ne supportait pas d'avoir un mort sur la conscience et elle avait l'impression que ses prières n'étaient pas suffisantes. Alors elle priait à nouveau, son chapelet en mains, désespérée. "Lady Grace ?" La petite blonde autorisait ses suivantes lorsqu'elles n'étaient qu'entre elles. Les "votre majesté" à tout va la mettait mal à l'aise. "Ma famille m'a offerte une nouvelle robe, et ils en ont même confectionné une pour Jane. Puis-je vous les montrer ?" La petite Italienne avait bien compris qu'il fallait focaliser l'esprit de sa reine sur autre chose. "Bien sûr." lui dit-elle avec un discret sourire. Luisa semblait particulièrement fière et hâtive de lui montrer ces deux robes identiques beiges, au tissu floral. Les broderies étaient discrète et très élégante, avec quelques notes d'un bleu vif ici et là. "Ils ont demandé aux tailleurs de s'inspirer de vous, pour la faire." "De moi ?" demanda-t-elle, alors perplexe. "Oui. Ils ne voulaient pas mettre du jaune ou de l'or, alors ils ont opté pour le beige, pour représenter vos cheveux, et les petits détails bleus, c'est pour la couleur de vos yeux. Ils m'avaient demandé qui était la personne qui m'inspirait le plus, alors..." Elle haussa timidement les épaules. "Oh Luisa." dit Grace tout bas, touchée de cette attention. "Mais si c'est trop richement décoré à vos yeux, ou si cela ne vous semble pas digne d'être porté par vos suivantes, nous ne la mettrons pas." ajouta-t-elle d'un ton plus alarmé. Il serait en effet peu admis que des suivantes soient mieux vêties que leur reine, mais ça n'allait pas être le cas cette fois-ci. "Vous pouvez les mettre, bien sûr." approuva Grace. Luisa eut bien du mal à contenir sa joie et offrit le plus adorable des sourires à sa maîtresse. On toqua timidement à la porte. Elle supposa immédiatement que c'était Celso, mais il pouvait toujours se brosser s'il attendait toujours quelque chose d'elle. Mais à la surprise générale, c'était Jane qui entrait timidement. Celle-ci se précipita vers sa maîtresse sans trop de conventions -parce qu'elle s'en fichait bien pour le moment. Grace l'enlaça et lui caressa tendrement les cheveux. La blonde ne saurait dire si sa suivante sanglotait de peur ou de soulagement. "C'est terminé, reprends-toi." dit-elle doucement. "Que s'est-il donc passé ?" Jane essuya ses joues humides. "Sa Majesté est venu lui-même me dire que je suis libérée. Il sentait fort l'alcool, je ne savais pas trop quoi croire. Mais il a signé le registre, m'a fait comprendre que vous seriez perdue sans moi et m'a demandée de ne plus jamais mentir." Grace elle-même ne parvenait à comprendre ce vif retournement de situation. "Viens te mettre au chaud." dit-elle en l'approchant de la cheminée. "Luisa, sers lui quelque chose à boire, veux-tu ? Et va voir aux cuisines s'il ne reste pas quelque chose à manger, pour elle." L'Italienne s'y appliqua au plus vite. L'aller-retour fut même particulièrement rapide. "Je crois qu'il le regrette un peu, de m'avoir mis en cellule, mais je ne voudrai pas m'avancer." dit Jane en approchant ses mains du foyer. Grace se passa de tout commentaire à ce sujet. "Je suis désolée, Jane. Cela n'aurait du jamais du vous arriver, je m'en veux." Jane lui sourit amicalement. "Je savais qu'il pouvait y avoir des conséquences, je voyais bien que vous n'aviez ni le coeur, ni la force, ni l'envie de vous lever, surtout pour une condamnation à mort. C'est juste que... Je n'aime pas vous voir triste, ou si énervée. J'ai pensé que cette solitude vous ferait du bien, alors j'ai menti pour vous permettre ce répit." Cela semblait être tout naturel pour elle. Elle haussa les épaules comme si c'était une évidence. "Merci beaucoup." répondit Grace avec reconnaissance. La petite Anglaise put ensuite manger à sa faim avant de retourner à sa tâche. Les suivantes l'aidèrent à se déshabiller et chacune allait ensuite se coucher. Grace peina à trouver le sommeil, elle avait l'impression qu'il y avait un fantôme qui rôdait non plus. La nuit fut particulièrement courte, elle se réveilla de bon matin. Pas moyen de se rendormir. Elle enfila sa robe de chambre et fit quelques pas dans ses appartements. Elle nota un bout de papier par terre. Perplexe, elle fronça les sourcils et le récupéra. Celso avait pris le temps de faire un croquis de leur enfant. Elle ne remarqua que bien plus tard les touts petits mots d'amour laissés dans un coin. Elle ne savait pas comment le prendre, pas vraiment. Etait-ce sa manière de demander pardon, de s'excuser ? Ou n'était-ce qu'un appât cherchant à l'attendrir afin d'encore mieux exprimer son autorité comme il l'avait fait. Cela faisait deux jours qu'elle ne le reconnaissait plus, et elle n'arrivait pas à anticiper ses faits et gestes. Ayant froid, elle retourna sous ses couvertures, mais gardait les yeux rivés sur son dessin. Bien sûr qu'elle l'aimait, d'autant qu'elle avait pu le haïr la veille. Ca, et la libération de Jane. Etait-ce des remords ? Que cherchait-il à lui dire ? Grace n'avait plus vraiment l'audace ou le courage de se prononcer. Quoi qu'il en soit, elle restait touchée par cette délicate attention, mais se gardait de le dire. C'est pourquoi elle se faisait une nouvelle fois bien discrète durant la journée, sous prétexte qu'il fallait commencer à tout préparer pour le voyage. Il y avait des affaires qu'elle avait laissé là et qu'elle devait récupérer et ranger correctement pour facilité le prochain long voyage. Elle parlait très peu, même auprès de Jane et Luisa. Le croquis, lui, était délicatement posé sur la table, Grace tenait l'avoir à porter de vue, elle ne savait pas trop pourquoi. Elle avait à nouveau passé énormément de temps à la chapelle, et ne s'afficha que pour le banquet. La fatigue amplifiait le moindre bruit, et ça l'épuisait davantage. Grace voyait que Celso l'interrogeait du regard. Alors Grace lui donna sa réponse. "J'ai bien eu ton croquis, il est vraiment joli. Merci beaucoup." L'expression de son visage n'était pas bien différente de la veille, elle avait pour le coup bien du mal à laisser transparaître qu'elle avait tout de même apprécié ce présent, bien qu'elle se méfiait de ses véritables intentions.
Le réveil est particulièrement difficile, et c’est avec des traits tirés qui font naître quelques sourires amusés au coin des bouches des membres de la Cour que j’apparais, plaisantant moi-même de ce lendemain de banquet festif. Au contraire, la journée de la veille fut un long calvaire, mais cela, ils n’ont guère besoin de l’entendre de vive voix. Personne ne veut entendre la tristesse d’un monarque qui assume alors bien plus de faiblesse qu’il n’en a le droit. C’est pourquoi il n’est pas de repos ce matin, et les affaires reprennent immédiatement. L’autorité sur la ville reviendra une fois encore au conseil, mais cette fois, ils suivront les instructions précises que j’aurais données afin de ne pas retrouver, le jour où nous reviendrons, une cité dans le même état que nous l’avons découverte l’an passé. Je me charge donc de la politique que nous laisserons derrière nous à Tricarico et sa région tandis que Grace s’occupe des préparatifs de notre départ. Une excellente excuse pour ne pas nous croiser de la journée, chacun bien occupé par ses taches respectives. Une petite boule d’anxiété demeure dans un coin de mon estomac. Je ne sais pas à quoi m’attendre durant le banquet de ce soir, et nous savoir en guerre est une véritable torture. Lorsque le soir vient, comme je le craignais, Grace n’est absolument pas encline à montrer la moindre marque d’affection. Elle ne m’aurait sûrement pas adressé la parole de tout le repas si mon regard ne s’était pas fait insistant. Elle ne peut tout de même pas demeurer sans réaction face à la libération prématurée de sa suivante et ce pas que j’ai tenté de faire vers elle. Pourtant, c’est à peine si cela semble l’avoir touchée. Cette impassibilité me heurte. Je n’en dis rien, détourne le regard, et me détourne plus généralement de la jeune femme jusqu’à ce que je puisse quitter la salle en prétextant une affaire à régler. Je trouve alors un moyen de m’isoler dans mon cabinet, et puisqu’il y a toujours des lettres à signer, je m’occupe de la sorte afin d’oublier mon affliction. Rien n’a changé, rien du tout. J’ai fait marche arrière, j’ai montré ma tendresse, et à mes mots d’amour, la seule réponse de Grace est un merci. Elle parvient avec brio à se montrer aussi cruelle avec moi qu’elle estime que je l’ai été ces derniers jours, en se servant de ses propres armes. J’arpente discrètement les couloirs du château pour rejoindre mes appartements et troquer tout le cérémonial sur mes épaules par quelque chose de plus simple. J’abandonne là la couronne, mise sous clé. « Je vais à la chapelle. » j’annonce aux valets de ma chambre avant de quitter mes appartements. D’habitude cela signifie que je me rends directement dans l’espace qui me sert d’atelier dans le château, là où personne ne me trouvera, derrière cette porte qui semble bien usée et insignifiante ; pourtant je me rends bel et bien dans le lieu de recueillement dans un premier temps, et glisse le chapelet de Grace entre mes doigts afin de prier de longues minutes durant, espérant je ne sais quel pardon pour les événements de ces deux derniers jours. Le prêtre m’offre une bénédiction, dans l’espoir que cela allège mes épaules et mon esprit. Je quitte la chapelle avec un peu de réconfort trouvé dans les paroles de l’homme de foi m’assurant que l’exercice du pouvoir est des plus difficiles et que des erreurs seront commises avant d’en tirer les leçons pour l’avenir. L’erreur est humaine, et à condition de mettre le doigt dessus et de les corriger, Dieu les pardonne, et parfois les Hommes aussi. Suite à cela, je me rends bel et bien dans l’atelier. Ce n’est qu’une fois la porte fermée que je ressens un réel soulagement. Derrière les épaisses planches en bois, le monde n’existe pas. Je peux prendre une grandes inspiration sans me sentir oppressé, et expirer bien des tracas hors de mon corps. Seul mon cœur est encore lourd de la peine que l’indifférence apparente de Grace me cause. Je suppose qu’il me faudra attendre encore avant de mériter à nouveau sa tendresse. Au bout de quelques minutes, j’approche du chevalet et de la toile en cours. Un portrait de bébé lové dans son couffin, emmitouflé dans les draps, d’un format plus petit que d’habitude, plus intimiste. C’est avec cette représentation tendre de mon fils que j’ai décidé de reprendre la peinture avec le matériel qui m’a été offert. Pour retrouver le goût et la passion de cet art, il ne pouvait pas y avoir meilleur sujet qu’un être que j’aime de toute mon âme.