« Tu as raison. Je sais pas grand chose sur les femmes. Mais, je sais que personne ne peut se vanter d’être fier de lui quand il perd le contrôle. Et coucher pour ça, c’est perdre le contrôle... » Je voudrais répondre qu’il y a pleins d’autres façon de perdre le contrôle et de ne plus être qu’à moitié capable de se regarder dans la glace - c’était mon cas à l’époque - mais je n’en fais rien : je n’ai plus l’esprit assez aiguisé pour me lancer dans ce genre débat. Au contraire, il me faudrait une nouvelle dose pour me mettre un coup de fouet et j’y pense alors que les lumières de la supérette m’agressent la rétine. « Ouais. Tu t’es pas débattue… Tu as pas crié au loup non plus... » « Ton égo l’aurait pas supporté si j’avais fait ça. » Et je maintiens que ce n'était pas tant ça le souci à l’époque : j’avais envie de plaire, mais j’avais du mal à apprécier les joies de la compagnie des hommes. Je m’y pliais pour les rendre accro à moi et à mon parfum, mais il aura fallu que je tombe amoureuse pour m’éveiller sexuellement et ne plus voir l’acte comme le moyen d’arriver à mes fins. « Evidemment que je me dis à chaque fois que c’est la dernière fois. C’est pas la solution à mon problème justement. Et, c’est quoi d’après toi le problème ? » « Moi je me dis jamais que c’est la dernière fois. » Il a dit évidemment or, ce n’est pas une évidence pour tout le monde, ça n’en est pas une pour moi. « Le problème c’est ça. » J’attrape son épaule entre mes doigts et je pince légèrement son articulation avant de la relâcher. Je n’ai certainement pas assez serré pour qu’il se torde de douleur, mais je doute qu’il n’ait rien ressenti. Il n’en a jamais réellement parlé de sa blessure, mais nous avons partagé le genre d’activité physique qui permet d’apprendre à connaître quelqu’un et en tout cas son corps. Lui, chaque faux mouvement lui tirait une grimace de douleur qu’il tentait de dissimuler.

« On ne t’a pas laissé le choix ? Je pensais qu’on l’avait toujours ? »
« Pas quand on t’enferme dans un appartement et qu’on te laisse pas sortir. C’est assez radical comme méthode. » Bien sûr, dans l’absolu j’avais toujours un autre choix : celui de me jeter par le balcon mais j’ai toujours eu la rage de vivre. « C’était qui ? » Je fronce les sourcils en me demandant ce qu’il pense avoir compris. « Pas le gars qui consomme, qui bosse pour toi et qui se sert visiblement. » « Celui qui ne m’a pas laissé le choix ? » Un regard triste passe sur mon visage, mais la plaie n’est plus aussi béante qu’il y quelques années, qu’il y a quelques mois même. « Un vieux fantôme. » Un qui n’a plus la moindre importance depuis des années, même si j’ai continué à me convaincre que c’était le cas. Amos m’a prouvé le contraire. « Je suis comme une sainte-nitouche. Une première fois à la fois. » « Dans ce cas t’aurais dû choisir la clope. » Je débouche la bouteille de coca pour boire au goulot. « C’est toujours aussi dégueulasse. Je te la laisse. » Puisque c’est sur elle qu’il a jeté son dévolu. Je la lui tends en gardant ma bouteille de scotch précieusement coincée sous mon bras.



@Loris Baumann

« Et tu t’inquiètes de mon ego toi maintenant ?» lui ai-je lancé, plus taquin que provocateur. Je ne la cherche pas. Nous sommes au contraire dans une conversation étonnamment sérieuse à propos du passé - le sien - de la drogue et de mes problèmes. Elle pince l’articulation de mon épaule et, si je hurle pas de douleur - je suis anesthésié de toute façon - la gêne occasionnée me fait grimacer. Est-ce que je lui ai expliqué ce qui m’est arrivé ? « En apparence, oui.» ai-je affirmé avant de renchérir sur le fond de la question.« Mais la réalité, c’est que je suis trop orgueilleux.» Au contraire, je me serais fait opérer, j’aurais accepté d’être évincé de mon post au profit d’un autre. « Je suis pas un gratte-papier.» Mais, tout le monde s’en fout ce soir, elle, moi, surtout elle, y compris moi.  « Il y a un type qui a vraiment réussi à faire ça ? A avoir le contrôle sur toi ? » Certes, elle n’était qu’une gosse à l’époque, mais j’ai tellement de mal à l’imaginer docile, cette tornade. « Tu as dû avoir envie de lui arracher les yeux non ? Ou tu as développé un syndrome de Stockholm.» En réalité, je suis proche de la réalité mais sur l’heure, je n’en sais encore rien. Je soumets l’hypothèse par curiosité, pour tester mon intuition également. Je pense qu’elle est juste : elle ne le qualifierait  pas de vieux fantôme et, d’après le dossier - je l’ai épluché - l’histoire remonte à longtemps… très longtemps. Je conviens donc avec moi même qu’il pourrait être tabou également. Aussi, en sortant de chez l’épicier, je renonce à la cigarette au profit du soda qu’elle entame. « Tu étais pas supposé mettre du scotch dedans ? » N’était-ce pas le deal ? « Allez, files-en. La cigarette, c’est hors de question. Bien assez avec une merde sur le dos. Et, je promets que je conduirai prudemment. D’ailleurs, on devrait bouger, j’ai la dalle.»  

« Et tu t’inquiètes de mon ego toi maintenant ? »
« Evidemment, je suis comme ça moi, attentionnée. »

Je lui renvoie un sourire parfaitement hypocrite : je suis beaucoup de chose mais attentionnée n’en a jamais fait parti et il ne s’est jamais plein. Si je l’étais, je n’appuyerais pas sur son épaule en prenant le risque de lui faire mal, ne serait-ce qu’un tout petit peu. « En apparence, oui. Mais la réalité, c’est que je suis trop orgueilleux. » Trop orgueilleux pour ? « Je suis pas un gratte-papier. » « Ah. Tu prêches une convertie. » Je pourrais lui dire qu’il y a un monde entre des métiers de bureau et des métiers aussi physiques que le sien mais ce serait hypocrite : moi même j’ai choisi un extrême. « Il y a un type qui a vraiment réussi à faire ça ? A avoir le contrôle sur toi ? » Je lève un sourcil et, au fond, je me demande pourquoi il s’intéresse autant à cette histoire. Le dossier d’Aaron, je ne doute pas qu’il l’ait eu entre les mains. Il a certainement tenté de se débarasser de mon emprise et a fait ses devoirs, ou alors il est idiot. « Tu as dû avoir envie de lui arracher les yeux non ? Ou tu as développé un syndrome de Stockholm. » Un syndrôme de Stockholm. Je n’ai jamais mis ce mot sur ma relation avec mon ancien compagnon mais je suppose que, vu comme ça, il n’est pas totalement incorrect. Sauf que je suis tombée amoureuse du type qui m’a aidée à m’en sortir, pas de celui qui m’a enfermée. « J’ai eu envie de lui arracher les yeux. Et puis… Je me suis dit que c’était ce qu’il voulait, avant de réaliser que je le voulais, moi aussi. » Je hausse les épaules et je répète cette phrase comme si elle expliquait tout. « J’avais dix neuf ans. » Aaron presque trente et un, il était charismatique et il m'avait sauvée, en tout cas à mes yeux. Les choses se sont faites avec un naturel que je n’avais pas prévu. « Il m’a repoussée, au début. » Pas la première fois, mais après.

Au sortir de la supérette, je lui tends la bouteille dans laquelle j’ai trempé mes lèvre, passablement dégoutée. « Tu étais pas supposé mettre du scotch dedans ? » « Et venir gâcher un bon scotch ? » Bon tout est relatif puisqu’il a coûté trente dollars dans une supérette de nuit. Mais meilleur que la boisson de pucelle que je lui tends. « Allez, files-en. La cigarette, c’est hors de question. Bien assez avec une merde sur le dos. Et, je promets que je conduirai prudemment. D’ailleurs, on devrait bouger, j’ai la dalle. » « T’en auras après. T’as dit que t’avais jamais gouté, tu peux pas passer à côté de ça. » Je m’amuse de conneries, comme d’une boisson infecte. « T’avais pas envie de me voir conduire ? »


@Loris Baumann

Encore une fois, j’ai envie de lui dire qu’elle n’est qu’une menteuse vu le nombre de fois où elle s’est amusée à me rabaisser. Elle y a pris du plaisir d’ailleurs. Je me contente de rouler des yeux dans mes orbites et de laisser tomber. Pas de bataille contre des moulins à voir ce soir. Pas pour elle. Je m’arrête à son histoire que je reconstitue peu à peu et à tirer un constat plus honnête de la véritable nature de mon problème. Aurais-je accepté d’être écarté, de faire un job de bureau que jamais je ne serais tombé dans les antidouleurs au départ et dans la coke ensuite. Ceci étant, quoique la déduction soit douloureuse, je me sens entendu, compris et c’est un sourire lourd de reconnaissance que j’adresse à mon maître-chanteur. C’est également avec une profonde attention que je recompose le puzzle. Je ne prononce pas le nom de son défunt sauveur, mais j’ai compris. « En gros, il t’a sauvé la vie et, si je ne m’abuse...» Et à condition que j’aie le droit d’en parler cette fois. « Il est mort. Une bavure, c’est ça ? » Raison pour laquelle elle déteste tous les flics. « Tu te sens pas mal d’avoir rechuté pour tu sais pour quoi ? Et pas la peine de m’agresser si tu ne veux pas répondre. » Je la préviens parce que je n’ai pas envie de nous gâcher la soirée à cause d’une nouvelle audace. « Tu le dis et c’est tout.» l’ai-je averti en glissant des billets aux vendeurs de la supérette. Je récupère la bouteille de soda qu’elle me tend et qui me tente à peine sans l’autre bouteille, celle qui a quelques degrés de plus. Un peu d’alcool me ferait du bien. Beaucoup d’alcool me rendrait plus guilleret quand certains aspect de cette nuit me tourmente trop : je n’arrive pas à planer comme je l’aimerais.« Allez, je me lance alors.» J’ai ouvert la bouteille, j’ai bu une gorgée et tant de sucres m’a écoeuré. « C’est dégueulasse en fait.» J’ai grimacé et j’ai tendu l’autre main : faut faire passer le goût maintenant. Après, je lui donnerai les clés. Qu’elle conduise si ça lui chante : j’ai tant insisté que ça ressemble à une victoire.

Si j’avais encore besoin de me prouver que j’ai tourné la page et qu’Aaron fait désormais partie intégrante de mon passé, je l’aurais aujourd’hui. Je parle de lui avec un pointe de douleur au coeur certes, mais elle n’est rien comparée à ce que j’ai ressenti lorsqu’il m’a interrogée sur Amos et surtout, je réponds. Cela ne me brise pas au point que je refuse de partager le moindre détail. Je m’épanche au contraire, quand ma récente rupture est un sujet tabou tant la plaie est encore douloureuse.

« En gros, il t’a sauvé la vie et, si je ne m’abuse... »
« Oui, il m’a sauvé la vie. » Je ne me drape pas dans ma fierté : ce constat là je l’ai accepté il y a bien des années.
« Il est mort. Une bavure, c’est ça ? » J’hésite un instant, avant de hocher la tête une seconde fois.
« C’est ça. »

Qu’il soit au courant ne me surprend pas : il a dû accéder à mon dossier pour tenter de comprendre son maître chanteur et de le contrer, il lui fallait simplement faire le rapprochement. « Tu te sens pas mal d’avoir rechuté pour tu sais pourquoi ? Et pas la peine de m’agresser si tu ne veux pas répondre. Tu le dis et c’est tout. » Cette question a plus trait à ma rechute et à mon défunt compagnon qu’à ma rupture, sa prévenance me fait sourire mais j’y réponds sans mal. « Non, je me sens pas mal. Il est mort depuis douze ans, ça a rien à voir avec lui. » Et surtout, moi je n’ai plus rien de la jeune fille qu’il a connu, et dont il était épris.

Au sortir de la supérette, je lui interdit de boire de l’alcool tant qu’il n’aura pas goûté au sucre liquide que je lui tends. Je suis comme une enfant, à négocier des choses dont je me moque bien. Je ne réalise même pas ce que je fais lorsque je lui propose ou demande de conduire quand je m’y étais fermement opposée quelques minutes plus tôt. « Allez, je me lance alors. » Il boit et grimace : prévisible. « C’est dégueulasse en fait. » « Ouais, ça l’est. Tu peux le bazarder et boire un vrai truc maintenant, mais mélange pas ou j’aurais plus aucun respect pour toi. » Je lui tends la bouteille de whisky après en avoir bu une rasade supplémentaire, avant de tendre la main pour qu’il me confie ses clés.


@Loris Baumann

Evidemment, la cocaïne aidant, une autre question me brûle les lèvres. Une voire plus et je n’ai pas la délicatesse de les éviter. Elle tombera tôt ou tard et, si la première concerne un éventuel de Stochlom, le suivantes sont en lien direct avec les circonstances de la mort de son précédent compagnon.« Je suppose que sa mort a été un coup dur.» L’affirmation ne mérite pas d’être commentée. Elle est évidente : elle me sert plutôt de mise en contexte. « Tu as réussi à pas replonger ? Pas même une fois ?» Que ça soit à travers les médocs ? Me dirait-elle non qu’elle forcerait mon respect, même si ça me déplaît. «Et tu as jamais cherché à savoir quel était le flic qui a commis cette bavure ? Tu as pas eu envie de te venger ? » Et maintenant ? ça lui traverse l’esprit parfois ? J’en doute : les récents événements m’ont prouvé qu’elle était passé à autre chose, à un autre gars qui lui a vraisemblablement brisé le coeur autrement qu’à travers la mort. « Au moins parce qu’il t’a sauvé la vie justement ? Tu sais que je pourrais t’aider pour ça ?» Et ça n’aurait rien à voir avec son chantage. J’ai bien compris que cette carte-là, elle la réservait à des projets bien plus grands. « Même que ça serait gratuit.» ai-je donc précisé une fois sur le trottoir devant la supérette. J’ai ma bouteille de soda dans la main. Je goûte parce que c’est sans risque et qu’a priori, c’est anodin. Ma grimace, tant c’est dégueulasse, aurait pu nous arracher un grand éclat de rire. Nous nous contentons d’un sourire, d’un sourire et d’un avertissement. « Plus aucun respect pour moi ? » Dans l’éventualité où je me rendrais coupable d’un sacrilège comme mélanger un alcool avec un autre ? « Tu prends pas de risque : il faudrait que tu en aies pour ça.» Et j’en doute : je suis flic, je suis un junkie. Ce soir, je tiens lieu pour elle d’empêcheur de tourner en rond rien de plus.

« Je suppose que sa mort a été un coup dur. »

Je ne vois pas ce que je pourrais répondre à ça. C’est un peu comme si je lui roulais sur le pied avec une bagnole en disant ”je suppose que ça t’a fait mal”. Coup dur, ça ne commence même pas à être suffisant pour décrire la façon dont je me suis sentie, le mutisme dans lequel je me suis plongée pendant des jours, choquée par sa disparition et pas les circonstances autour. « Tu as réussi à pas replonger ? Pas même une fois ? » Je hausse les épaules. « Ca dépend ce que t’appelles replonger. J’ai jamais retouché à la coke. » Mais je ne me suis pas tenue loin des drogues dures pour autant. « Du reste, t’as pu constater par toi même que je me suis jamais privée. » Nous avons plus souvent couché ensemble sous l’emprise de stupéfiants que sobres. Bien plus.

« Et tu as jamais cherché à savoir quel était le flic qui a commis cette bavure ? Tu as pas eu envie de te venger ? » Je fronce les sourcils et je me demande ce qu’il sous entend. Se pose la question pour mieux me cerner ou bien cherche-t-il à sous entendre qu’il connaît la personne ou, le cas échéant, pourrait le retrouver ? « C’était y’a douze ans. Ca le ramènera pas. » Et j’ai cessé de le souhaiter. J’ai accepté sa mort, difficilement, ça a pris des années, mais je l’ai acceptée. « Au moins parce qu’il t’a sauvé la vie justement ? Tu sais que je pourrais t’aider pour ça ? Même que ça serait gratuit. » Je fronce les sourcil et le dévisage. « Y’a rien de gratuit dans la vie. » Il y a toujours une contrepartie, même si elle semble invisible de prime abord. « Tu sais ce que ça implique se venger dans mon milieu ? T’es conscient de ce que tu propose ? » De me livrer l’un de ses collègues ?

« Plus aucun respect pour moi ? Tu prends pas de risque : il faudrait que tu en aies pour ça. »
« Fais pas l’enfant Loris, casse pas l’ambiance. »

J’esquisse un sourire tandis et, la main toujours tendue dans sa direction j’agite mes doigts et les pointe du menton. « Allez, file moi les clés. Je suis ton chauffeur ce soir pour me faire pardonner. »

@Loris Baumann

Et ce qui devait arriver arriva : je suis impressionné par sa force de caractère et, sans surprise, je me demande à nouveau ce que ce type a bien pu lui faire pour qu’elle choisisse de se détruire. Je peux entendre qu’elle était amoureuse, mais à ce point ? Plus que de celui qui l’a tiré de la merde ? Autant de raison pour l’envier, cette harpie : elle sait ce qu’est aimer et un jour, quelqu’un lui a tendu la main. Qu’ai-je donc qui dysfonctionne chez moi pour m’attirer, au mieux de la sympathie et au pire de l’aversion ? Est-ce bien le moment pour une remise en question d’aileurs ? « Ouais ! J’aurais aimé pouvoir me contenter de ça.» Sauf que ça n’avait jamais fait partie de mes habitudes et que je semble tout destiné à faire les choses à l’envers, à initer ma descente aux enfers en optant pour ce qui me rend plus fort et qui est pour le moins plus difficile à détecter que l’ivresse alcollique. « Non, mais parfois, ça pourrait faire du bien. Parfois, j’ai envie de me venger.» De celui qui m’a tiré dessus, de l’équipière qui a attiré bêtement l’attention sur l’escadron d’intevention. Je suis néanmoins pétri dans la pâte du pardon et aujourd’hui, plus qu’hier, je l’envisage comme une faiblesse. « Et oui, je sais très bien ce que je suis en train de te proposer et je suis sérieux, y compris quand je te dis que ce serait gratuit. » Je renchéris avec une sincérité éloquente. « Je le ferais pas pour toi. Je le ferais parce que je vais perdre mon boulot alors que j’ai rien fait d’aussi grave que d’enlever la vie à un homme.» Alors que rien ne prouvait qu’il n’était pas innocent. Rien. Et, si je présume qu’il l’était aussi peu qu’une oie blanche, je m’attarde aux faits et mes investigations n’ont rien apporté de tangible. « Réfléchis-y. Ce serait un sacré pied de nez au destin par rapport à ce qu’il t’arrive aujourd’hui, tu ne crois pas ? » Ma virginité au coca cherry perdue, une goulée de scotch plus tard, je ne réfléchis plus. Je me file à l’inconséquence de ma personnalité et je les lui tends les clés. Je lui tends en souriant niaisement : « J’aime l’idée que tu sois mon chauffeur, Blackwell, surtout que tu as des tas de choses à te faire pardonner.» Le débat est clos : elle conduira et je m’installe donc sur le siège passager.  


@Raelyn Blackwell

« Ouais ! J’aurais aimé pouvoir me contenter de ça. » Ce sont de drogues dures que nous parlons, tout de même, mais ce n’est pas moi qui lui fera la leçon et lui expliquera qu’une vaut une autre : je me suis laissée happer par l’illusion que cela n’avait rien à voir et que je n’étais pas accro. Sauf que mes pilules, si je devais arrêter d’en consommer, elle me manquerait tout autant. De façon plus insidieuse peut-être mais cela n’en reste pas moins vrai. « Non, mais parfois, ça pourrait faire du bien. Parfois, j’ai envie de me venger. » Je hoche la tête. Est-ce que je jubilerais à l’idée que cet enfoiré ait ce qu’il mérite ? Evidemment, mais je sais que face à lui je serais incapable de me contenir et il y a des limites que je n’ai pas envie de franchir : pas parce qu’elles pèseraient sur ma conscience, mais parce qu’elles m’enverraient sans nul doute tout droit jusqu’à la case prise. « Et oui, je sais très bien ce que je suis en train de te proposer et je suis sérieux, y compris quand je te dis que ce serait gratuit. » Je fronce les sourcils. « Comment tu peux être sérieux ? » Et s’il s’agissait de l’un de ses amis ? De ses coéquipiers ? « Je le ferais pas pour toi. Je le ferais parce que je vais perdre mon boulot alors que j’ai rien fait d’aussi grave que d’enlever la vie à un homme. » « Perdre ton boulot ? » Je penche la tête sur le côté, un sourire presque carnassier sur les lèvres. « T’es conscient que si tu me livrais ce type, il perdrait potentiellement plus que juste son boulot ? » Aujourd’hui je me targue d’être maître de mes nerfs et de mes réactions. Mais qu’en serait-il demain si, en le voyant, je revoyais par la même occasions des flashs de cette matinée ? M’en resterait-il beaucoup de la tempérance ? Ne déciderais-je pas de me faire justice moi même ?

J’ai haïs les flics parce que ce genre de bavure existe est qu’elle est enterrée. Parce qu’Aaron était un sale type et que, par conséquent, cela aurait pu être pire. Sauf qu’il était nerveux, mais pas armé. « Réfléchis-y. Ce serait un sacré pied de nez au destin par rapport à ce qu’il t’arrive aujourd’hui, tu ne crois pas ? » « Tu t’es jamais dit que si j’avais voulu l’avoir son nom, je l’aurais déjà obtenu ? » Je l’aurais cherché en tout cas, du reste j’ignore ce qu’il en serait ressorti.

J’attrape ses clés dans un sourire et je m’installe côté passager. J’avance le siège pour combler notre importante différence de taille et je tourne la clé dans le contact. « J’aime l’idée que tu sois mon chauffeur, Blackwell, surtout que tu as des tas de choses à te faire pardonner. » J’observe les différentes commandes et, ivres et allumées, j’ai du mal à me souvenir de ce qu’il convient de faire. « J’espère que c’est pas une putain de voiture manuelle. » Que je rage en enlevant le frein à main et en appuyant sur la pédale d’accélération, trop brusquement certainement.


@Loris Baumann

Je suis sérieux parce que je trouve que ma situation est injuste, que je ne l’ai pas méritée, que je suis la victime directe de l’imprudence et de l’incompétence d’une collègue protégée par un boss qui tend à confondre le professionnel et le personne. Je suis sérieux parce que la drogue prête à l’assassin de son ex les traits de ce dernier. Je suis sérieux au détriment de ma gentillesse naturelle et de mon éducation. Je suis sérieux parce que je ne suis plus tout à fait moi-même et de plus en plus souvent je me demande si je me suis mentis durant des années en jouant les mecs presque parfaits ou si j’ai toujours un peu plus sombre que son sourire solaire ne laisserait supposer. Bien sûr, au fond, je détiens la réponse. Sur l’heure, je ne prête qu’une oreille distraite à la logique de ma raison. « Perdre mon boulot, oui.» ai-je répété, surpris qu’elle fasse l’innocente. Elle contribue à cette fatalité. Elle n’en est pas la cause principale mais son implication n’est pas négligeable. « Et pourquoi je le serais pas ?» Je comprends rapidement où elle veut en venir : si elle avait ce type sous les yeux, elle lui ferait certainement la peau. Et moi, je me demande si elle en serait capable ou si elle délèguerait le boulot à quelqu’un d’autre. J’opte pour la seconde option. Je l’imagine pas se salir les mains du sang d’un flic. Quant à ce dernier, je ne suis pas certain de souhaiter qu’il crève pour une erreur de jugement. « Si ça ne compte plus autant que tu as l’air de le dire, je suppose qu’il en sortirait vivant.» Je ponctue d’un roulement d’un épaule et, après avoir goûté l’horrible boisson qu’elle m’a imposée, j’ai grimacé. Etonnamment, aussi fort soit l’alcool, le gout et la brûlure de mon oesophage me sont préférables. « Peut-être. En investissant : je n’ai qu’un dossier à ouvrir.» Je découvrirais même les raisons qui l’ont conduit directement chez son “vieux fantôme”. Et je n’ai qu’un geste à esquisser pour qu’elle s’empare des clés de la voiture. L’idée qu’elle conduise m’amuse beaucoup, même si elle appuie déjà trop fort sur l’accélérateur. Elle va l’abîmer, mais la possibilité que nous ayons un accident m’est trop lointaine pour que je m’en inquiète. Ce soir, je suis invisible. Ce soir, je suis un surhomme. « Allez, kebab et puis Spring Hill. Roule. »

@Raelyn Blackwell

« Perdre mon boulot, oui. » Il répète, ne comprenant pas qu’il ne s’agit pas de lui que je parle. Evidemment que, si d’aventure je décidais de mettre mes menaces à exécution, il perdrait au mieux son job et aurait plus vraisemblablement également de gros ennuis avec la justice. Sauf que c’est de son collègue qu’il est question, celui dont il a l’air pour l’instant d’ignorer l’identité mais qu’il peut trouver, à moi que le dossier ne soit sous scellé.

En ai-je envie de me venger ? J’y ai pensé pendant des années avant de me résoudre à l’évidence que cela ne changerait rien et me pourrirait au contraire la vie. J’ai toujours pu me targuer d’être plus réfléchie qu’impulsive mais, à présent, ai-je grand chose à perdre ? Une vengeance ne changerait pas l’état actuel de ma vie, mais si elle était dans mes cordes, ne l’envisagerais-je pas au moins comme exutoire ? « Et pourquoi je le serais pas ? Si ça ne compte plus autant que tu as l’air de le dire, je suppose qu’il en sortirait vivant. » J’esquisse un sourire mauvais, avant de hausser les épaules. « Tu sais, cela ne compte peut-être plus mais quand je m’énerve, je m’énerve. » Et du reste, il paierait pour tout ce qu’il est arrivé depuis. Pour la traitrise des Strange, pour Amos, pour la débâcle de ma relation, pour toutes ces choses dont il n’est pas responsable mais dont il deviendrait le bouc émissaire idéal. « Peut-être. En investissant : je n’ai qu’un dossier à ouvrir. » « C’est pas sous scellé, ces conneries ? » Pour protéger un homme qui, trop jeune et trop inexpérimenté, a fait l’erreur de sa vie sans avoir l’intention d’en prendre une ? Je m’installer sur le fauteuil conducteur et malgré mon état, je décide : quelle que soit la décision que je prendrai, je ne la prendrai pas ce soir. J’ai peur d’ouvrir une boite de pandore que je serais incapable de refermer sans être allée jusqu’au bout et j’ai peur, au bout, de réaliser que je suis alée trop loin. « Allez, kebab et puis Spring Hill. Roule. » Je hoche la tête et je démarre. Sa voiture est bien automatique, sauf que, les premiers mètres, je les fais dans le noir. « Putain, je trouve pas les phares sur ta caisse de merde. » Je grogne, je touche différents bouton, j’allume les essuies glace mais rien n’y fait.


@Loris Baumann

Elle aurait toutes les raisons de s’énerver contre ce personnage. Je pense même qu’il payerait en lieu et place de celui qui l’a conduite ce soir auprès de moi. Je suis convaincu que ça lui ferait du bien. De la même manière que la drogue me souffle que je serais capable de prendre du plaisir dans sa vengeance parce qu’elle serait un peu la mienne. Je me fous de son ex assassiné. Je trouve dommage qu’il ait connu une fin aussi injuste, mais ce serait moins pour lui que pour moi que je l’inciterais à céder à la rancune. Ce flic, ce serait celui qui m’a propulsé dans mon désarroi. Ce policier, ce serait celui contre lequel je ne peux rien alors qu’il est évident que c’est son unique faute si j’ai perdu mes pleines capacités physiques. Finalement, ce qui m’étonne, c’est ce regain de rage qui grimpe en moi. Elle n’avait jamais été aussi violente auparavant. Capable de rationnaliser, je relativise depuis le premier jour. J’étais même sincère lorsque j’ai annoncé à Hannah Whitemore que j’avais pardonné. Que m’arrive-t-il ? Est-ce la cocaïne ? Que révèle-t-elle sur moi ? Bien sûr, je garde mes inquiétudes pour moi. Je me contente de sourire parce que je sais ce que c’est de perdre le contrôle face à une situation donnée. Je suis un mec tranquille, mais je n’en reste pas moins humain et parfois soumis à des accès de colère moi aussi. « Réfléchis-y quand même.» ai-je lancé, qu’elle me soit utile cette étrange avec Raelyn, que je me libère à travers elle de mes frustrations. « Rien n’est sous scellé pour moi. Je te rappelle que j’ai piqué dans la réserve des pièces à conviction…» Je conclus par un clin d’oeil et, nos méfaits d’alcoolique accomplis, je lui ai filé mes clés de voiture. Sa première question, je l’ai ignorée. Il y a deux pédales à la voiture : c’est une automatique. Répondre était inutile. Quant à celle au sujet des phares, je rétorque avec spontanéité et inconscience. « Roule sans, c’est pas grave. Au pire, on sera arrêté par les flics.» L’idée me fait rire. J’ai néanmoins évité de prendre des risques inutiles : je me suis penché au-dessus d’elle et je les ai allumés moi-même. Je serais incapable de décrire l’objet et de le lui indiquer sur le tableau de bord. « C’est mieux comme ça ? Parce que tu avais l’air de t’en tirer comme un chef.» Sans doute parce qu’il n’y a pas de circulation autour de nous…. pas encore… et pas d’arbre non plus. Pour l’instant la route est dégagée.
@Raelyn Blackwell

« Réfléchis-y quand même. » Je fronce les sourcils et je penche la tête sur le côté pour l’observer. Je m’installe dans la voiture mais, avant de démarrer, j’ai la sensation d’avoir une énigme à résoudre. « Pourquoi j’ai l’impression que si tu le fais, ce sera pour toi et pas pour moi ? » Que ça lui tient plus à coeur qu’à moi de punir l’un de ses collègues pour un deuil qu’il m’a fait vivre à moi ? « Rien n’est sous scellé pour moi. Je te rappelle que j’ai piqué dans la réserve des pièces à conviction… » « Ouuuhh.. Le bad cop » Et après il s’étonne que je le qualifie de ripoux ? J’ai du mal à voir quel autre mot je pourrais employer alors que je fais plus que sous entendre que l’homme en question connaîtrait un destin tragique s’il me le livrait et qu’il s’entête. Demain, lorsqu’il repensera à cette conversation, regrettera-t-il d’être allé aussi loin dans ses mots ? Voudra-t-il tout reprendre et oublier de cette soirée, priera-t-il pour que, moi, je n’en garde aucun souvenir afin de ne pas avoir à affronter mon agacement si, toutefois, je décidais de prendre sa proposition au sérieux et de lui demander de l’honorer ?

Je n’en sais rien mais je me promets de comprendre, plus tard, pas maintenant puisqu’à présent, c’est le besoin d’adrénaline qui circule dans mes veines et devient maître de moi. « Roule sans, c’est pas grave. Au pire, on sera arrêté par les flics. » Je roule, déjà je sors la voiture de la place de parking dans laquelle elle était stationnée et je remonte le boulevard qui, heureusement, est désert. « C’est mieux comme ça ? Parce que tu avais l’air de t’en tirer comme un chef. » Il allume les phares et je suis éblouie. « C’est mieux ouais. » Je porte une mains devant mes yeux, agressée par la lumière, mais le geste me fait faire un écart. « Tu veux pas tenir le volant ? Je suis pas assez réveillée, il me faut un remontant. » Et l’idée de doser la vitesse pendant qu’il gérera notre direction me paraît excellente, sur l’instant.



@Loris Baumann

« Peut-être parce que c’est le cas ? » ai-je remarqué en “rangeant” notre paquetage - alcool et bouteille de coca - sur le siège arrière de la voiture. Moi, je prends place côté passager et, tandis que je lui rappelle que je sais comment m’y prendre pour contourner les règles - j’ai appris dès les premiers instants de mon addiction, je lui tire mon majeur. Je n’aime pas cette appellation de bad cop. Je n’aime pas qu’elle sous-entende que je suis qu’un putain de ripoux qui serait prêt à tout, non pas pour rendre justice, ni par altruisme, mais pour se débarraser d’une émotion négative que la drogue exacerbe. Je déteste qu’elle ne prenne pas au sérieux une proposition qui, sur le moment, me paraît intéressante, nécessaire et qui est gratuite au demeurant. Je suis authentique sur le moment et, demain, c’est un autre jour. Il se lèvera sur nous à condition, bien sûr, que nous ne commettons pas d’imprudence au volant. Nous sommes défoncés, mais je suis meilleur conducteur. Il m’a suffi d’être secouer à plusieurs reprises tant sa conduite n’est pas fluide pour statuer que, lui filer les clés de ma bagnoles, avoir insister pour qu’elle investisse la place du conducteur, n’avait rien d’une bonne idée. Pourtant, je ne lui demande pas de renoncer à ce projet suicide. A l’inverse, je la taquine. Je maintiens les phares éteint aussi longtemps que ça ne m’amuse et je ris à chaque fois qu’elle aborde une bosse du macadam à une vitesse, non pas vertigineuse, mais bien peu adaptée. Je suis toujours au bord du fou-rire quand, après un hochement de tête, je récupère le volant. Elle, elle appuie sur la pédale et sort de sa poche sa fiole de poison, celle qui attire mon oeil, celle qui me déconcentre de la route et qui nous vaut de finir dans le décor. C’est la convoitise qui m’a fait tiré le volant vers le réverbère LED planté le trottoir. C’est de l’avoir envié et de m’être vu l’imiter qui m’a empêché d’être attentif et qui nous a valu un accident, un qui aurait pu être banale si nous n’avions pas été lancé à pleine vitesse, un que je n’ai pas pu éviter à l’aide d’un réflexe - ils sont diminués - et qui nous a voulu une embardée, une qui nous a mis en position de véhicule fantôme, une qui a fait crier les pneus tandis que la voiture s’est enroulée par le flanc contre le pylone, mais côté passager. Le choc m’a semblé violent. Ma tête a cogné contre le tableau de bord. Sonné, je n’ai pas réalisé que ma voisine était blessée. Gravement peut-être. Tout ce qui est sorti de ma bouche c’est une injure : je vois les étoiles. @Raelyn Blackwell

« Peut-être parce que c’est le cas ? » Je fronce les sourcils et tente de le comprendre Loris. Parce que sous ses airs de petits cons, qui ne sont pas que des airs, il n’en reste pas moins un gars plus compliqué qu’il n’en a l’air. Je reste persuadée que tout ça ne sont que des paroles en l’air par contre. Qu’une fois qu’il sera descendu et sera de nouveau maître de ses pensées et de ses paroles, il regrettera d’avoir dit ça et retirera sa proposition si toutefois je le relance. « T’es un gars bizarre Loris. » Tant rongé par la colère, celle d’être partiellement inapte à son boulot sans prendre tout un tas de merde, qu’il serait prêt à faire payer l’un des siens.

Mais sur l’heure, je me concentre sur la voiture puisque rien que le fait de la faire démarrer me demander toute mon attention. Tourner la clé, appuyer sur la pédale d’accélération, finalement il aurait presque mieux valu qu’elle soit manuelle, je n’aurais pas réussi à faire plus de deux mètres. Là je démarre, un peu brusquement mais je démarre sauf que, sentant ma concentration flancher - je ferme les yeux à plusieurs reprises, je demande au brun de me tenir le volant. Il l’attrape, je ris en appuyant sur la pédale d’accélération et, les mains libres, j’attrape la fiole. Je porte la cuillère à mon nez et j’aspire un peu de poudre, juste ce qu’il faut pour me donner un coup de fouet et nous conduire jusqu’à Spring Hill, le Kebab ou le pays des merveilles, au stade où j’en suis je ne sais même plus. Que Loris lâche le volant d’une main pour me voler mon bien me fait rire, la voiture fait un écart mais je ne m’en rends même pas compte, je ris et je tente de l’en empêcher. Sauf qu’il donne un coup de volant supplémentaire et, nous projette contre un pylône.

L’impact projette mon front contre le volant et l’impact me sonne. Je lâche la fiole et la poudre blanche se répand partout dans l'habitacle : il neige et, tandis que je reprends conscience, la tête appuyée sur le cuir, un sourire idiot étire mes lèvres. Il neige. Il neige mais ma tête me fait mal. Je le réalise et je plisse les yeux, indifférente à la présence de mon compagnon d’infortune, et remuant difficilement je pousse la porte de la voiture. Je dois m’y reprendre à plusieurs fois avant de parvenir à l’entrouvrir. Les mains tremblantes, j’agrippe le haut de la portière pour me faufiler par l’ouverture. Une douleur aiguë dans le bras me fait grimacer mais je m’extirpe du véhicule pour m’approcher du bâtiment le plus proche et je m’y appuie. Je porte la main à mon front et je le retire, pleine de sang.



@Loris Baumann