Aux yeux de Grace, ma guérison suite à mon empoisonnement il y a quelques années de cela n’est rien d’autre qu’un cadeau de son dieu. A mes yeux, me faire frôler la mort s’agissait plutôt de sa première punition, m’en extirper devait faire partie du plan ; ainsi ais-je pu voir l’étendue de son emprise sur mon existence, la fragilité de celle-ci, et l’importance de la mettre entre ses mains pour parvenir à mes fins. Et de mon refus sont nées ces rumeurs qui, plutôt que de disparaître, annihilées par mes actes comme mon épouse pensait que cela serait le cas, se retrouvent alimentées par le moindre détail allant dans leur sens. Aujourd’hui, la jeune femme en fait également les frais, notre enfant aussi, et je ne compte toujours pas courber l’échine devant ses menaces. Il m’a eu sous sa coupe pendant trois ans ; j’ai eu peur, je l’ai craint, ce n’est plus le cas. Une partie de moi espère que Grace ouvrira également les yeux, qu’elle verra que son dieu n’a aucune pitié, aucune bienveillance, même envers celle qui lui fut le plus fidèle. Non, cette fois, ce ne sont pas que des rumeurs, c’était une attaque d’une violence que nous n’aurions jamais suspectée. C’était un coup au cœur perpétré par notre entourage. Et c’est une blessure qui ne se refermera pas de sitôt. Notre rancœur est palpable. Est-ce que nos trois années à Naples ont mérité que nous soyons perçus de cette manière, avons-nous fait quelque chose de mal ? Non, notre unique problème est de survivre là où le peuple périt. Quoi qu’il en soit, un couple royal demeure un servant serviteur de dieu en toutes circonstances. Le quotidien n’est que messes, prières et bénédictions. Grace et moi en venons donc à prévoir une cérémonie pour le bébé qu’elle attend, de quoi rassurer ceux dont les suspicions sont encore superficielles. Nous serons toujours plus forts que le reste des murmures qui s’élèveront contre nous. Alors j’étreins délicatement ma Lady, pose mes lèvres sur les siennes, avec la certitude que tout ceci ne suffira pas à nous ébranler. Je peux bien être un démon aux yeux du peuple si Grace m’aime toujours autant. Elle rechigne à l’idée de rejoindre ce qu’il reste de la Cour dans la grande salle principale afin de nous joindre aux prétendues festivités pour lesquelles, malheureusement, nous n’avons plus le cœur. Pourtant nous devons nous y rendre, nous ne pouvons pas bouder comme des enfants. Toujours garder la tête haute. Voyant bien que je ne peux pas lui céder le luxe d’être absente à un banquet donné en partie en son honneur, la jeune femme compte bien se faire récompenser. “Tu sais comment négocier…” dis-je avec un sourire. Bien sûr que je ne peux pas le lui refuser. Nous demeurons l’un contre l’autre encore un moment, peu pressés de retourner à nos obligations qui sont, aujourd’hui, particulièrement pénibles. Et dire que cela aurait dû être une fête. Grace me réclame un nouveau portrait, ce que je peux lui offrir avec grand plaisir dès que nous trouverons un peu de temps (et d’énergie) pour nous rendre dans l’atelier que je me suis aménagé dans ce palais-ci. Mon sourire s’efface un peu. La jeune femme semble particulièrement regretter cette époque où, sans être accablés par les responsabilités, nous pouvions nous retrouver, parler pendant des heures dans l’atelier pendant que je dessinais. L’époque de Squillace, de Tricarico, peut-être même de Londres où nous n’étions personne. “Pourquoi regarder vers le passé comme ça ?” dis-je en levant le joli visage de Grace d’une main sous son menton, plongé dans ses yeux bleus. Cette époque-là n’était pas plus parfaite que celle que nous vivons actuellement, mais le futur, lui, peut être brillant. “Nous n’avions rien qui soit à nous à ce moment-là, et aujourd'hui regarde nous. Nous pouvons régner sur le pays, nous sommes à ça d'y parvenir.” Un cheveu, un espace entre deux doigts, une guerre. Une bataille que je suis si certain de gagner que je ne peux que nous imaginer avec ces couronnes sur la tête. Et nous aurons tout ce que nous méritons. Et tout sera parfait. “Est-ce que tu sacrifierais ça pour quelques nuits de dessin ?” Cela paraît presque futile par rapport à la grandeur acquise et celle à venir.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
La foi de Grace devait certainement l'étonner, parfois. Qu'elle continue ainsi à y croire avec une telle ferveur, sans l'ombre d'un doute. Il était difficile de croire qu'ils pouvaient chacun s'apprécier et s'écouter, alors que leurs avis et leur opinion divergeait sur bien des opinions. Celso ne voulait plus que croire en lui et en ses convictions tant qu'elle restait persuadée qu'il y avait un être supérieur, là-haut, capable de tout, du meilleur comme du pire. Mais il savait parfaitement se montrer bon chrétien lorsque cela était nécessaire. Dès qu'il était devant son peuple - et tout le monde y croyait bien que certains pensaient encore qu'il avait pactisé avec le diable. Cela lui passait par-dessus la tête. Il était certainement bien plus touché du fait que cela se soit finalement répercuté sur sa femme et l'un de ses enfants. Mais ils ne pouvaient pas se montrer capricieux, en refusant de se présenter au banquet, à toutes ces festivités. Bien qu'ils n'en aient plus la motivation, ils devaient trouver un moyen d'en profiter tout de même pour que cette soirée ne soit pas trop désagréable. Mais afin que tout ceci soit vu d'un meilleur oeil, pour elle comme pour lui, la petite blonde avait imposé une condition pour laquelle elle était certaine que Celso allait se plier. Elle rit doucement à sa remarque, le regard envoûtant. "C'est la meilleure chose que nous savons faire." lui murmura-t-elle. "Il faut bien que nous soyons bonnes à faire certaines choses." Un large sourire amusé s'afficha sur son visage alors qu'elle ne vienne lui voler un baiser. Oui, quelque part, certaines choses laissées à Londres ou Tricarico lui manquaient. Elle savait que lui rêvait d'avoir cette couronne qui lui était due, qu'il soit capable d'offrir les richesses les plus inestimables à sa femme, garantir le plus bel avenir qui soit à sa descendance. Mais à quel prix ? Les responsabilités grignotaient d'année en année le temps libre qu'il avait. L'empêchant de peindre, de discuter autant qu'avant avec Grace, d'avoir des moments d'intimité. Cela devenait des moments particulièrement précieux à ses yeux. Mais lui n'avait en tête que de récupérer son pays, avoir le pouvoir. Il s'était jeté dans cette envie là et n'en sortait plus, et ne savait plus se contenter des choses les plus simples. Ce n'était pas à une femme d'imposer sa volonté, encore moins à faire des caprices sur la manière d'agir. Elle savait de quoi il était capable lorsque l'on s'opposait à sa volonté, elle n'était pas certaine de vouloir le revoir ainsi, bien qu'elle n'hésiterait pas à lui tenir tête à nouveau, même si cela n'avait rien de plaisant. Elle sourit avec tendresse avec ses propos - bien que cela ne la réjouissait pas tant que ça qu'il se focalise à ce point sur cette guerre, sur ce qui pouvait l'attendre derrière. Il était si sûr de lui, elle avait peur que ce ne soit la chose qui finisse par lui coûter la vie. "Sache juste que je serai bien attristée si nous ne pouvons pas profiter ensemble de tout ce dont tu m'as promis, parce que tu seras bien trop occupé à gouverner." dit-elle tout de même avec une main douce sur sa joue. "Mais je sais que c'est ce qui te rendra heureux, ce que tu désires plus que tout autre chose en ce monde, et je prie de tout coeur chaque jour pour que tu l'obtiennes. Pour que tu récupères ce qui te vient de droit." C'était vrai, tout ce qu'elle disait, Grace était sincère. Seulement, elle ne divulgait pas ses plus profondes pensées et il était impossible de deviner ces idées là dans son regard, ni sur son visage. "Et je ne peux pas m'empêcher d'avoir peur pour toi, mais ça, ce n'est pas une nouveauté." ajouta-t-elle avec un rire nerveux. Elle l'embrassa tendrement. "Allons dîner, il y a un enfant qui doit bien se nourrir pour bien grandir, par ici. Je te rejoins, je dois juste me recoiffer, et réenfiler tous mes bijoux." lui lança-t-elle en lui volant un baiser. "Ca ne sera pas bien long." Elle appela aussitôt les deux suivantes qui s'exécutèrent dans la seconde. L'une d'elle précisa que Maria demandait une audience. C'était les épaules bien basse qu'elle se présenta à elle. Maria disait qu'elle n'aurait jamais osé divulguer quoi que ce soit la concernant, et jura qu'elle ne pensait pas que son enfant était un démon. Elle disait qu'elle pensait que son roi était capable de miracles et elle espérait qu'il en fasse de même pour sa femme. Grace lui annonça alors qu'elle déciderait de son sort plus tard. La fatigue de la journée pourrait fausser son jugement et donc, ses décisions. En attendant, elle pouvait rester à ses côtés mais devait faire le moins de choses possible. Comme prévu, Grace était rapidement prête. Celso l'avait attendu dans le couloir. "Je t'avais dit que je te rejoindrai." dit-elle avec un sourire, avant des croiser ses doigts avec les siens afin de prendre la marche jusqu'à la grande salle. Elle se demandait quelles allaient être les réactions, désormais.
Comme toujours, Grace s'inquiète beaucoup pour moi. Et même si je sais que face à elle je peux montrer des signes de faiblesse, ce dont elle a besoin ce n'est pas d'un mari qui doute de quoi que ce soit. Bien sûr que j'ai mes craintes, une guerre n'est pas un pique-nique, et le plus proche vous vous approchez du pouvoir, le plus d'ennemis vous vous faites, le plus de danger vous courrez au quotidien. Mais je ne peux pas, à ce moment-là, dire qu'il m'arrive d'avoir peur, ou laisser voir que les insultes de ces femmes tout à l'heure m'a profondément affecté. Pour la rassurer, je me montre confiant. Je prends son visage entre mes mains avec délicatesse, la regarde dans les yeux et lui souris tendrement. « Nous y arriverons, tu verras. Ensemble. » Nous régnerons tous les deux, nous verrons nos enfants grandir tandis que nous vieillirons. Et peut-être que son dieu ne m'aimera toujours pas, peut-être qu'il y aura des embûches supplémentaires, je pourrais être blessé, mais je veux croire, et même toute ma conviction dans l'idée que nous atteindrons ce but ; être sur le trône d'une Italie unie. Bien sûr il faut plus que des mots pour que Grace en soit autant convaincue, mais je ne peux as encore faire mieux ; elle verra lorsque nous y serons. En attendant, nous avons une autre épreuve à passer, le banquet qui se poursuit sans nous. La jeune femme se pomponne à nouveau et me rejoins dans le couloir où je l'attends. « Tu es diablement belle. » dis-je avec un sourire, espérant qu'elle adhère à cette pointe d'humour. Il y a un long silence à notre arrivée, qui se poursuit un peu après que nous nous soyons assis. Mais quelqu'un propose de boire à la santé de la reine et du bébé, et nombreux sont ceux qui suivent le mouvement avec sincérité dans le but de la soutenir. « Andrea, venez à notre table. » Je fais signe à l'écrivain, et sans hésiter il vient s'asseoir à ma gauche -là où s'installe habituellement les hommes avec qui je règle une affaire en cours. Pas de politique ce soir. « Cela fait quelques semaines maintenant que vous êtes à Naples, vous vous y plaisez ? » Etrangement, son regard se porte un court instant sur Jane. Celle-ci rougit. « Beaucoup. Encore merci pour la chambre. » Andrea dort au palais depuis peu. Rien de mieux pour écrire sur la Cour que d'être constamment en son coeur. J'ai tenu à lui donner cette possibilité. « Vous écrivez encore ? » « Toujours oui. Je trouve votre histoire des plus intéressantes, et ce bien avant d’apprendre que vous êtes un couple de miraculés et les rumeurs qui vous concernent. » Palpant un léger malaise à ce sujet, tout le monde ne partageant pas son excitation à l'idée d'être considéré comme des démons, il se penche pour pouvoir s'adresser à Grace ; « … Pas que je pense que vous ou votre enfant soyez démoniaques, Majesté. » Puis il se fait petit. « Est-ce que vous me laisseriez lire ? » je demande, lui donnant enfin la satisfaction de me rendre curieux, ce dont il s'orgeuille immédiatement. « Vous êtes roi, vous n'avez pas à demander la permission. Mais puisque vous le faites, la réponse est non. » J'arque un sourcil. « Si vous me laissez lire, je vous montrerai quelque chose que personne ici ne connaît en dehors de Grace et moi. Quelque chose d'utile pour vos écrits. » Le voilà intéressé. Il accepte de passer ce marché d'un simple signe de tête. Je remplirai ma part le lendemain. Pour ma part, j'admire ceux et celles qui sont d'humeur à danser. Je me dis que cela aurait pu nous remonter le moral de les rejoindre. Mais Grace n'est plus en condition pour cela, elle est redevenue cette entité intouchable. « Tu sais ce qui me frustre le plus lorsque tu es enceinte ? Je perds ma merveilleuse partenaire de danse. » Même si je peux rejoindre le groupe seul, ce n'est pas la même chose, ce n'est pas aussi satisfaisant. Elle et moi partageons une énergie qui nous est propre. Ce plaisir-là nous sera encore retiré pour les prochains mois.
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Grace ignorait si c'était bon signe ou non d'être aussi sûr de soi, de leur avenir. C'était le cas de Celso, qui n'avait jamais douté un seul instant de cet avenir qui leur tendait les bras, à en vouloir toujours et encore plus. Il comptait bien évidemment sur le soutien de son épouse, qu'il savait de son côté. Il savait aussi qu'elle s'inquiétait pour lui et qu'elle avait une certaine réserve vis-à-vis de ses projets. Mais son rôle d'épouse l'incitait à l'encourager dans ce qu'il voulait entreprendre, et elle l'avait suivi depuis le début. Il était désormais temps de se préparer pour ce banquet qui était supposé être festif, mais pour cela, il fallait que la petite blonde redresse à nouveau ses cheveux en un chignon et qu'elle enfile ses bijoux pour être à nouveau une reine aux yeux de la cour. Elle fit au plus vite, histoire de ne faire attendre personne davantage. Celso avait préféré l'attendre devant ses appartements, glissant un compliment avec une pointe d'humour avant de commencer la marche en direction de la grande salle. La petite blonde rit légèrement à cette remarque. Personne n'osait parler ou même les acclamer à leur arrivée. Le visage de Grace restait figé, de marbre, quasi impassible. Elle n'avait plus vraiment d'attentes. Elle fut agréablement surprise que quelqu'un se lève et propose de trinquer en son nom, mouvement qui fut largement suivi par le reste de la cour. La jeune femme finit par esquisser un fin sourire, prit également sa coupe, et fit un un discret signe de tête à l'homme s'étant levé en premier, appréciant le geste. Toujours curieux de cet écrivain, le roi l'invita à se joindre à lui. Son épouse écoutait la conversation d'une oreille, elle était un peu dans ses pensées. Il était évident que Celso se voyait dans ce jeune homme, un jeune artiste débarquant de nulle part à la cour, en quête d'une gloire qu'il ne préférait pas préciser pour le moment. C'était à cet instant là que la jeune femme apprit qu'il lui avait attribué une chambre au sein du château, peinant à dissimuler son véritable intérêt pour lui. Grace regarda le jeune homme et arqua un sourcil lorsqu'il disait trouver leur histoire intéressante. Il ferait tout de même de faire attention à ce qu'il disait. Andrea avait certainement deviné le léger trait sévère sur son visage pour qu'il cherche à se rattraper, tant bien que mal. Puis elle se réintéressa à nouveau sur son assiette, bien qu'interpellée du fait qu'une sorte d'accord se fasse entre les deux hommes. Que Celso voulait-il lui montrer ? Son atelier ? La reine ne voyait pas ce que ça pourrait être d'autre, mais elle espérait que ce ne soit pas le cas. C'était leur lieu à eux, et voilà qu'il voulait le partager avec un inconnu juste parce que Celso s'identifiait en lui ? Qu'il fasse ce qu'il veut, après tout, c'était lui le roi. Celui-ci finit par s'adresser à sa dulcinée, avouant que les danses ensemble lui manquaient déjà. "Tu sacrifierais ma condition pour quelques pas de danse ?" lui lança-t-elle le regard brillant, avec un large sourire amusé en reprenant les termes qu'il avait employé un peu plus tôt lorsqu'ils discutaient en privé. Elle mit sa main sur sa joue et la caressa rapidement avec son pouce. "Il va falloir te trouver d'autres partenaire pour les prochains mois." Bien sûr qu'elle aurait adoré danser avec lui, oublier ce début de soirée avec quelques pas et quelques notes de musique. Mais personne ne devait la toucher désormais, et il ne fallait pas prendre le moindre risque en faisant un quelconque effort pouvant paraître trop physique. "Va donc te divertir, ne te prive pas pour moi." ajouta-t-elle d'un ton plus calme. [color=#006699]"J'y ai bien survécu lorsque je portais Francesco, et toi aussi. Nous allons bien y arriver cette fois."[/clor] Elle rit doucement. Elle ne voulait pas qu'il s'en veuille de la laisser assise seule, ou qu'elle ne puisse pas autant prendre plaisir que lui. "Et je n'ai même pas terminé de manger. J'en ai un ou une à nourrir aussi, après tout." Grace lui vola un baiser.[color=#006699] "Allez, vas-y, va te divertir."[:color] lui souffla-t-elle en effleurant ses lèvres. Celso finit par céder et se lever. Andrea regardait Grace avec intérêt. "Vous êtes plutôt simple, pour une reine. Enfin, je ne vois pas ça comme étant quelque chose de mal, bien au contraire." Grace rit doucement. "Vous n'avez pas vraiment la langue dans votre proche." "Ce n'est pas vraiment mon genre. J'aime écrire ce que je pense." "Rares sont ceux qui ont cette liberté d'esprit." "Savez-vous ce que sa Majesté va me montrer ?" "Peut-être bien. Peut-être pas. Mais si je vous le dis, ça n'aura plus rien d'une surprise. Laissez-le déjà lire vos écrits." lui conseilla-t-elle. Elle n'avait pas grand chose à lui dire, elle ne s'intéressait pas autant à lui que Celso. Une fois qu'elle avait fini de manger, elle le regardait danser, d'ailleurs, charmée par ses pas, son allure. Elle aurait rêvé être à la place de sa partenaire, elle le reconnaissait.
Peut-être que nous ne sommes pas les meilleurs danseurs au monde, mais on ne peut pas dire que nous ne soyons pas doués, surtout lorsqu’il s’agit de danser l’un avec l’autre. C’est ce qui nous a rapprochés en tout premier lieu, ces bribes de conversation que nous avions lorsque nous tombions l’un sur l’autre au moment d’échanger les partenaires en milieu de chorégraphie. C’est quasiment ce que nous avons aimé en premier chez l’autre, cette alchimie que nous avions, et avons toujours, sur la piste et qui rend les gestes synchronisés et harmonieux. Au final, danser est un verbe particulier pour nous, et ces moments-là ont leur signification, ils renforcent à chaque fois notre complicité. Si Grace a tant hâte que je la peigne à nouveau, moi, j’ai hâte que nous puissions retourner danser. Et comme je le lui avais fait remarquer plus tôt, il ne faut pas nous plaindre de ces moments qui s’amoindrissent car nous recevons le centuple en échange. Echanger mon bébé contre une danse ? Jamais de la vie. « Ne fais pas la maline. » dis-je avec les yeux plissés, mauvais joueur. Je ne compte pas laisser Grace seule pour le reste du banquet. Je ne me priverai pas tous les soirs des amusements de la Cour, mais après ce qu’il s’est passé plus tôt, je préfère être à ses côtés - et pâlir de jalousie devant tous ceux qui peuvent profiter de la musique. « Je n’ai pas envie d’une autre partenaire. » dis-je, digne d’un grand enfant boudeur, mais cela n’en est pas moins vrai. Ce n’est pas pareil quand ce n’est pas avec mon épouse. Ce n’est pas aussi divertissant. Surtout si elle reste sur le banc de touche. Pourtant elle insiste, la jeune femme connaît mes instincts frivoles et la frustration que c’est pour moi de rester vissé à une chaise. J’ai bien été forcé d’apprendre à me tenir tranquille, ni un prince ni un roi ne peut gigoter dans tous les sens en permanence, mais il m’arrive de passer des conseils entiers debout, à faire mine d’effectuer les cents pas. « Non, je te l’ai dit, je ne le veux pas. » Ce n'est pas comment quand elle était enceinte de Francesco, elle le sait bien. Mais à force d'insister, je cède et quitte la table après un long baiser. On pourrait croire que toutes les dames se jettent sur mon bras pour être ma partenaire, mais cela est rarement le cas ; je choisis entre quelques demoiselles qui ne sont pas trop nerveuses pour tenir le tempo et qui ont l'audace de se proposer. Je profite toujours de ces moments autant que possible, mais plus pour les raisons d'autrefois ; ce n'est plus pour les regards, ce n'est que pour moi, pour être un peu plus moi-même, et laisser le roi sur le trône. Entre deux danses, au milieu des autres nobles, je m'arrête pour trouver Grace du regard et lui adresser un fin sourire tendre. Non, ce n'est pas pareil sans elle. « Je n’avais jamais vu une expression pareille sur le visage d’un roi. » lui chuchote Andrea en remarquant ce long regard amoureux. Plutôt que de participer à la prochaine danse, sans prévenir, je quitte le groupe et traverse la salle en fendant la foule, puis je me penche par dessus la table pour prendre le visage de la jeune femme et lui coller un baiser sur les lèvres. « Je t’aime. » Je suppose qu'elle n'a guère envie de s'attarder ici plus que nécessaire ce soir. Les émotions de la journée furent suffisantes pour la fatiguer. « Je te rejoins dans tes appartements, d’accord ? J’arrive. » Mais pas tout de suite. Maintenant que j'y suis, j'aimerais profiter encore un peu de la fête qui s'est enfin fait une petite place dans mon humeur. « Venez Andrea ! » je lance à l'écrivain qui, lui, contrairement à moi à son âge, tient très bien toute une soirée sur une chaise. « C’est une danse pour les couples, Majesté. » « Et alors ? Vous ferez la femme. » je réponds en haussant les épaules, visiblement un peu alcoolisé. Amusé, et n'ayant pas froid aux yeux, Andrea accepte et se joint à moi. Il prend en effet les pas habituellement effectués par les femmes, ce qui en fait rire plus d'un, dont nous deux. Dans un coin de la salle, de nouvelles médisances naissent, alimentés par cette autre alchimie qu'il y a entre le jeune homme et moi, la complicité, et la manière dont nous nous éclipsons pour disparaître dans les couloirs et nous rendre à l'atelier. Nous y passons un long moment, car cette fois sera la seule et unique où il pourra mettre un pied ici. Nous nous quittons sur la promesse qu'il me confiera ses écrits le lendemain. Je rejoins alors les appartements de Grace, plutôt satisfait de cette soirée, et tout sourire. « Je t’avais dit que je te rejoindrais. » dis-je avant de lui voler un baiser, subtilisant à mon tour ses mots.
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"Lady Grace, j'ai oublié quelque chose dans la grande salle, je n'en ai que pour une minute. Puis-je ?" demanda soudainement Jane pendant qu'elle rangeait les bijoux qui venaient tout juste d'être retirés de sa maîtresse. Luisa défit avec attention les tresses blondes de la jeune femme. "Oui, bien sûr." accorda Grace, qui était jusque là bien rêveuse. "Je me dépêche." dit-elle en s'inclinant, un brin hâtive. En fait, la petite Jane tenait à venir voir Andrea, ne serait-ce que pour échanger un mot avec lui. Ses talons résonnaient jusqu'à ce qu'elle se retrouve dans la salle et voit avec grande surprise le roi danser avec l'écrivain. Stupéfaite, elle ne savait pas comment interpréter cette scène. Maria s'approcha timidement de son amie. "Je doute que cela soit très vertueux." dit-elle tout bas à Jane, faisant bien attention à ce que personne ne l'écoute. Totalement désabusée, la petite anglaise ne sut que répondre, observant dans le plus morose des silences alors que tout le monde festoyer dans la plus grande des joies, certainement aidé par la consommation abusive d'alcool. "Est-ce ainsi qu'il festoie l'annonce de la grossesse de sa reine ?" ajouta Maria, qui, fervente croyante, souffrait d'une grande peine pour Grace, qui ignorait tout de cela. Jane sentait son coeur se serrer, et suivit des yeux le roi disparaître en compagnie du jeune écrivain. D'étranges regards s'échangeaient une fois qu'ils avaient quitté la salle, les messes basses allaient bon train. "Je veux voir où ils vont." dit la suivante à la pieuse Maria, qui se décida à les suivre en toute discrétion dans les couloirs, à la lueur tamisée des flammes qui dansaient un peu partout. Bien sûr, elles avaient déjà vu Grace franchir cette porte là avec Celso. Faire le lien n'était pas bien difficile, surtout en voyant entrer Andrea en compagnie du roi. Elles rebroussèrent ensuite chemin, bien secouées. Elles ne savaient pas s'il était sage ou non d'en parler à Grace, elles appréhendaient surtout sa réaction. Mais il fallait bien que Jane retourne à ses appartements, ayant déjà bien abusé du temps libre qui lui était accordé. "Maria, que fais-tu là ?" demanda alors la petite blonde, surprise de la voir ici. "Je... Je l'ai croisé alors que je cherchais..." répondit Jane, la tête bien basse. Les deux n'avaient pas fière allure. "Eh bien, dites moi!" s'impatienta Grace au bout de quelques minutes. Les deux suivantes se regardèrent dans les yeux, se demandant qui devait lâcher la nouvelle. Luisa était tout aussi perplexe, mais continuait de brosser les cheveux de Grace. Elle arrêta tout mouvement lorsque Jane avait repris la parole. La brosse lui tomba même des mains et ce fut le seul bruit perceptible qui fut entendu avant de longues minutes. Les iris bleus de la jeune femme fixaient longuement ceux de son amie de toujours, espérant y voir une sorte de plaisanterie de bien mauvais goût. Elle déglutit difficilement sa salive avant de baisser les yeux. Grace fut ensuite prise de nausées et tentait désespérément de garder la tête haute devant ses suivantes. Une multitude de pensées bouleversait son esprit, ce qui finit par border ses yeux de larmes. "Vous... vous pouvez disposer." dit-elle, la voix tremblante. Elles quittèrent effectivement ses appartements, mais avec un profond regret de la laisser seule après avoir appris une telle nouvelle. Peut-être que c'était de famille, après tout, l'ancien mari d'Ippolita était également homosexuel. Celso avait été subjugué par Andrea dès le début, il parlait régulièrement de lui, lui offrait de nombreux privilèges. Et voilà qu'il avait le coeur à danser avec lui et à lui faire découvrir son atelier, et peut-être bien autre chose. Et dire qu'elle n'avait rien suspecté, qu'elle pensait qu'il ne s'intéressait à lui que par leurs nombreux points communs. Cet engouement devenait effectivement bien suspicieux. Grace ne put retenir quelques larmes, mais ce n'était qu'une bien piètre représentation de son coeur qui se déchirait en elle et se vidait peu à peu. Assise dans son fauteuil, elle resta longuement silencieuse, à regarder le foyer. Elle sursauta lorsque la porte s'ouvrit et que Celso fit son apparition, tout sourire, comblé, même. Il lui volait un baiser, en sentant ses lèvres sur les siennes, Grace eut un haut-le-coeur qu'elle dissimula -Dieu seul savait où ces lèvres avaient pu se poser quelques minutes plus tôt. Elle sourit vaguement. "J'allais m'allonger, je ne me sens pas très bien." lui confia-t-elle. Inutile d'en dire plus. Et ce n'était pas faux. En plus d'être épuisée par cette journée, ces dernières émotions négatives l'avaient bien secouée. "Tu as profiter un peu de la soirée ?" lui demanda-t-elle, avec le même sourire et ton qu'elle aurait pu emprunter n'importe quel jour, comme si de rien n'était. Juste pour voir ce qu'il allait répondre, juste pour voir si Jane et Maria avaient bien vu ce qu'elles avaient vu. "Excuse-moi, je m'allonge juste, j'ai mal au dos. Mais je ne dors pas tout de suite." lui assura-t-elle avec un sourire amusé. Elle s'allongea en position latérale, afin de toujours l'avoir dans son champ de vision. Sa tête se reposait sur l'une de ses mains, l'autre caressait son ventre, tentant de préserver son enfant de toute la souffrance qu'elle pouvait ressentir rien qu'en le regardant. Mais Grace était une experte en la matière. Elle avait appris à rendre n'importe quelle douleur imperceptible, même pas au travers de ses yeux. Elle avait été élevé pour faire face à de pareilles situations.
Mes lèvres décollées des siennes, je devine ma Grace un peu plus pâle que lorsque nous nous sommes quittés un peu lus tôt, l'air un peu plus faible. Avant même que je puisse lui demande si quelque chose ne va pas, la jeune femme me devance en m'expliquant qu'elle ne se sent as au mieux. Sûrement le bébé, me dis-je. S'il lui cause autant de misères, alors ce sera peut-être bel et bien une fille. « Oh… Bien sûr. » J'observe ma belle s'éloigner et se mettre au lit avec un regard sincèrement désolé. Lorsqu'elle portait Francesco, elle état aussi fatiguée très facilement. Je me souviens bien du risque dont elle m'a parlé, les pertes de connaissance par exemple. J'espère qu'elle y échappera. J'espère surtout que la mise au monde de cet enfant là sera plus simple que pour notre garçon. S'il est une chose à laquelle je ne peux me faire, c'est qu'il existe une possibilité que je perde ma Lady en couche. Chaque femme enceinte vit peut-être les neuf derniers mois de sa vie, c'est aussi beau que triste. Mais cela ne peut ni ne doit nous arriver. Grace s'allonge donc. Je lui rends son léger sourire et m'assois sur le bord du lit. Puisqu'il a été dit que je resterais avec elle cette nuit, tandis que je parle, je prends mes aises. Je commence par ôter mes chaussures, puis mon manteau et le lourd collier qui l'orne. « Oui, c'était très agréable. » dis-je en gardant le sourire, ravi d'avoir pu m'évader hors de mes responsabilités pendant un moment, et d'avoir passé du temps avec le fascinant Andrea. Mais je me suis promis que la prochaine fois, qu'importe si Grace insiste, je ne la laisserai pas pour aller festoyer. Ma conscience n'est pas tranquille à ce sujet. « Andrea est aussi bon danseur que moi à son âge, nous avons dansé ensemble un long moment, c'était très amusant. » Nous avons bien ri et nous sommes bien moqués de certains regards lourdement portés sur nous, pourtant sans prendre la pleine mesure du danger que ceux-ci peuvent représenter. Nous n'avons pas deviné les premières rumeurs, seulement les vieux pratiquants qui frôlent la syncope en voyant deux hommes danser ensemble -et c'est bien d'eux dont nous nous sommes moqués de cette manière. C'était palpitant de retrouver cette insouciance. C'était inconscient de ma part, mais je ne le saurai que plus tard. Lorsque l'alcool sera dissipé, que les responsabilités retrouveront leur place sur mes épaules, je comprendrai sûrement mon erreur. On ne joue pas de la sorte lorsque l'on est une tête couronnée. L'on ne se fiche pas de la bienséance, l'on insulte pas les mœurs outrageusement. Ce qui est à cet instant la chose la plus drôle qui soit à mes yeux ne le sera pas longtemps. « Et comme promis, je lui ai montré l'atelier pour pouvoir lire ses textes en échange. Je lui ai dit que ça sera la seule fois qu'il pourra y entrer et qu'il ne peut pas en parler à qui que ce soit. Je ne veux pas risquer d'être un peu plus jugé par la Cour. » Le roi démon et peintre. Je ne sais quel titre est plus ridicule que l'autre. On ne me prendrait plus au sérieux. D'ailleurs, sans montrer à tous mes œuvres, je doute que qui que ce soit croit que je possède du talent, et on se moquerait de moi. Politiciens et artistes font partie de deux mondes, deux classes bien distinctes. On ne peut pas faire partie des deux. Désormais, en dehors de Grace, seul Andrea connaît toute l'histoire. Il connaît le Celso qui se cache sous la couronne et derrière les bijoux. « Il me donnera ses écrits demain. » je conclus avec enthousiasme, ayant terminé de me défaire de mes habits afin qu'il ne reste plus que ma chemise sur mon dos. Alors je me penche vers la jeune femme, une main caressant son visage encore pâle. Je l'embrasse sur le front -une manière discrète de deviner s'il s'agit de la fièvre qui revient, mais rien de tel. « Est-ce que je peux faire quelque chose pour que tu ailles mieux, mon amour ? » je demande, prêt à appeler ses suivantes s'il le faut afin qu'elles lui apportent quoi que ce soit qu'elle puisse réclamer.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Pour la toute première fois depuis qu'elle le connaissait, Grace fut incapable de croire en la sincérité de ses paroles. Quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, elle mettait un doute sur chacune de ses actions. Très agréable, dit-il. Il n'avait pas idée de la douleur infligée par le moindre de ses mots. Et s'il était en train de construire tout un tissu de mensonges uniquement pour la satisfaire, pour qu'elle ne se méfie de rien. Mais Grace avait trois paires d'yeux qui se promenait tous les jours dans tout le château, elle savait bien des choses, même si elle n'avait cure de la grande majorité de ces informations. Ses yeux le suivaient du regard tandis qu'il s'installait au bord du lit, auprès d'elle. Il commençait à se défaire de ses vêtements. Celso admettait qu'il avait danser en compagnie de cet écrivain qui le passionnait tant, bien plus que de raison. Amusant, c'était le seul mot qu'il trouvait pour définir cet instant. N'avait-il donc aucune idée de l'impact que ce genre de comportement pourrait avoir dès le lendemain, une fois que la rumeur se sera répandue partout ? Et sans qu'elle ait à demander quoi que ce soit, le roi continuait de raconter le restant de sa soirée, admettant qu'il avait aussi emmené Andrea dans son atelier. Et combien de temps avaient-ils passé là-bas tous les deux ? Qu'avaient-ils fait ? Des images peu catholiques vinrent à l'esprit de la petite blonde et elle tenta tant bien que mal à chasser ces images de la tête. Celso venait de se condamner lui-même, elle le savait. Elle ne comprenait pas pourquoi il n'en prenait pas conscience, que tout était déjà trop tard. Son regard finit de nouveau par regarder le feu, ne sachant pas elle-même si elle était encore attentive ou non à ce qu'il lui racontait. Alors il l'avait embrassé sur le front, caressé son visage. Grace tentait de ne pas être écoeurée par le moindre contact physique, se faisant à l'idée qu'elle allait passer la nuit avec un homme qui venait d'avoir une relation rapprocher avec un autre. Du moins, c'était ce qu'elle suspectait. Elle remerciait le ciel d'être enceinte, pouvant ainsi justifier le moindre mal-être par son enfant qui puisait toute son énergie. Dans toute sa bienveillance, ou alors pour tenter de se montrer bienveillant, Celso demanda à sa femme si elle avait besoin de quoi que ce soit. Elle aurait volontiers fait appel à ses suivantes, histoire de se sentir soutenue, un tant soit peu, mais elles ne pouvaient pas vraiment faire quoi que ce soit pour elle. "Non, je... J'ai juste envie de fermer les yeux, et de dormir." dit-elle dans un murmure, espérant sentir ses paupières s'alourdir à un moment à un autre. "C'était une journée particulièrement éprouvante, je suis épuisée." Il n'en avait pas la moindre idée. Sa voix restait douce après tout, quoi qu'elle laissait deviner une légère lassitude. Elle dégagea ensuite un peu les draps afin de pouvoir se glisser en dessous et être bien au chaud. "Allonge toi, repose-toi aussi. Tu en as bien besoin." Que cette nuit commence afin de pouvoir voir cette interminable journée se terminer. Grace avait placé tant d'espoir pour le lendemain. Elle espérait que tout se serait effacé, mais il n'en était rien. Ses suivantes n'avaient même pas osé venir le réveiller, l'on devinait aisément qu'elle s'était endormie bien trop tard. On aida à l'habiller, à la coiffer. Toutes ses suivantes étaient silencieuses, le malaise était palpable. Grace était tentée de leur demander de garder un oeil sur Celso, mais s'il comprenait qu'on l'espionnait, il serait fou de rage. Et c'était bien la dernière chose dont la petite blonde avait besoin, elle souffrait déjà trop comme ça. Elle avait ordonné que si qui que ce soit demandait une audience, ses suivantes devaient qu'elle n'était pas en mesure de recevoir, ni de se présenter à la Cour. Elle n'avait pas envie de voir qui que ce soit, pas même Celso. Ses suivantes restaient assises auprès d'elle, à bouquiner, ou à broder. Grace ne parvenait pas à faire quoi que ce soit, impossible de chasser tout ce qui avait été dit hier soir. Après de longues heures de silence, elle finit par demander, la voix tremblante. "Est-ce qu'il avait l'air d'apprécier, d'être avec lui ? De s'occuper, avec lui ?" Les suivantes se regardaient entre elles, le regard triste et inquiet. Elle savait que Grace voulait une réponse sincère. "Oui... Lady Grace. Il... Sa Majesté avait l'air véritablement de prendre beaucoup de plaisir en... en dansant avec lui. Il est beaucoup amusé, malgré les... regards des autres." répondit Jane, qui elle tentait de retirer Andrea de son coeur. Grace acquiesça d'un signe de tête. "Savez-vous combien de temps ils sont restés dans l'atelier ?" "Nous ne le savons pas, Lady Grace. Mais c'était bien peu de temps avant que nous vous le disions." Des réponses qu'elle pouvait déjà connaître, mais elle voulait déjà les entendre. Un nou veau long moment de silence régna. "Jane, peux-tu aller dire à sa Majesté que je ne viendrais pas au banquet, ce soir, j'aimerais rester au calme. A vrai dire, je ne sais même pas si j'aurai de l'appétit d'ici là." La suivante anglaise s'inclina devant sa reine avant de quitter la pièce et remplir sa mission. Tout ceci n'était pas réel, Grace espérait tellement que ce soit un cauchemar et qu'elle allait bientôt se réveiller.
C'est victime d'une soudaine impression de suffoquer que je me suis éclipsé dans l'atelier en fin de matinée. Tous les regards furtifs, les messes-basses, les sourires en coin. Je sais que ce n'est pas la paranoïa, ces murmures ne sont pas les mêmes. Ceux-là sont moqueurs, abaissants, humiliants. Je me dépouille dans ma cachette, retire le manteau richement brodé, les pierres précieuses qui semblent bien lourdes sur mes épaules. Mon coeur est si lourd, si serré, mes poumons se recroquevillent et m'empêchent de respirer, jusqu'à ce que mes jambes me lâchent par terre. Je suis fini, me dis-je. Je ne vais pas me relever de ça. Le regard glissant sur toutes les toiles entassés, je trouve finalement bien ridicule de m'être plus préoccupé la veille que cet atelier reste secret que du regard de cette cour qui a déjà prouvé toute sa piété pendant que je m'amusais avec l'écrivain. Est-ce qu'être un démon peintre aurait été plus supportable qu'être un démon homosexuel ? Le poids de cette humiliation pèse toujours sur ma cage thoracique. Je devrais partir tant que je le peux. Laisser tout ceci derrière moi. Je ne pourrai pas souffrir tous ces regards. Et dire qu'il fut un temps où ma seule obsession était d'être vu… Mais quel fou j'ai été. Je pourrais partir, mais le père d'Ippolita sera bientôt là, nous pourrons bientôt chasser l'Empereur, je suis si près du but, si près… Je ne dois pas abandonner maintenant. La porte de l'atelier s'ouvre, dans ma précipitation je ne l'ai pas verrouillée. J'espère un court instant voir la silhouette de Grace s'approcher de moi, mais c'est Andrea qui pénètre dans la pièce à sa place. « N'abusez pas de l'affection que j'ai pour vous en vous croyant permis de forcer cette porte, vous n'avez rien à faire ici. » je crache, le regard noir de colère. Plutôt que de retourner les talons, il s'accroupit face à moi. « Majesté, cela fait dix fois que je demande audience et que vous me le refusez. C'est mon seul moyen de vous parler. Est-ce que vous m'évitez ? » « En effet, et vous devriez en faire autant. Vous devriez même quitter la Cour. » Il a entendu les rumeurs autant que moi, même mieux que moi. Lui, il est dans ces rangs qui chuchotent, assez près pour savoir ce qu'ils articulent tout bas. « Vous me l'ordonnez ? » « Pour commencer je vous ordonne de quitter cette pièce. Si vous avez un peu de jugeote, vous aviserez de la suite. » Il serre les dent pour ne rien dire, vexé. Il n'a aucune intention de partir. Ce qu'il compte bien faire, après m'avoir quitté, c'est aller voir Jane pour la convaincre que tout ceci sont des calomnies. Mais avant, il me tend un épais paquet de feuilles noircies et froissées. « Non, gardez-les. » je murmure. Ce n'est plus important. Cela n'a même plus de sens pour moi de vouloir lire tout ceci. Nous ne devons plus rien avoir à faire l'un avec l'autre. Nous ne devons même plus être dans la même pièce au même moment. Ne pouvant pas rester dans l'atelier indéfiniment, c'est dans mon cabinet que je trouve à nouveau refuge et où on me sert un déjeuner que je ne touche pas. Trop de travail, je justifie. Je fais en sort que cela soit vrai et me noie dans toutes ces taches qui sont miennes jusqu'au soir. C'est lorsque je ne vois pas Grace à sa place à notre table pour le banquet que je me décide à forcer mon chemin jusqu'à ses appartements. « Laissez-moi entrer Jane. » je siffle à celle qui s'est mise entre moi et la porte. « Sa Majesté ne reçoit personne. » Grace a beau être une personne secrète sachant parfaitement masquer ses pensées, en quatre ans je sais qu'il y a une différence entre les moments où elle ne veut pas se mêler à la Cour et ceux où elle est en colère contre moi ; dans le premier cas, j'entre sans devoir faire preuve d'autorité, dans le second, même moi je ne suis pas le bienvenu. « Souvenez-vous que je n'hésite pas à envoyer les suivantes de la reine en prison. » Jane le sait mieux que personne. Et même pour une poignée d'heures, c'est le dernier en droit où quiconque voudrait se trouver. La jeune femme s'écarte et j'ouvre grand la porte. « Grace, est-ce que je peux savoir ce qu'il se passe ? » dis-je en avançant jusqu'à elle. Je m'agenouille face à ce fauteuil dans lequel elle aime tant s'asseoir et pose mes mains sur ses bras, la regardant dans les yeux. « Je suis ton époux, il faut que tu me parles. Tu m'inquiètes. » J'approche mon visage du sien et dépose un simple baiser sur sa joue. Mais immédiatement, quelque chose me frappe. Quelque chose me fend le coeur. « Tu... » Ma bouche s'est asséchée subitement, mes mains sont devenues moites. « Tu l'as fait encore. Tu l'as fait cette nuit, et tu viens de recommencer. » Lorsque nous dormions, j'ai passé un bras autour de sa taille lors d'un cour moment d'éveil, et comme à cet instant, je l'ai embrassé sur la joue. Et sur le moment je n'avais pas accordé d'important à la subtile réaction que j'avais sentie. Mais ce n'est pas un hasard si cela arrive encore une fois. « Tu as frémi. » Comme si ce contact est indésirable, un imperceptible mouvement de recul qui laisse deviner un rejet, comme une forme de dégoût. « Qu'est-ce que tout ça signifie, Grace ? » je demande, connaissant la réponse, et nourrissant le bien maigre espoir qu'il ne s'agit pas de ce que je pense.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Même Maria s'était permise de rester. Elle n'était pas de trop, et elle avait été cette deuxième paire d'yeux qui avait vu exactement la même chose que Jane. Sa présence ici n'était qu'une preuve de sa fidélité et de sa loyauté envers sa reine, en dépit des croyances qu'elle pouvait avoir envers son roi. Elle lançait régulièrement des regards inquiets ou désolés vers Grace, alors que celle-ci avait les yeux dans le vide, bien éloignée de toute cette réalité. Comme un château qui s'effondrait petit à petit. Songer autant à ce qui a été vu et dit la veille l'épuisait. Elle n'avait qu'une hâte, c'était que le soleil ne se couche à nouveau, qu'elle puisse s'allonger et fermer les yeux à nouveau. Espérer que ce n'était que la suite de son cauchemar et qu'elle finirait par se réveiller. La petite blonde devina la voix de Celso à travers l'épaisse porte en bois. Luisa et Maria avaient toutes les deux redresser la tête de leurs occupations, se demandant ce qu'elles pouvaient bien faire. Il restait leur roi, et il faisait ce que bon lui semblait. Jane ne voudrait certainement pas réitérer son expérience au cachot, elle s'était donc écarter de la porte afin de pouvoir le laisser entrer. Immédiatement, les deux autres se levèrent et s'inclinèrent avant de quitter les appartements de leur maîtresse. Celso s'approcha d'elle, demandant des explications. Il s'agenouilla comme il avait l'habitude de faire et posa ses mains sur elle. En tant que mari tendre et affectueux, il avait déposé un doux baiser sur sa joue. Mais cette fois-ci, il avait compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il avait parvenu à noter cette infime différence pour deviner que le comportement de Grace n'était pas habituel, ni anodin. Parfois, elle maudissait le fait qu'ils puissent se connaître aussi bien et noter ce genre de détails. Oui, chaque geste d'affection qu'il avait pu faire durant la nuit la révulsait, se demandant s'il prodiguait la même tendresse à son amant. Oui, qu'est-ce que tout cela signifie ? Qu'est-ce que quatre ans d'un prétendu amour signifiait, dans toute cette histoire ? Il pensait avoir trouvé son âme-soeur, mais il s'avérait qu'il l'avait retrouvé dans un homme. "C'est peut-être toi qui devrait répondre à cette question, tu ne crois pas ?" finit-elle par dire après un très long moment de silence, la voix bien tremblante. Il n'avait pas idée combien il l'avait blessé. Fatiguée de faire tenir ce masque sur son visage, ses iris bleus se bordèrent spontanément de larmes dès que ses yeux se posèrent sur lui. "Je n'ai pas mis un seul pied hors de mes appartements, je sais tout ce qu'il se passe." Elle sourit tristement. "Je le sais juste parce que Jane espérait pouvoir échanger quelques mots avec Andrea, juste parce qu'elle était tombée amoureuse de lui." En plus de sa propre peine, il était impossible pour Grace de ne pas se sentir désolée pour sa suivante, qui était aussi son amie de longue date. "Qu'est-ce que deux coeurs brisés au milieu d'une Cour, après tout ?" C'était bien futile, on ne se souciait pas de ce genre de choses, ce n'était pas important, on s'en moquait bien. Elle déglutit difficilement sa salive et fit une profonde expiration pour limiter au possible le flot de larmes. En avoir déjà quelques unes qui avaient fait leur chemin le long de ses joues l'agaçait. "Je te demande d'être franc avec moi, d'être honnête." finit-elle par dire. Elle pouvait encaisser beaucoup de choses, elle allait faire avec, mais s'il y avait une chose qui l'insupportait, c'était qu'on lui mente, qu'on tente d'alléger la situation et faire comme si rien n'était grave. "Qu'est-ce que tu ressens, pour ce garçon ?" Peut-être qu'il avait eu un certain désintérêt pour sa femme. De plus, celle-ci était enceinte, il ne pouvait plus coucher avec elle comme bon lui semblait. Il aurait été normal qu'il ait eu besoin de voir ailleurs, mais un homme ? "Au début, je pensais que tu avais un certain intérêt pour lui parce qu'il te ressemblait, parce qu'il te rappelait toi lorsque tu avais son âge. Et pas à un seul instant, je ne m'étais dit que cet intérêt pour lui avait atteint ce stade là. Cette fascination que tu as pour lui et que je n'ai jamais su me l'expliquer." Etrangement, tout prenait sens désormais. "Tu lui as montré l'atelier, le seul endroit où nous pouvions avoir un peu d'intimité. Et tu as finalement décidé de le montrer à lui, également ?" Grace ne se voyait pas y retourner, pas y remettre les pieds dans un endroit où il aurait pu procurer un plaisir certain à son amant. "Ne suis-je plus désirable ? A ce point là ?" Ou alors il la prenait pour une idiote. Dans les deux cas, ce n'était guère gratifiant. "N'es-tu revenu vers moi hier soir juste pour montrer que tu tenais toujours parole ?" Des dizaines de questions balayaient son esprit pour laisser place à une profonde tristesse, une peine totalement démesurée. "Je ne veux que la vérité, Celso, aussi difficile puisse-t-elle être." finit par dire, alors que ses derniers mots furent étouffés par des larmes.
Jusqu'à hier, si l'on m'avait dit qu'un jour mon épouse, celle que j'aime plus que tout, pour qui je donnerais ma vie, serait la première à me tourner le dos, jamais je ne l'aurais cru. J'aurais ri, accusé les paroles d'un être jaloux de la relation que moi la jeune femme avons, de ce lien si fort, indéfectible, que notre société encourage sans récompenser, adore sans offrir de liberté. Comment celle qui m'a connu et aimé sans nom, sans situation, pauvre peintre vivant au crochet des dames éprises de lui, l'équivalent d'une prostitué ne faisant que ce qui devait être fait pour survivre et attendre ses objectifs ; comment celle qui connaît mes origines, mon essence, mon âme, pourrait se détourner de moi ? Impossible, nous sommes faits pour être ensemble, vivre ensemble, régner ensemble, vieillir ensemble, mourir ensemble. Nos deux coeurs battent à l'unisson. Ce qui me blesse la blesse, et lorsqu'elle était mourante, je l'étais aussi. Jamais n'a-t-elle donné le moindre crédit aux rumeurs, au contraire. Nous sommes bien trop forts pour plier face à de simples médisances. Mais si j'avais eu le maigre espoir de trouver du courage auprès de Grace, je ne récolte que de l'accablement, de la peine. Une peine si profonde qu'elle ne peut être décrite. Elle est, à mon sens, comme un vent froid venu caresser mon coeur pour le geler, et étouffer ses derniers battements dans la glace. Puis il éclate, se brise en une pluie de petits cristaux dont les milliers de tintements sont assourdissants. Je me sens trahi, et incroyablement seul. Misérable et sans plus de raison valable de respirer. Assommé, piétiné. « Est-ce que tu la croirais seulement, la vérité ? » je demande, la gorge serrée, la voix étouffée. Je ne veux pas croire que j'ai entendu tous les mots que Grace a prononcé, pourtant ils sont réels, et ils font bien plus de mal qu'il n'est possible de l'imaginer. « Après tout ce que nous avons traversé… » je murmure tandis que je réunis mes forces pour me lever. Je n'ai plus aucune raison d'être à genoux devant elle, bien qu'elle m'ait mis à terre. Je ne la touche plus, je m'éloigne un peu, cela devrait la soulager. Puisque je suis si éccoeurant, puisque je la révulse désormais. « Tu devrais être la première à rire au nez de tous ceux qui croient ces choses, mais tu en sembles plus convaincue que bien des gens qui riaient dans mon dos aujourd'hui. » C'est ce qui fait le plus mal. Qu'elle soit absolument convaincue. Qu'il n'y ait rien que je puisse dire qui effacera cette pensée. Elle est déjà ancrée dans son esprit ; pour elle, c'est déjà la vérité. « Tu es celle qui me connaît mieux que personne, tu es ma femme, et tu doutes de moi ? Tu es supposée me soutenir, et non pas me laisser seul. » Je croise les bras, le regard posé sur l'âtre. « Comment peux-tu douter de moi ?... » je murmure, visiblement blessé au coeur, prêt à flancher. « Est-ce que tout ce que j'ai pu faire pour toi, pour nous, jusqu'à présent, ne vaut rien face à des ouïe-dire ? » Notre mariage, notre fils, et ce deuxième enfant qu'elle attend, les couronnes que j'ai posées sur sa tête, les villes que je lui ai données, le royaume qu'elle a aujourd'hui, mais plus que cela, mon affection, mon soutien, toute la dévotion de mon âme pour qui Grace était la seule figure divine en laquelle je pouvais croire. Rien ne fait me poids. Tout est oublié. Parce qu'elle a entendu dire qu'on me suspecte d'avoir un amant. Elle ne l'entendra pas de ma bouche, parce que cela est faux. Elle ne devrait même pas avoir besoin que je le dise. Nous ne devrions même pas avoir cette conversation. « La seule vérité que je vois, Grace, c'est qu'en quatre ans, mon amour pour toi n'a jamais perdu de sa force, et il ne tarira jamais. Je n'ai jamais pris de maîtresse, et encore moins d'amant. Ces suspicions sont ridicules et insultantes. Tu me déçois tellement. » Le ton se fait plus ferme. « Tu me brises le coeur. » Mes émotions se verrouillent. « Je ne veux plus voir ton visage. Jamais. » C'est ça, la difficile vérité. Mon âme est vide. En qui, en quoi croire maintenant ? Je ne perds pas plus de temps avec cette inconnue qui croit les ragots plutôt que de croire en moi. Je quitte la chambre, je rejoins la mienne. Je ne dors pas. Les démons ne dorment pas, non ? Ce doit être la vérité, si certains le disent. Elle doit le croire aussi.
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Grace ne demandait qu'à le croire. Mais au lieu de lui certifier que rien ne se soit passé, au lieu de lui raconter tout simplement ce qui avait été fait ou dit dans cet atelier, Celso se braquait également. Mais voilà qu'il mettait en question toutes ses paroles. "Je la croirais si tu me la dis, si tu me la certifies." Mais il semblerait que Celso ne l'ait pas entendu, vu la manière dont il s'emportait, sans prêter la moindre expression de son épouse, sans prendre le temps de l'écouter. A ses yeux, elle lui était entièrement redevable et elle devrait avoir plus d'esprit que n'importe qui présent dans ce château, et être capable de discerner le vrai du faux. Seulement, elle croyait aux paroles de Jane et Maria, de ce qu'elles avaient vu. Sans explication de la part du roi, ces images pouvaient être expliquées par maintes raisons. Mais à aucun moment il ne jugeait bon de se justifier, de s'expliquer. Contrarié, il préférait s'éloigner d'elle, se refermer sur lui-même en croisant ses bras, en ne la regardant plus. La seule chose que Grace demandait était qu'il lui confirme que tout ceci était faux, qu'il le dise à haute voix devant elle. Mais il ne nia pas les faits une seule fois, préférant largement cracher sur son épouse et s'isoler de tout le monde. Il perdait ses alliés tout seul. Parce qu'elle était à l'écoute. Bien que tourmentée par ses pensées, elle aurait changé d'avis, elle l'aurait cru parce qu'elle lui faisait confiance jusque là. Il lui parlait d'amour, de sa fidélité, et ce n'était qu'au dernier moment qu'il lui certifia qu'il n'était jamais allé se consoler dans les bras de qui que ce soit, homme ou femme. Mais il enchaînait, préférant partager sa déception, son coeur brisé et l'aversion pour la femme qu'il avait aimé un jour. Autant de mots durs à entendre pour Grace, qui baissa les yeux et céda à toutes ces larmes qu'elle retenait depuis si longtemps. Mais ses sanglots étaient bien silencieux, et elle fut incapable de bouger de son fauteuil après qu'il l'ait poignardé un grand nombre de fois, par son simple regard, par le ton qu'il employé, par les soupirs de dégoût. C'était une fois la porte claquée derrière lui que Grace s'effondra. Ses suivantes se précipitèrent sur elle, comprenant bien la situation critique de la petite blonde. Voilà, tout était en ruines. Elle allait certainement faire partie de ce grand nombre de reines malheureuses, juste bonnes à enfanter et assurer la descendance de ce sang royal. Grace avait pleuré longuement la nuit, ne sachant que faire bien qu'elle cherchait longuement une solution, quelque chose qu'elle pouvait faire ou ne pas faire. Mais la seule envie qui lui traversa l'esprit était certainement de retourner en Angleterre. Elle ne se sentait plus en sécurité. La jeune femme s'était juste allongée à cause de ses maux de dos, mais les larmes continuaient de couler, jusqu'à une heure très avancée de la nuit. La douleur qu'elle avait dans sa poitrine et qui s'irradiait partout dans son corps était insoutenable. Elle finit par décider de se rendre dans le lieu de prière, munie de son chapelet, et elle priait de longues heures pour Celso. Elle ne le maudissait pas, bien au contraire. Elle priait, demandant à Dieu d'être clément envers lui et de l'accompagner dans sa quête de gloire et de pouvoir, espérant pour lui qu'il obtienne l'objet de sa convoitise, puisqu'il n'y avait plus que cela qui comptait pour lui, désormais. Elle Lui demandait également pardon, pardon d'avoir cru pour la première fois en des rumeurs, bien que les preuves furent accablantes. Ses suivantes l'avaient accompagné, et elle priaient également. C'était le petit matin lorsque Grace rejoignit ses appartements. Elle passait devant la porte de Celso, et resta plantée devant pendant de longues minutes, ayant bien envie de toquer, et de discuter avec lui. Mais il l'avait dit clairement : il ne voulait plus jamais voir son visage. A cette pensée, son coeur se serra, et c'était sans grand élan qu'elle rejoignit sa propre chambre. Jane, Luisa et Maria prirent leur temps pour la vêtir, la coiffer avec soin. Rien ne pressait après tout, elle ne comptait pas sortir de ses appartements de la journée. Ainsi, il n'y avait aucun risque que Celso n'ait envie de cracher sur elle s'ils se croisaient hasardeusement. Le visage de Grace était vide, inexpressif, elle n'avait pas la force de porter un masque, de faire l'effort de paraître en forme, sans le moindre tracas. Elle n'avait pas vraiment d'appétit, et il n'y avait pas vraiment de discussion. Les jeunes femmes n'osaient pas parler si leur reine n'avait pas démarré la conversation, ou si elle ne l'avait pas demandé. "Lady Grace, Andrea demande audience." dit Luisa, après être allée voir qui venait. Grace soupira, et accorda donc cette audience. Jane avait reculé d'un pas, et se figea ensuite à la vue du garçon. Celui-ci s'agenouilla à terre et baissa la tête autant que possible. "Votre Majesté, j'implore votre pardon pour ce qui a pu se passer hier soir." dit-il la voix tremblante. "Sa Majesté avait désiré danser avec moi, je n'étais pas en mesure de le lui refuser. Mais je n'avais aucunement l'intention de vous blesser par cette mésentente, ni de vous contrarier. J'espère que cela n'a pas affecté votre couple. Il est si amoureux de vous, Votre Majesté." Grace aurait pu en rire, lui dire que c'était trop tard. Mais ce n'était pas ses affaires, il n'avait pas à le savoir. "Et... Je me doute que Lady Jane refuse d'entendre parler de moi, mais si... Si elle pouvait bien accepter de lire ces quelques mots que j'ai écrit dans cette lettre, dans l'espoir qu'elle veuille également m'accorder son pardon." Il sortit un papier qu'il avait soigneusement plié et qu'il tendit à Grace. "Ce n'est pas à moi, à qui il faut tendre cela." dit doucement Grace, invitant sa suivante d'un signe de tête d'approcher et récupérer le papier. Andrea finit par se relever. "Je reste à votre service, votre Majesté. S'il y a quelconque moyen de me rattraper dans mes erreurs, je serai bien heureux que vous m'en fassiez part." Grace réfléchit un moment. "Ecrivez-le." "Pardon ?" "Ecrivez ce qu'il s'est passé, cela fait partie de cette histoire qui vous passionne tant, n'est-ce pas ? Ecrivez donc qu'il n'y aura pas de fin heureuse. Je doute que sa Majesté n'accepte à nouveau de me parler un jour, malgré la sincérité de mes sentiments pour lui." "Sauf votre respect, je ne veux pas considérer que ce soit une fin." "Et pourquoi donc ?" "A mes yeux, une histoire ne se termine jamais. Parfois, elle a besoin d'être relancée, d'ajouter de nouveaux éléments, parfois une pointe de passion supplémentaire. Et je n'aime pas les histoires qui se terminent mal. Je suis peut-être un bien grand optimiste à vos yeux, mais je garde l'espoir que ça ne se terminera pas ainsi entre vous. Cela ne se peut." "Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?" "Il est évident que vous aimez toujours d'un pareil amour sa Majesté, et je reste persuadé que cela est réciproque. Tout comme mes sentiments pour Lady Jane, qui ne se tariront jamais, qu'importe le jugement qu'elle aura de moi." Il s'inclina poliment, avant de quitter les appartements. Grace dut ordonner à son amie anglaise de déplier le papier et de lire ces quelques mots, afin de décider d'elle-même s'il était possible de pardonner ou non à l'écrivain ce parfait malentendu.
« Francesco Maria Sforza, votre Majesté. » annonce-t-on alors que l'homme, grand bourru à l'épaisse barbe accompagné de quelques nobles de sa Cour et de soldats, s'avance vers moi dans un grands vacarme de pas et de métaux. Il ne s'encombre pas d'une révérence, qu'à ses yeux je ne mérite pas, qu'importe si je suis roi -et il se doute que je ne ferai pas la fine bouche si toute son armée est aussi imposante que les quelques gardes qui assurent sa sécurité personnelle. « Où est ma fille ? » demande-t-il, préférant rentrer immédiatement dans le vif du sujet, et s'offusquant déjà qu'elle ne soit pas à mes côtés à son arrivée -qui m'a été signalée il a seulement quelques heures. L'homme n'a visiblement pas bronché à l'idée de chevaucher de nuit si cela lui permettait d'arriver plus tôt, et d'avoir le plaisir de me prendre par surprise histoire de me donner un air un peu plus incompétent. Lorsqu'il saura tout ce qu'il se dit à mon sujet, il sera sûrement aux anges. « Elle est préparée pour vous voir, elle nous rejoindra bientôt. Je suis désolé que vous vous soyez senti obligé de venir depuis Mil- » « Pas de ça, Borgia. Je peux être votre allié dans cette guerre, mais pas votre ami. » Au moins le ton est donné. « Je comprends. Nous devrions commencer dès à présent alors. » dis-je en me levant du trône, prêt à l'escorter jusqu'à mon cabinet. « Attendons nos autres alliés. » Et je croyais diriger ces négociations. Il n'était pas prévu que nous soyons plus nombreux. Mes sourcils se froncent. J'ai rapidement la réponse aux questions que mon regard lance ; passent à leur tour la porte deux silhouettes qui ne me sont pas inconnues, mais dont la vue aujourd'hui me surprend. « Alessandro. Lorenzino. » Bien sûr, le Médicis ne pouvait pas venir sans son amant de cousin dépravé, ce qui est exactement ce dont j'avais besoin en ce moment. Le roi démon homosexuel qui accueille le duc organisateur d'orgies sodomites. Mais plutôt que d'hurler en me roulant en boule sous une des tables de la salle comme une partie de moi supplie de le faire, j'offre un sourire à tous mes hôtes. « Nous allons devoir faire préparer plus de chambres. » Les servants m'entendent et filent se mettre à l'oeuvre. « Où est la reine ? » demande Alessandro avec un air intéressé qu'il ne prend pas la peine de dissimuler. « Dans ses appartements, elle se repose. Sa grossesse lui demande beaucoup d'énergie. » Nul ici n'était au courant de la nouvelle. Ils se regardent les uns les autres. « Toutes mes félicitations. » dit finalement Francesco. Celui-ci retrouve le sourire lorsque Ippolita fait son apparition. Elle a été peignée, habillée, le tout à la hauteur de son rang. La fille se jette dans ses bras sans pudeur, son séjour au cachot lui a fait revoir quelques unes de ses considérations pour les grandes embrassades, et son père est le seul être au monde à parvenir à lui arracher des émotions réelles. Elle ne m'adresse pas un regard. « Je crois que nous sommes au complet. » Alors nous rejoignons tous la salle où se tiennent les conseils quotidiens plutôt que le cabinet qui s'avère trop petit pour cette troupe. Chacun a une bonne raison de vouloir chasser l'Empereur. Le duché de Milan a été annexé à l'Empire de Charles Quint avec l'appui du pape, une promesse qu'il se devait de tenir maintenant que les Medicis sont de nouveau maîtres de Florence ; pour ceux-ci, ce retournement de veste est une traîtrise vis à vis de l'Empereur, mais une preuve de loyauté vis à vis de celui avec lequel ils ont grandi, ce qui me touche même de la part de personnes que j'ai appris à mépriser. Pour sceller les alliances, il est dit qu'Alessandro épousera Ippolita. Sûrement périra-t-il à son tour, personne ne peut en être certain. Une lettre provenant de Ferrare nous promet le soutient de la région en souvenir de Lucrecia et de son affection pour moi. Nous prévoyons d'attaquer depuis tous les fronts, simultanément, afin de submerger l'Empereur. Rome se remettant à peine des précédentes guerres, si nous parvenons à le retrancher là-bas, la ville ne sera pas en état de tenir un siège. Nous n'aurons plus qu'à le mettre dans un bateau pour l'Espagne. Les détails des attaques attendront plus tard, les discussions nous ont déjà pris toute l'après-midi et les estomacs grognent. Bien entendu, un grand banquet est prévu. Pendant que chacun se prépare dans ses appartements, je rejoins ceux de Grace. Après avoir frappé à la porte, c'est Jane qui se retrouve une nouvelle fois face à moi. « Dites à sa Majesté qu'elle est priée de nous rejoindre pour dîner. Nous avons des invités de marque. » Son absence ne peut pas être tolérée, cela serait à la fois suspect ,et un innommable manque de respect. La suivante acquiesce. Mais avant que je m'en aille, elle me retient encore un peu ; « Majesté. Andrea est passé. Il m'a donné ceci. » dit-elle en me tendant la lettre de l'écrivain. Au fur et à mesure que j'avance dans les phrases, mon coeur se serre et un sourire triste s'installe sur mes lèvres, nostalgique. Je revois ce soir à Londres où j'ai demandé la main de Grace. Je replie le bout de papier et le rend à Jane en essayant de me reprendre, de ne pas me montrer en proie à toutes ces émotions. « Vous devriez accepter. Les hommes comme lui ne font pas qu'offrir leur coeur, ils offrent leur âme. Quand ils vous choisissent, vous devenez leur bien le plus précieux au monde. C'est un amour qui ne s'éteint jamais. » Je soupire et la quitte pour rejoindre mes appartements et enfiler, à mon tour, des habits de fête officiels. J'hésite un moment à arborer le collier que Grace m'avait offert, et le pose finalement sur mes épaules.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Le calme était revenu dans la pièce une fois qu'Andrea avait quitté les lieux. Elle ne demanda pas à Jane ce qu'il avait bien pu écrire dans cette lettre, ça ne la concernait pas. Grace était curieuse pour bien des choses, mais elle respectait beaucoup le peu d'intimité que ses suivantes disposaient. Mais la petite Jane semblait tout aussi indécise à la fin de sa lecture. La petite blonde s'était un peu allongée sur le lit, les yeux rivés vers la fenêtre extérieur. Elle avait hâte de voir le ciel arborer ses couleurs chaudes, pour doucement s'assombrir et laisser la place aux étoiles. Elle voulait à nouveau fermer les yeux, que le sommeil l'éloigner un tant soit peu de sa tristesse et de son malheure. Elle ne saurait dire si elle avait fini par s'assoupir ou non, mais elle fut réveillée dès qu'on toquait à la porte. C'était lui. Ainsi, il préférait désormais utiliser un intermédiaire pour transmettre un message à la reine et non venir le lui dire lui-même. Il était écoeuré à ce point là, oui. Au point de ne plus vouloir l'approcher ou la regarder. Grace n'avait pas le coeur à aller où que ce soit en dehors de ses appartements, encore moins l'envie de se lever pour mettre des vêtements et des bijoux dignes de son rang. Elle entendait toute la conversation d'une oreille, Jane demandant conseil à son roi concernant l'écrivain. Une fois la porte fermée, la petite Anglaise s'approcha de son amie. "Lady Grace..." "J'ai entendu, Jane. Encore un petit moment." Le temps qu'elle rassemble le peu de volonté qui lui restait pour se lever. Elle préférerait se laisser mourir plutôt que de rester l'épouse d'une homme qui ne l'aimait plus, qui s'était même mis à la détester. Jane posa une main amicale sur son épaule. "Je pense que sa Majesté pensait aussi à lui-même, lorsqu'il m'a dit toutes ces choses, concernant Andrea." lui souffla-t-elle tout bas. "Si c'était le cas, pourquoi n'est-il pas venu me voir ? Pourquoi transmettre ce message par ton biais ?" rétorqua Grace d'une voix bien triste. Et cette fois-ci, elle ne comptait certainement pas faire un pas en avant pour se faire pardonner, estimant que cela n'avait pas de sens. Elle avait douté, et lui n'avait que rajouté de l'huile sur le feu. Au bout d'une minute, Grace se décida enfin à se lever pour qu'on change ses vêtements et que l'on mette ses bijoux. Toujours aussi pensive, elle jouait nerveusement avec son chapelet pendant qu'on la recoiffait. Elle n'avait aucune envie de se rendre à ce banquet, elle n'avait aucun appétit. Une fois prête, la petite blonde sortir de ses appartements, à contre-coeur. Elle avait un terrible noeud à l'estomac qui se formait au fur et à mesure qu'elle s'approchait de la grande salle. Presque tout le monde était déjà installé lorsqu'elle fit son apparition, mais elle n'était pas non plus la grande dernière. Elle nota avec dégoût -qu'elle dissimula aussi parfaitement que le reste des ses émotions- qu'Ippolita était là, et était surprise de voir aussi que les Médicis étaient présent. Elle prit tout de même le temps de les saluer personnellement avant de retrouver sa place. Celso avait bien dit qu'il ne voulait plus jamais voir son visage, alors Grace évitait qu'il se sente obligé de la regarder d'une quelconque façon. Elle avait noté qu'il avait porté le collier qu'elle lui avait offert. Elle n'était pas certaine que ce bijou ait encore une quelconque valeur sentimentale pour lui, elle supposa qu'il l'avait mis parce que c'était le bijou qui se raccordait le plus avec la tenue qu'il avait choisi d'enfiler pour ce banquet. Son sourire impassible ne laissait pas supposer que leur couple allait au plus mal. Il n'y avait ceux qui étaient là, qui avaient vu la veille qui se sentaient certainement bien pour elle. Andrea était toujours bien là, déterminé à se faire pardonner par Jane, qui était encore assez incertaine de ce qu'elle devrait faire. Un discours était de rigueur, ainsi que trinquer pour les prestigieux invités présents. Comme tous, Grace avait levé son verre et but une très fine gorgée. Et malgré le repas qui semblait succulent, la reine n'avait pas le moindre appétit. La vue même de la nourriture lui donnait des nausées. Il était difficile pour elle de ne pas accorder le moindre regard à Celso, de ne pas lui parler ou lui donner la main. Jane, Luisa, ou Maria lui souriaient parfois pour l'encourager mais elles avaient bien conscience que Grace n'avait qu'une hâte, c'était de rejoindre ses appartements. L'on commençait alors à jouer de la musique, et à danser joyeusement. Elle n'allait pas lui dire non plus d'aller se divertir, qu'il fasse ce que bon lui semble, il était bien capable de prendre des décisions seul. Il avait bien décidé de ne plus jamais vouloir la voir elle. Cette situation lui faisait tellement mal, mais comme pour tout le reste, elle devait faire face.
Nous n'échangeons pas un regard, pas une parole. Ce n'est pas bien difficile pour moi, pas plus que de sentir sa présence à côté de moi. Etrangement, Grace ne me manque que lorsqu'elle n'est pas là. Quand elle se trouve à les côtés, lorsque je peux deviner sa chevelure blond dans le coin de mon champ de vision, sa présence m'est insupportable. Je ne peux pas la voir. Impossible de tourner la tête pour avoir une idée de la manière dont elle est parée, si elle sourit ou non, si elle parvient à faire bonne figure. Encore moins probable, ma capacité à lui adresser un mot, ta,t ma gorge se noue violemment si l'idée me traverse l'esprit. Je me sens piétiné, insulté par celle que je continue d'aimer plus que tout, mais que la douleur me fait renier. J'aurais pu pardonner, il y a quelques années, que Grace doute lorsque tout le monde commençait à parler à mon sujet, à raconter cette histoire de pacte démoniaque pour survivre à l'empoisonnement. Je l'aurais compris. La jeune femme est croyante, pieuse, de pareilles histoires auraient pu lui paraître plausibles. Mais elle n'y a pas cru, et elle m'a toujours encouragée à ne pas me laisser toucher par ceux qui leur donnait du crédit. Alors pourquoi croire les rumeurs maintenant, après quatre années de mariage ? Elle n'a pas que demandé ma version des faits, si ce qu'elle s'était fait rapporter était vrai ou faux. Elle m'a immédiatement accusé, elle m'a montré qu'elle y croyait, qu'elle en avait fait sa vérité. Elle a douté de moi plutôt que des autres, et cela je ne peux le pardonner. Cela rend la soirée particulièrement longue, et je suis soulagé que Jane s'approche de moi pour demander ; « Puis-je escorter sa Majesté jusqu'à ses appartements ? » J'accepte d'un signe de tête. Je pense que Grace quittera la table avec grand plaisir. Les hôtes se lèvent pour la saluer et lui souhaiter une bonne nuit. « Est-ce que tout va bien entre vous et la reine ? » demande Francesco, inquiet à l'idée de s’apprêter à partir en guerre pour un roi sans mariage solide -un roi peu crédible en somme. « Grace n'approuve pas les guerres, elle s'inquiète. » je réponds avec un maigre sourire, espérant que cela suffise à le convaincre. « Il n'y a pas de raison, ce n'est pas comme si vous comptiez vous battre n'est-ce pas ? J'ai entendu dire que vous n'avez jamais combattu où que ce soit. » Ippolita pouffe aux paroles de son père, et je sens que cette collaboration sera parfois pénible. Heureusement que nous ne risquons pas de nous revoir jusqu'à notre entrée à Rome. Mon calvaire ne durera que le temps que les Sforza passeront à Naples pour mettre au point les stratégies de bataille. Je suppose que je peux bien encaisser quelques heurts à ma fierté au nom d'une alliance aussi précieuse, qu'importe si cela me coûte. La couronne sera sur ma tête, pas la sienne après tout. Actuellement, il jouit de son heure de gloire et de notre interdépendance à la balance mal réglée. « J'accompagnerai les troupes tout comme Alessandro. » dis-je en gardant le sourire, et ne le perdant que pour prendre une grande gorgée de vin qui calme mes nerfs. Nous serons en retrait, mais présents tout de même tout du long, en soutien moral. « Et pendant que je me battrai, que ferez vous ? » Le Médicis et moi échangeons un regard amusé. « … Nous serons l'atout charme de cette campagne. » je réponds avec un large sourire, causant l'éclat de rire d'Alessandro, et finalement de la table entière. « Quand partirons-nous ? » demande Ippolita. A la réponse, je réalise une chose qui ne m'avait pas traversé l'esprit jusqu'alors ; je ne serai pas présent pour la naissance de mon second enfant. Je quitte relativement tôt le banquet, écoeuré des fêtes et des danses pour bien longtemps désormais. Je laisse nos invités festoyer autant qu'ils le veulent, n'indiquant aux servants que de veiller à ce qu'ils ne vident pas notre stock de vin. En chemin vers mes appartement, je m'arrête devant la porte de Grace. Je m'y colle et tend l'oreille, dans l'espoir de l'entendre converser avec ses suivantes, ou respirer, profondément endormie. Oui, elle me manque lorsqu'elle n'est pas là. Il suffit qu'une porte nous sépare pour que je ressente ce vide, cette peine. Je rêve de la prendre dans mes bras, mais je sais que je n'en serais pas capable. J'aimerais entendre sa voix, tout en sachant que ce son me hérisserait le poil. Perdu face à mes émotions, cette plaie béante qu'elle a causé et dans laquelle tombent toutes mes pensées cohérentes, je demeure paralysé contre cette porte un long moment. Un mois passe, et j'ai l'impression d'avoir passé toutes mes nuits à cet endroit précis. Le mariage d'Alessandro et Ippolita a été célébré sous le regard mauvais de Lorenzino. Dans une moindre mesure, nous avons marié Andrea et Jane. Suite à cela, le Sforza est parti, c'était il y a une semaine. Les Médicis et la nouvelle membre de leur famille ont regagné Florence la veille. Et pour ma part, je me suis levé ce matin en étant frappé par une réalité arrivée bien trop vite. Il ne fait pas nuit, mais le jour n'est pas tout à fait levé. Me revoilà devant cette porte, le front posé sur le bois. Tout ce temps sans se voir, sans se parler ; tout ce temps gâché. Je frappe timidement, sûrement pas assez pour réveiller la lady qui doit encore dormir, mais juste pour me dire que, j'ai frappé. « Grace ? Je… Nous partons demain. » Moi, les soldats, tous les jeunes hommes dont je dépouille Naples et le royaume. « Je voulais te dire que je t'aime. » j'ajoute tout bas, honteux de ne pas avoir passé ces dernières semaines à le lui répéter tous les jours. Nous ne nous reverrons pas avant que j'ai obtenu la couronne que j'ai convoité toutes ces années, pas avant le jour où elle sera couronnée à mes côtés. Ou ne nous ne reverrons plus jamais.