Cruelle, elle l’est. Au contraire, elle n’aurait pas conservé des preuves de la culpabilité de ma soeur dans une affaire des plus sordides. Elle n’aurait pas non plus pris un malin plaisir à me jeter l’information au visage après m’avoir soumis à un horrible chantage. Si ce n’est pas la définition de la cruauté que de se repaître dans la joie d’avoir l’ascendant sur les autres, qu’est-ce donc ? La question n’appelle à aucune raison pourtant, elle me la retourne et pour la première fois depuis la soirée, elle semble réellement intéressée. Non ! La seconde, en réalité. Lorsqu’il a été question de son poids, elle s’est indignée, mais remise en question. Preuve en est : elle a soulevé son t-shirt et s’est contemplée l’oeil suspicieux. A présent, c’est à moi qu’elle l’adresse et, au terme d’une question, il se transforme en regard noir, furieux parce que j’ai osé. J’ai osé parlé de cet amant qui l’a quittée - ou l’inverse, je n’ai pas l’info - et elle s’en va. Elle cesse ses simagrées et choisit de me laisser là, tout seul, avec ma peur de la solitude et mon désarroi. Normalement, je devrais m’en trouver soulagé, mais il n’en est rien. Je me sentirais presque coupable, quoique le sentiment n’est pas assez éloquent que pour être qualifié comme tel. Toutefois, je la rattrappe, je m’emploie à la convaincre de rester et j’en viens à la soulever du sol pour lui octroyer la victoire. Ce n’est qu’une fois arrivé devant l’échelle empruntée plutôt que je me suis arrêter et que je l’ai déposé, comme elle me l’a intimé. Elle paraît moins furieuse. Pour la décrire, je créerais un adjectif qui la situerait entre la déception, la contrariété et… je ne sais pas...l’effroi peut-être ? Et, est-ce bien important ? Je ne vais pas lui promettre que je ne parlerai plus de son gars. Je l’ai déjà fait, ça n’a pas marché. Néanmoins, je dodeline du chef tel un gosse réprimandé, un gosse qui n’aurait pas fait ces devoirs et qui a peur de la punition. « Et, tu as le droit à deux fois de plus.» J’affirme alors qu’au fond, je sais qu’elle ne m’a pas demandé mon avis. Répéter, c’est comme une façon de me l'ancrer dans le crâne, de l’y anter pour mieux l’intégrer cette recommandation. « Je t’offre même la boisson. » Et c’est déplorable ce que je suis prêt à faire pour pas être seul. « Et je conduis…. et je te laisserai conduire sur le retour.» Je lui témoigne un regard plein de reconnaissance, je suis descendu le premier de l’échelle et, quand elle est arrivée au bout, je lui ai tendu la main pour l’aider à rejoindre le sol. « Avant d’aller au Kebal. Celui que tu préfères, on va s’arrêter là.» J’ai pointé du doigt la supérette qui m’a nargué plus tôt dans la soirée : « Ce sera l’occasion de t’acheter des cigarettes. »

Si je m’offusque, ce n’est pas là une basse manoeuvre pour qu’il cède et c’est peut-être pour ça que cela fonctionne : il aurait senti un piège et ne serait pas tombé dedans, il commence à trop savoir comment m’appréhender à défaut de pouvoir prétendre me connaître. Je le fais parce que j’ai mal, malgré mon état d’ivresse, j’ai mal au coeur de l’entendre me rappeler toutes les dix minutes que j’ai perdu Amos que plus jamais lui ne me serrera dans ses bras pour me décoller du sol et me porter jusqu’à notre lit.

Ses bras qui s’enroulent autour de ma taille ont un goût amer mais nous ne sommes pas de face et si je ferme les yeux j’arrive à me convaincre que ce n’est pas Loris Baumann qui enserre ma taille, mais mon ancien amant. C’est bref, et lorsqu’il me pose à terre je redescends et j’ai du mal. « Et, tu as le droit à deux fois de plus. » Je hoche la tête alors qu’il répète - accepte ? - mes règles de la soirée et je me demande ce que je vais bien pouvoir rajouter concernant sa cadette pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Sauf qu’il s’adoucit et, si je ne suis pas réellement le genre de femme que cela touche, j’ai moins le coeur à le houspiller tandis qu’il abonde dans mon sens sans la moindre retenue : je n’ai plus d’excuse. « Je t’offre même la boisson. » « Ce sera un Coca Cherry dans ce cas. Light. » Je lui adresse un sourire sarcastique avant de descendre à mon tour le long de l’échelle et de me laisser tomber sur la benne. De celle ci, il m’aide même à descendre et j'époussette mon jean après avoir touché terre. « Et je conduis…. et je te laisserai conduire sur le retour. » « Si le Kebab était bon. » Je ne me rends pas compte de la connerie que je suis en train de faire après tant d’année à m’être tenue éloignée d’un volant. « Avant d’aller au Kebab. Celui que tu préfères, on va s’arrêter là. Ce sera l’occasion de t’acheter des cigarettes. » Je jette un oeil à la supérette qui semble ouverte jour et nuit et j'acquiesce. « En marchant ? Ce sera notre promenade pour nous mettre en appétit. » Elle est juste à côté en plus. « Tu m’as pas demandé comment je connaissais cet endroit. »


@Loris Baumann

« Va pour le coca cherry. Light.» ai-je confirmé, docile, hochant de la tête avec vigueur. Je fais preuve d’une abnégation déconcertante finalement. Je l’ai blessée, une fois de plus, et si au départ ça m’a beaucoup amusé, ça ne me réjouit plus. Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleurs et, quoique ça n’en soit pas, je considère avoir retourné le couteau dans sa plaie bien trop souvent. Elle est ouverte, infectée, je peux le lire dans ses yeux et, bien sûr, ça attise ma curiosité. J’ai envie d’être indiscret, de comprendre les tenants et aboutissants de cette rupture. Je n’aurais pas insisté autant si elle m’avait glissé un indice quelconque. Sauf que son regard transpire de tristesse et que j’en viens à avoir de la peine pour elle… de la peine et de la pitié… parce qu’elle aurait le droit de fuir pour de bon. Elle pourrait même s’accorder à rayer ma voiture avec l’une de ses bagues que je l’aurais mérité. Je l’aurais mauvaise. Je crierais sans doute après elle. Mais, au fond, je saurais que c’était mérité puisque je l’ai été, cruel. J’ai éteint tous les interrupteurs de l’empathie et, sur l’heure, je les rallume un à un. « Si le Kebab était bon, mais comme on ira le manger là où ça te chante.» Nouvelle preuve de ma bonne fois. « Il le sera forcément.» Je hausse les épaules et je lui ai souri dès que nous sommes retombés les deux pieds sur le sol. « En marchant. On est pas loin. » Elle m’a emboîté le pas et, je l’admets, je n’ai pas osé parler. Durant les cinq cent mètres qui nous séparent de notre objectif, je lui ai juste jeter des regards intéressés - voire inquiets - dans sa direction. Est-ce que je dois m’excuser ? Est-ce que ça serait un signe de faiblesse ? Qu’ai-je donc à sauver face à elle ? Au vu de ce qu’elle sait, de ce nous avons partagé et de ce que nous vivons aujourd’hui, ce serait s’encombrer de trop d’ego que de m’en empêcher pour de mauvaise raison. J’ouvre alors la bouche, mais elle me coupe le sifflet. « C’est vrai. J’ai eu peur que ça soit un truc dont je pouvais pas parler.» Comprendre : un endroit où tu venais avec ton cher et tendre. « j’ai pas fait exprès, tu sais. Je voulais pas de te blesser cette fois-ci.» Les fois précédents, c’était le but. Là, je me suis comporté en égoïste, ni plus ni moins.

« Va pour le coca cherry. Light. » Bien sûr. Sauf qu’on rajoutera du whisky à l’intérieur. Et puis qu’on enlèvera les glaçons. Et le coca. Ce sera plus cherry, plus du tout light mais complètement à mon goût et s’il me connait un minimum Loris n’hésitera pas une seule seconde une fois à l’intérieur de la supérette. « Hum et pour toi ? Un minute maid orange ? » Il ne fume pas et l’alcool n’est même pas l’un de ses péchés mignon, si j’en crois mes souvenirs. C’est d’autant plus ironique - et drôle si l’on me demande à moi - qu’il soit tombé dans la drogue aussi facilement et aussi bas. Prendre des anti douleurs sans prescription c’est une chose. Sniffer de la cocaïne, c’est quand même quelques niveaux au dessus. « Si le Kebab était bon, mais comme on ira le manger là où ça te chante. Il le sera forcément. » « On ira chez moi alors. » En tout bien tout honneur mais je me doute qu’il le sait. J’en ai marre d’être dehors, j’en ai marre d’être exposée aux regards d’inconnus et je ne crois pas avoir la force de monter à nouveau les dix étages. J’ai besoin d’un sanctuaire et mon loft me semble sur l’heure tout indiqué. « En marchant. On est pas loin. » Je hausse les épaules et je me mes en route. Mes talons claquent sur le bitume et je me sens lasse et fatiguée - il faut que je consomme, je le sens - mais je ne lui demande pas de me porter, pas cette fois ci. « C’est vrai. J’ai eu peur que ça soit un truc dont je pouvais pas parler. » « Non, c’en est pas un. » C’est au contraire bien plus anodin et, s’il s’agit d’un vieux souvenir, il n’est ni douloureux ni porteur d’un vent de nostalgie. « J’ai pas fait exprès, tu sais. Je voulais pas de te blesser cette fois-ci. » « Les autres fois tu voulais me blesser ? » Je sais que la réponse est oui et je ne m’en formaliserais pas. Je cherche à savoir s’il l’avouera, le brun. « J’étai pas montée là haut depuis...2006 ? » Sur le toit du restaurant. « Un vieux pote travaillais dans le restaurant du rez de chaussée et il avait trouvé la combine. C’est lui qui m’a fait consommer pour la première fois, et on venait là haut pour se défoncer à l’abri des regards à l’époque. » Nous nous coupions du monde puisque nous ne nous y sentions pas inclus. « Et parce qu’on se sentait invincibles là haut. On était des gosses. »



@Loris Baumann

En toute franchise, je ne l’aurais pas imaginé en train de boire un coca cherry, light, alors qu’elle est défoncée et que plus tôt, elle s’est enfilé un alcool fort comme s’il s’agissait d’eau. Je ne la contredis pas cependant. Je plie à ses exigences parce que je suis conscient d’avoir exagéré. J'acquiesçais presque bêtement d’ailleurs, autrement dit sans réfléchir. Je ne pense même pas à m’offusquer qu’elle caricature mes habitudes de vie comme s’il s’agissait de celle d’un idiot ou d’un mauvais fêtard. Au contraire, j’en rigole : « C’est à peu près ça habituellement, mais peut-être ce soir.» A moins qu’elle ne contente d’un soff, auquel cas je la suivrai sans rechigner. Je me taperai même l’autre bout de la ville pour qu’elle mange le kebab qui lui ravira ses papilles. Et pour que faire finalement ? Pourquoi tant d’abnégation envers cette harpie ? Je sais que je ne gagnerai ni son respect ni sa clémence. Je me l’explique peu ou pas différemment qu’en tenant l’argument que je ne la déteste pas, parce qu’elle a su être là au bon moment, quand j’avais besoin et quoiqu’elle n’envisage de conserver pour elle mes sales petits secrets, ça ne justifie pas que je la haïsse au point de clôturer cette soirée sur un mauvais terme. A moins que j’ai tout simplement peur ? Probablement qu’il en reste un soupçon, mais ma décision est prise sur l’heure. Et quand bien même, la drogue m’a débarrassé de toutes émotions négatives et difficilement négociables. Ce qui j’y gagne ? De la compagnie. Elle ne fuit pas. Elle reste avec moi et je suis soulagé. Elle ouvre même la conversation et moi, je saute sur l’occasion. « Pas toutes les fois, mais pour la plupart oui. Mais, c’est de bonne guerre, non ? » Après ce qu’elle détient sur moi, n’était-il pas cohérent que je me venge pour ma satisfaction personnelle à défaut d’être capable de me libérer d’elle. L’honnêteté paierait-elle ? Peut-être, car elle raconte, elle partage un vieux souvenir avec moi et je l’écoute attentivement, presque religieusement pendant que nous cheminons vers la supérette. « Tu étais très jeune en 2006….» Comment est-elle tombée dedans alors qu’elle avait la vie devant elle et peu de problème finalement. « Tu l’avais rencontré comment ? » Comment t’es-tu sentie la première fois ? As-tu été simplement exaltée, comme moi, pour regretter quand il fut trop tard ? Répondons-nous tous aux mêmes mécanismes ? Toutes ces questions : je les pose. Je les joue aux petits bonheurs la chance : répondra ou répondra pas ?

« C’est à peu près ça habituellement, mais peut-être pas ce soir. » Je tourne la tête dans sa direction et j’esquisse mon plus beau sourire. « Loris Baumann se dévergonde. Je veux pas t’entendre prétendre que c’est ma faute. » Après tout, je ne suis à l’origine d’aucun de ses vices : il cherchait des anti douleurs quand il est tombé sur moi et techniquement c’est lui qui est venu me voir pour me supplier de lui vendre de la cocaïne. Tout ça, il le doit à lui même.

Ma colère, elle retombe comme un soufflet. Elle était sincère pourtant, elle n’avait rien de calculé mais dans l’état dans lequel je suis, allumée, ivre, en descente, fatiguée, affamée et j’en passe, rien n’est éternel et je dirai même plus, rien ne dure bien longtemps. Il m’a portée, j’ai ri, j’ai souhaité les bras d’Amos à sa place, j’ai fermé les yeux et imaginé que c’était le cas, mon coeur s’est brisé et a prétendu être recollé tout ça en l’espace de quelques minutes seulement. La magie de la déchéance. « Pas toutes les fois, mais pour la plupart oui. Mais, c’est de bonne guerre, non ? » « Pas toutes les fois, mais certaines oui. » Nous ne sommes pas alliés Baumann et moi. Nous ne sommes même pas amis et je suis son maître chanteur depuis des mois : il n’y a rien de plus logique finalement qu’il se réjouisse de ma peine et qu’il attrape le couteau planté dans mon coeur pour le retourner dans ma plaie.

Je ne sais ce qui me pousse à m’ouvrir : certainement l’espoir qu’ainsi il arrête de s’intéresser à Amos et qu’il considère que j’ai assez été dans l’échange pour ce soir. « Tu étais très jeune en 2006… » Un mince sourire apparaît à la commissure de mes lèvres. J’étais jeune, trop jeune certainement à ses yeux. Ou était-il à l’époque ? A l’université ? Au lycée ? Qui était-il ? Le quaterback de l’équipe de football américain de son lycée ? La star adulée par toutes les étudiantes ? Le choque-t-il mon passé ? « Tu l’avais rencontré comment ? » Ces souvenirs là ils sont innocents et je m’y plonge sans doueur. « Je l’ai rencontré dans un squat. Il a eu de la peine pour moi, il a partagé. » Je relève mes yeux vers lui. « C’était en 2005, j’avais dix neuf ans. » Est-ce que cela change quelque chose, l’âge que j’avais ?  



@Loris Baumann

Qu’est-ce qu’elle s’imagine ? Que je suis de ceux qui n’assume jamais rien et qui cherche en autrui un bouc émissaire pour payer la note ? Pour le déculpabiliser ? Je ne suis pas le lâche qu’elle prétend avoir découvert. Je suis également lucide sur mes travers, sur ce que je déconne, sur ce que l’ennui et la douleur ont provoqué chez moi. Alors, je roule les yeux au ciel. C’est tout ce que je m’autorise puisque je n’ai pas plus envie d’être seul qu’il y a 5 min. « Je me dévergonde pas, je suis pas une gamine. C’est juste que ça appelle ça. » La drogue appelle l’alcool. « Et que quitte à passer à côté de ce que je suis, autant y aller à fond. C’est rare de toute façon.» Plus autant que je n’aimerais pouvoir l’avancer. Les délais s’espacent mais j’ai sciemment choisi le déni. J’ai ouvertement décidé de ne pas l’alarmer, pas maintenant. Tout comme j’opte pour la vérité devant sa question. Je l’ai titillée sur son mec moins souvent par curiosité que parce que j’avais envie de la blesser. ça a fonctionné et, ce soir, je me coucherai avec l'impression d’avoir remporté une petite partie de ma vengeance. Bien sûr, elle n’est pas pleine et entière : je ne suis pas débarrassé d’elle. Mais, n’est-ce pas aussi parce que je n’ai pas envie qu’elle sorte de ma vie ? Qu’elle m’oublie ? Qu’elle fasse fi de tout ce qu’elle détient en information ? C’est triste à admettre, mais elle m’a lancé dans une partie qui, à défaut de m’amuser, m’a rappelé que j’étais envie, que j’avais encore un soupçon d’utilité pour quelqu’un malgré mon épaule puisqu’elle m’a réclamé quelque chose, un service dont elle me rémunèrera par son silence. Dommage que ce ne sera qu’une chaîne sans fin. Dommage parce que d’une certaine manière, il y avait un soupçon de positif à tirer de cette expérience. En attendant, je chasse toutes ces idées de ma tête pour me concentrer sur son histoire. Rapidement, quelque chose m’échappe et je tente de comprendre. « Si c’est lui qui t’a donné ton premier rail, tu faisais quoi dans ce squat ? Tu prenais de l’héro ? » Passer de l’un à l’autre dans le sens que je présume est rare, voire impossible. Souvent, c’est le phénomène inverse qui se produit, mais sait-on jamais ? Blackwell est pleine de surprise : « Tu te prostituais ? Tu cherchais de l’herbe ? » Toutes mes hypothèses me semblent toutes plus folles les unes que les autres. « Et, tu le vois encore ce type ? Tu lui en veux pas de t’avoir entraîné là-dedans ? » Et moi ? Est-ce que j’en veux à celle qui m’a blessé et qui, indirectement, m’a entraîné dans cette spirale infernale ?

« Je me dévergonde pas, je suis pas une gamine. C’est juste que ça appelle ça. » Il ne boit donc des alcools fort que lorsqu’il est défoncé ? Est-ce ça qu’il dit ? Qu’en temps normal il n’apprécie pas le goût ou l’effet mais que la drogue, non contente de se suffir à elle même pour le faire sombrer, elle appelle à plus de décadence et invite d’autres démons dans la danse ? Je n’y ai jamais vraiment songé pour mon cas personnel : je buvais et fumais, aussi bien du tabac que de l’herbe, avant de commencer à prendre ces merdes. Je n’ai pas attendu d’être aspirée totalement dans le monde des addiction pour développer les plus anodines - en apparence - du lot. « Et que quitte à passer à côté de ce que je suis, autant y aller à fond. C’est rare de toute façon. » Je hoche la tête, mais je ne pose pas de question : chacun son rapport à ses pulsions et addictions de toute façon, et je sais que je n’ai pas aimé qu’il me demande d’estimer ma consommation, comme si je lui devais des comptes.

« Si c’est lui qui t’a donné ton premier rail, tu faisais quoi dans ce squat ? Tu prenais de l’héro ? » Je lève un sourcil et je me demande s’il tenté déjà d’imaginer la scène dans son esprit. La pauvre petite Raelyn et ses cheveux décolorés de la façon la plus cheap qui soit en train de racler le plancher avec ses ongles sales pour s’enfiler n’importe quoi. J’étais pathétique, je ne le nie pas, mais peut-être un peu moins que ce qu’il imagine et je m’amuse à le laisser se perdre en suppositions. « Tu te prostituais ? Tu cherchais de l’herbe ? » Cette fois ci mon air étonné prend une teinte amusée. « Si je me prostituais ? » Après tout, est-ce surprenant que la chose arrive en tête de ses théories ? C’est presque banal, si l’on en croit la trajectoire de toutes les junkies qui atterrissent au Club et, je ne suis pas idiote, ça aurait pu être la mienne si cette période avait duré plus longtemps. « Et, tu le vois encore ce type ? Tu lui en veux pas de t’avoir entraîné là-dedans ? » « Ca en fait beaucoup des questions d’un coup. » Mais celles ci, je peux y répondre. « Je mettais un toit au dessus de ma tête. » Les premiers jours, les premières semaines, dès que j’ai eu épuisé l’argent volé à ma mère en hôtel et avant que ma première paye de serveuse tombe. « Je cherchais certainement un peu d’adrénaline aussi. » Je cherchais à être vue, comprise. « Et non, je lui en veux pas. Je lui ai pas simplifié la vie non plus. » Je l’ai introduit au sein du Club, alors j’ai du mal à savoir qui a le plus entraîné l’autre dans les sables mouvants.



@Loris Baumann

J’ignore pourquoi je me justifie quant à mon futur choix de boissons. Je ne saurais pas non plus expliquer si je le fais pour elle ou pour moi d’ailleurs. En revanche, j’apprécie qu’elle ne réplique rien. Il n’y a rien à en dire et, dans l’éventualité où en parler est l’embryon d’une solution - peu viable et efficace cependant - pour me déculpabiliser, je la remercie intérieurement qu’elle m’épargne une raillerie. Bien sûr, je ne doute pas qu’une autre tombera bientôt, une de son cru, une qui m’irritera peut-être un peu. En attendant, je fais preuve d’une abnégation sans précédent pour me faire pardonner mes abus, surtout pour moi, pour ne pas avoir à affronter ma solitude. Aurais-je imaginé qu’elle se confierait sur quelques histoires de son passé ? Non ! Est-ce que je m’accorde le droit de creuser la question par curiosité ? Oui ! C’est une sujet qui n’est pas tabou celui-là et, si je n’envisage pas d’utiliser contre elle ces vieilles histoires, j’essaie de la reconstituer. Je suis convaincu qu’elle m’aidera à comprendre comment fonctionne cette femme un peu à part, qui se comporte comme un homme tout en jouissant d’une tentante féminité, cette femme qui semble n’avoir peur de rien ni de personne, sauf d’elle-même. « oui, est-ce que tu as fait partie de ses filles qui se prostituaient ou est-ce que tu as eu plus de chance ? » Sa force de caractère sous-entend qu’elle se l’est épargnée, mais n’est-elle pas peut-être la conséquence d’une vie trop compliquée quand on sort à peine de l’adolescence ? Vraisemblablement, elle se garde de répondre à l’entiereté de mon interrogatoire et moi de lui préciser que c’est mon métier. « C’est ça...» J’ai visé du menton la poche de sa veste, celle qui détient sa fiole. « ça me rend encore plus bavard que je ne le suis.» Et plus indiscret, mais elle finit par trier sur le volet mes interrogations et me livre ensuite quelques informations. « Donc, si je comprends bien, ce mec, il partageait avec toi ? Ce qu’il avait ? » Est-ce qu’il couchait ensemble ? Auquel cas, son histoire ferait écho à la mienne et je ne saurais dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose finalement. Avant que je ne la trouve à cette soirée aussi défoncée que moi, elle ne s’en sortait pas trop mal. « C’est à cette période que tu as touché le fond ? » La suite au prochain épisode, nous arrivons à la supérette et déjà je sors quelques billets de ma poche : « Coca cherry light ? Vraiment ? » me suis-je enquis, un sourire amusé au coin des lèvres.

Qu’il tente de creuser cette piste que je lui offre ne me surprends guère : j’apprends petit à petit qu’il est plus malin et surtout plus curieux que ce qu’il laisse paraître, le flic. Cherche-t-il à trouver dans mon histoire un levier qui l’aime à débarrasser la sienne de ma présence et de mon emprise ? Je l’ignore mais je tranche en me disant que ces confessions là son anodines et qu’elles ne l’aideront en rien. J’abaisse mes barrières et je réponds sans fard. « Oui, est-ce que tu as fait partie de ses filles qui se prostituaient ou est-ce que tu as eu plus de chance ? » Je lève un sourcil. « C’est pas un peu trop tard pour te demander s’il aurait fallu me laisser un pourboire ? » Comment réagirait un homme apprenant qu’il a entretenu une liaison avec une prostituée ou une ancienne prostituée ? Je m’interroge, la psychologie masculine me paraissant parfois bien étrange. « Non, j’en suis pas arrivée là. » Du reste, à savoir si j’ai eu de la chance ou pas je le laisse maître de se faire sa propre opinion : je considère que oui mais peut-être considère-t-il que j’aurais eu plus de chance si je m’étais trouvé un job honnête derrière un bureau. « C’est ça… Ca me rend encore plus bavard que je ne le suis. » « Ouais, ça fait cet effet là. » Moi aussi, ma langue fait la course en tête loin, loin devant mon cerveau lorsque je suis sous l’emprise de stupéfiants. « Donc, si je comprends bien, ce mec, il partageait avec toi ? Ce qu’il avait ? » Je hoche la tête. « Ouais il faisait ça. Et non, on couchait pas ensemble, mais il aurait bien voulu, je crois. » Ses regards ne trompaient pas. Ses gestes, sa douceur et ses excès de colère non plus. Sauf que je ne l’ai jamais vu comme ça, et j’ai ignoré les signaux de détresse qu’il m’a envoyé lorsque j’ai commencé à fréquenter un autre que lui. « C’est à cette période que tu as touché le fond ? » Je hoche la tête. « Oui, mais c’était pas à cause de lui. » C’était lié à moi et à ma propension à sombrer face à aux addictions. « Son frère l’a envoyé en cure de désintox plusieurs fois. Ca marche pas ces conneries. » Parce que rien n’a changé dans la vie de Carter en quinze ans. Il est toujours le même merdeux qu’il était lorsque je l’ai rencontré, quand j’ai au moins réussi à évoluer avant de replonger.

« Coca cherry light ? Vraiment ? » J’entre dans l’épicerie et je me sentirais presque mise au défi. Je hausse les épaules et j’attrape un pack de six bouteille de Cherry. « Ca existe pas Cherry ET Light Loris, vis avec ton temps. » A cet horrible breuvage je rajoute une bouteille de scotch, parce que j’ai un minimum de respect pour mon corps. « C’est pour aller avec. » Que j’ajoute, un sourire innocent sur les lèvres, avant de me tourner vers le caissier. « Je vais vous prendre un paquet de Malboro avec ça. »



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Marchant à ses côtés, je l’ai observé, hagard, me demandant où elle veut en venir. Cherche-t-elle à justifier ma curiosité ? A la comprendre ? « Euh… non ! Je ne demande pas pour ça. Pourquoi je t’aurais laissé un pourboire ? » A priori, son passé est derrière elle : c’est le concept. Lorsque notre accord se bornait à un échange de bons procédés, il ne ressemblait en rien à celui que j’aurais pu contracter avec une prostituée. Alors, je comprends pas bien où elle veut en venir et je suis frustré qu’elle fasse tant de mystère. « A force d’éluder, je vais finir par croire que oui et que tu as honte de le dire. » Or, étonnamment, je ne la jurerais pas. Je la trouve bien plus pathétique d’avoir replongé après autant d’années d’abstinence pour de mauvaises raisons que d’avoir vendu son corps contre une dose. Sa situation actuelle ne résulte pas d’un choix conscient tandis que je présume la seconde appartenir à cette catégorie. A tort sans doute. Peut-être que je sous-estime encore à quel point la drogue peut choisir à notre place de ce que nous sommes capables de faire, ce qui nous aurait horrifié avant qu’elle ne nous prenne par la main. « Merci. D’avoir répondu. Je suppose que…. tu peux en être fière. J’en côtoie des gamines qui en sont arrivées là.» Est-ce que je remets en cause ses affirmations ? Pas le moins du monde. « Et toi ? Pourquoi tu couchais avec lui ? Il te plaisait pas ? J’ai du mal à imaginer que tu t’es retenue pour une question d’amitié… tu avais peur que ça y ressemble ? » A de la prostitution ? Cela nous renvoie à mes impressions précédentes, celle où j’étais son gigolo et, je balaie la possibilité que je me suis rangé trop facilement à son opinion. J’aime cette nouvelle version de la réalité. « Comment tu sais si ça marche ou pas si tu n’en as jamais fait ? » ai-je remarqué en haussant les épaules. « Et tu le vois toujours ce gars ? » Cette question, je la pose alors que nous pénétrons dans la supérette. Le vendeur nous salue, il nous regarde à peine et ça m’arrange bien. J’ai l’impression qu’il est écrit sur mon front que je ne suis pas dans mon état normal… C’est d’autant mieux que je me sens soudainement ridicule: « Ah ouais ? ça n’existe pas ? » Je tombe des nues… « J’en sais rien je bois pas de soda.» L’eau est en général le maître de mon quotidien, le centre de mon hygiène de vie et je la laisse donc faire : elle semble gérer. Je me contente juste de payer le pack, le scotch et les clopes.

« Euh… non ! Je ne demande pas pour ça. Pourquoi je t’aurais laissé un pourboire ? A force d’éluder, je vais finir par croire que oui et que tu as honte de le dire. » Il a l’air mal à l’aise, et je me demande pourquoi quand je ne faisais que le houspiller et, peut-être nourrir un peu de ma curiosité. Je fronce les sourcils, surprise. « Relax, je vais pas t'extorquer de l’argent. » C’est loin d’être mon genre et c’est presque insultant, qu’il le prenne si sérieusement. Je réponds, parce que je n’ai rien à cacher concernant cette période là. « Merci. D’avoir répondu. Je suppose que…. tu peux en être fière. J’en côtoie des gamines qui en sont arrivées là. » Je hoche la tête sans trop savoir ce qu’il attend de moi face à cette déclaration. J’en côtoie aussi des gamine dans ce cas, de loin certes, mais il n’y a que ça au Club. « T’en aurais pensé quoi, si ça avait été le cas ? » Curieuse, je penche la tête sur le côté et je l’observe. La vraie question c’est ”qu’est ce que ça aurait changé ?” mais je la retiens.

« Et toi ? Pourquoi tu couchais pas avec lui ? Il te plaisait pas ? J’ai du mal à imaginer que tu t’es retenue pour une question d’amitié… tu avais peur que ça y ressemble ? » « J’étais pas attirée par lui. » C’est quelque chose qui ne s’explique pas non ? Carter n’a jamais eu le charisme qui me plait chez un homme, et il est aussi apparu à une période de ma vie où j’avais bien du mal à apprécier les relations charnelles. Je m’y pliais parce qu’il me semblait que c’était ce qui était à faire, mais je ne les cherchais pas. « C’était un raté. » Et si j’en étais une, je n’avais la force de me porter que moi, et à bout de bras. « Comment tu sais si ça marche ou pas si tu n’en as jamais fait ? » « Il a jamais arrêté. Ce sont des conneries, ça marche pas si t’y va contre ta volonté. » Dans ces conditions là, la rechute arrive souvent moins d’une semaine après la sortie. « Et tu le vois toujours ce gars ? » Un sourire étire mes lèvres alors qu’il me pose cette question et que nous entrons dans la supérette. Je rejette mes cheveux en arrière avant de me tourner vers lui. « Je suis sa boss. » Je l’étais en tout cas, avant de perdre le Club. « Ah ouais ? ça n’existe pas ? J’en sais rien je bois pas de soda. » « Allez, ce soir tu perds ta virginité dans ce cas. » Il règle, j’aurais pu le faire mais ça me fait marrer de le voir sortir son portefeuille pour se faire pardonner son énième allusion à mon amant.



@Loris Baumann

« Je sais. Si tu avais dû le faire, tu l’aurais déjà fait.» lui ai-je répliqué, m’expliquant difficilement pourquoi je suis, en effet, moins détendu qu’à l’accoutumée. Je ne redescends pas. On a consommé il y a pas longtemps. Peut-être que je suis mal à l’aise à l’idée qu’elle puisse se sentir insultée, comme précédemment, alors que je me suis comparé à un gigolo. Je ne crains pas de la mettre en colère. Au contraire, j’aurais davantage pesé mes mots. En revanche, je n’ai pas envie qu’elle se sente humiliée davantage : je l’ai déjà fait sur le plus mauvais terrain et je considère que c’est trop, pas pour elle, mais pour moi. « Et puis, tu en as bien trop pour essayer de m’en prendre à moi. Enfin, je crois.» On prétend que les gens riches le sont toujours plus parce que l’argent les appelle. C’est probable. Mais, je me fais pas de souci : elle me détrompera pas si je fais erreur. Elle s’en fera une joie. « Tu es pas ma gonzesse. Je m’en fous. J’aurais juste trouvé ça triste pour toi. ça doit changer une femme un truc pareil.» Difficile de se regarder dans une glace ou de ne pas être hanté par les images de viol plus ou moins consentant pendant la nuit. « Tu t’attendais à quoi ?» A ce que je m’apitoie sur ton sort ? Non ! Pas le genre. Peut-être est-elle régie, au nom de la drogue, par la culpabilité, tout simplement. En attendant, je la noie de questions au sujet de ce gars qui l’a conduite vers les tréfonds de la déchéance et, je l’admets, je suis surpris qu’elle n’ait pas couché avec lui. «Pas attirée par lui. Tu arrivais à faire la distinction en t’en foutant dans le nez ?» Moi, dans ces moments là, je me moquerais presque du genre de nana que le destin a conduit entre mes mains. Je pense plaisir. Je pense trivial. Je pense animal. Est-ce l’une de ses différences entre les hommes et les femmes ? Et si j’étais un cliché ? Et si, elle avait raison dans le fond ? L’idée m’horrifie autant que celle qui prétend que les cures sont inefficaces. « Il y en a pour qui ça fonctionne, ceux qui le veulent vraiment.» Et, je m’en convaincs. Je m’en convaincs parce qu’à chaque fois que j’avance un pas vers le néant, je me dis qu’il restera cette solution de secours si, demain, je n’arrivais pas à arrêter seul. « C’est pour ça que tu n’as pas envie d’en faire une ? Pour pas perdre ton temps ? Comment tu as fait pour arrêter la première fois ? » Pense-t-elle qu’elle est par conséquent immunisée et qu’elle arrivera à s’en défaire une seconde fois ? « Et je suppose que ça aide d’être sa boss pour pas lui en vouloir. Il consomme encore ? Il te vole jamais ? » J’aurais dû utiliser un passé : elle ne fait plus partie du Club, mais les informations semblent s’être noyées au milieu de toutes les autres. En ce compris celle au sujet des sodas alors que je règle la note. « Waouh !! J’ai hâte, tu as pas idée. Au moins, la partenaire peut être sympathique parfois.» l’ai-je complimentée sans m’en rendre compte.

« Je sais. Si tu avais dû le faire, tu l’aurais déjà fait. »
« C’est vrai. »
« Et puis, tu en as bien trop pour essayer de m’en prendre à moi. Enfin, je crois. »
« Ouais, j’ai pas besoin de ça. »

De l’argent, j’en ai à ne plus savoir qu’en faire. Peut-être me poserais-je la question d’aller jeter un oeil sur ma trésorerie si j’étais mise à la porte et devais rendre mon appartement, mais comme prévu Mitchell a, dans toute sa lacheté, simplement hoché la tête quand moi j’ai donné mes conditions. « Tu es pas ma gonzesse. Je m’en fous. J’aurais juste trouvé ça triste pour toi. ça doit changer une femme un truc pareil. » Je laisse échapper un rire cynique. « Et qu’est ce que t’en sais de ce qui change une femme ? » Je plonge mes yeux dans les siens, un sourire en coin au bord des lèvres. J’ai le mettre en face des stéréotypes dont il se nourrit Loris, c’est amusé de le voir se débattre avec. « Tu t’attendais à quoi ? » « A rien, pour une fois j’étais vraiment simplement curieuse. » Je voulais comprendre comme il pense ou, plutôt, valider mes théories. Il dit qu’il n’en aurait rien eu à foutre et je me demande si c’est vrai.

« Pas attirée par lui. Tu arrivais à faire la distinction en t’en foutant dans le nez ? » Je sonde mon esprit en me demandant s’il me considère vraiment comme une femme à la cuisse légère et sautant sur tout ce qui bouge. « Regarde, ce soir j’y arrive. » Je lui ai dit que nous ne coucherons pas ensemble et nous ne le ferons pas. La pique est gratuite, bien innocente et je reprends plus sincèrement. « J’avais dix neuf ans. » Se rend-t'il compte que, à bien des égards et malgré l’image que je voulais renvoyer à l’époque, je n’étais alors qu’une enfant ? « Il y en a pour qui ça fonctionne, ceux qui le veulent vraiment. » « Peut-être, mais j’y crois pas. Pourquoi, t’y penses toi ? » A aller en cure ? A arrêter tout ça ? « Tu sais que ça règlerait pas ton problème ? » Une fois sobre, la douleur dans son épaules repartirait et il n’aurait plus rien pour la noyer. La tentation sera, sans nulle doute, pire encore que pour n’importe quel ancien junkie. « C’est pour ça que tu n’as pas envie d’en faire une ? Pour pas perdre ton temps ? Comment tu as fait pour arrêter la première fois ? » « J’ai pas eu le choix. On me l’a pas laissé. » Enfermée dans l’appartement d’Aaron, celui qui est devenu le mien, je n’avais rien d’autre à faire que de lutter. Pas d’autre choix que de ne pas consommer. « Et je suppose que ça aide d’être sa boss pour pas lui en vouloir. Il consomme encore ? Il te vole jamais ? » « Il consomme et du reste... » J’esquisse un sourire. « Ce sont les avantages du boulot. Il prend ce dont il a besoin pour sa consommation personnelle. » Le Club loge, le Club nourrit, le Club vous plante un couteau dans le dos aussi, parfois. « Waouh !! J’ai hâte, tu as pas idée. Au moins, la partenaire peut être sympathique parfois. » « Tu veux une clope ? La soirée des premières fois ? » En ressortant de la supérette, j’attrape mon nouveau paquet pour tirer une des cigarettes du paquet.


@Loris Baumann

Au moins nous sommes d’accord : elle n’en a pas après mon argent, argent que je ne possède pas par ailleurs. J’ai de quoi vivre décemment, mais ça s’arrête là. Tant mieux ! J’aurais trouvé déplaisant que la monnaie soit au coeur de son chantage. Je n’aurais pas réussi à me convaincre que sa proposition pouvait m’arranger à moi aussi. Trouver des indices sur le nouveau gang qui sévit sur Brisbane, ça pourrait propulser ma carrière si je ne prévoyais pas d’être trop honnête, un rien trop… si je ne faisais pas mon deuil de mon métier depuis des heures, en toute indifférence, grâce à la drogue. Elle change un homme… elle les change tous avec une majuscule et si j’écarquille les yeux - c’est vrai que je ne connais pas grand chose au mode de fonctionnement de mes congénères du sexe opposé - je sais que la cocaïne transfigurerait une nonne et que personne ne s’en sort indemne. « Tu as raison. Je sais pas grand chose sur les femmes. Mais, je sais que personne ne peut se vanter d’être fier de lui quand il perd le contrôle. Et coucher pour ça, c’est perdre le contrôle....» Ce n’est pas comparable à ce que les filles libérées, celles qui couchent avec le premier venu, qualifie de droit au nom de l’égalité des sexes. Nul doute que Rae a fait, en quelque sorte, partie de celle-là : elle a collectionné les amants. Ceci étant, je le repète : ce n’est pas ma copine. ça m’importe peu. C’est son type que je comprends pas et, si elle fait la distinction ce soir, c’est aussi à cause de lui.« ouais. Tu t’es pas débattue… Tu as pas crié au loup non plus..» Je fais référence à ce baiser, bien entendu. Et si je je ne me retenais pas, je lui préciserais que c’est son coeur qui fait la différence, pas sa tête et que contre le premier, la coke est parfois inefficace. Autant qu’une cure ? Est-ce qui j’y songe ? Je ne sais pas si j’ai envie de lui répondre. « Evidemment que je me dis à chaque fois que c’est la dernière fois. C’est pas la solution à mon problème justement. Et, c’est quoi d’après toi le problème ? » Me voit-elle comme un pauvre type qui s’amuse à se gâcher ou comprend-t-elle que je suis le fruit de mes propres déception ? « On ne t’a pas laissé le choix ? Je pensais qu’on l’avait toujours ?» ai-je aussitôt répliqué parce que je préfère parler d’elle que de moi. Elle ne fait pas la fine bouche. Alors, j’en profite. « C’était qui ? » Pas le mec qui lui a brisé le coeur a priori. Il n’y a pas si longtemps, il n’existait pas dans le bataillon de ses prétendants. « Pas le gars qui consomme, qui bosse pour toi et qui se sert visiblement.» Mais, qui dans ce cas ? Celui dont le nom est versé dans son dossier ? La bavure, comme certains de mes collègues, ceux en charge du dossier du Club - ceux qui stagnent - ont coutume de l’appeler. Je n’en serais pas surpris. Tout comme je suis à peine étonné qu’au sortir du magasin, elle me propose une cigarette. J’hésite. Je me dis que si je tousse - comme quand j’étais ado - elle va se moquer de moi et je n’ai pas envie. Alors, je décline. « Je suis comme une sainte-nitouche. Une première fois à la fois.» ai-je plaisanté tandis que nous empruntons le chemin vers ma voiture. Qui devait conduire ? Elle ? Moi ? J’ai oublié !! Rien ne me vaut ce soir.