Une partie de moi me trouve assez égoïste de souhaiter passer l'après-midi avec Lucy uniquement. J'aurai peu vu le reste de ma brigade pendant cette permission, je n'aurais qu'à peine profité de leur compagnie en dehors du front, quand nous pouvons laisser la guerre au placard pour n'être qu'une bande d'amis. Mais je sais qu'ils ne m'en voudront pas. Quand ils sauront que je suis avec la jeune femme, quand ils la verront, et qu'ils devineront à quel point je l'aime, ils comprendront. Ils voudront tous savoir une fois sur le navire pour la Malaisie, je vais crouler sous des centaines de questions et ils ne manqueront pas de se moquer et de me taquiner un peu. Nous aurons quelques heures de trajet pour rattraper les deux jours passés les uns sans les autres. Tout cela me semble si proche. Demain est un mot si terrible. Lucy souhaite que nous trouvions un endroit pour nous. Un endroit où nous isoler du monde, être ensemble, et oublier le reste, la guerre, et ce cher lendemain. Mais même en y réfléchissant pendant quelques minutes, la jeune femme n'arrive à aucune conclusion. Moi, je souris en coin, buvant mon jus de fruits, et me décide à lui avouer, pour la rassurer ; « Je crois que j'ai une idée. » Mais elle ne saura laquelle qu'une fois sur place. J'espère que je pourrais la mener à bien, que le temps sera de notre côté. La belle parviens à obtenir de ses parents la permission que je reste cette nuit. Je souris un peu plus, nerveux en entendant son père souhaiter me connaître mieux. Néanmoins, je suis ravi de savoir que je pourrais avoir de nouveau Lucy près de moi cette nuit. Elle fera une merveilleuse première vision au réveil, avant de quitter Darwin. La table débarrassée, mon linge confié à Mary, la jeune femme redescends les escaliers après s'être préparée à aller à la base pour les visites médicales et file comme un courant d'air en me donnant un baiser. Son père et moi ne restons pas beaucoup plus longtemps et prenons la route dans l'heure. N'osant pas dire un mot, Peter se retrouve bien obligé de me forcer à converser, et les débuts sont particulièrement laborieux. Nous parlons étrangement de tout, sauf de Lucy. Je lui décris un peu Perth, le ranch où je vis. Je lui parle des week-ends où nous accueillons des militaires et des veuves. Il me raconte quelques anecdotes de ses missions au front, et nous en venons logiquement à la guerre en cours, évoquant la vie de l'autre côté de l'océan, décortiquant quelques stratégies. Au final, si le chemin a été rapide, la conversation, elle, a été des plus denses. Le gradé me quitte après avoir passé les portes du camp, partant pour d'autres affaires. Il n'y a que deux soldats devant moi lorsque je prends place dans la file d'attente. Quand mon nom est appelé, Peter n'est pas revenu. Je le vois déjà me faire faux bond, et ne pas tenir parole. Mon coeur se serre, et cela empire au moment où je remarque que l'infirmière secondant le médecin n'est pas Lucy. Mon salut frappe à la porte du cabinet après que la demoiselle ait vérifié mon audition, constatant avec un air désolé que je n'entends strictement rien d'un côté -et me le confirmant, moi qui avais un peu d'espoir de pouvoir percevoir ne serais-ce qu'une bride lointaine de ce fichu bip. Sur l'ordre du gradé, elle cesse toute activité et se planque dans un coin pendant qu'il discute avec le médecin. Je n'écoute pas ce qu'ils disent ; je me contente de fermer les yeux, inspirer profondément, et prier pour que son intervention soit suffisante pour que je reparte demain. Il ne quitte pas la pièce tant que le docteur n'a pas noté sur mon dossier que je suis apte. Ce n'est que quand la grande main du Lieutenant se pose sur mon épaule pour me dire que je l'examen est terminé que je me permets de souffler de soulagement, le regard rempli de gratitude. Celui que me jette le médecin est à la fois mauvais et inquiet. Je devine qu'à ses yeux, je suis bon pour un aller simple. Les miens sont déterminés à lui donner tort. A l'extérieur du bâtiment, ma brigade m'attend. Ils sont autour de la porte et attendaient que je sorte. « Alors ? » demande Tom, se décidant enfin à briser le silence, puisque je restais parfaitement muet, surpris de tous les voir avec ces têtes d'enterrement. Parce que ça veut dire qu'ils savent. Tous. Ils m'ont sûrement laissé croire que seuls mes deux meilleurs ami étaient au courant, alors qu'en réalité, ils veillaient tous sur moi, sur le terrain. Le comprenant, je reste bouchebé. « J'embarque demain. » dis-je avec un sourire timide. Eux, en revanche, n'hésitent pas une seconde à exploser de joie, me sauter dessus tous en même temps, m'écraser, me frapper les bras, le dos, le sommet du crâne, chacun y allant de sa manière un peu brutale de me faire comprendre qu'ils sont heureux de savoir que je serais de la partie. « Comment ça se peut ? » Scott, pas discret pour un sou, tente de parler tout bas et de montre mon oreille pour illustrer un secret qui ne l'est plus pour personne parmi nous. « Le père de Lucy est Lieutenant-Colonel. Il a grillé le problème dans la seconde ce matin. Il a accepté de faire en sorte que je reparte avec vous. » Scott me donne une nouvelle accolade, un large sourire aux lèvres. Les autres soldats s'éparpillent, me laissant avec ceux dont je suis le plus proche. « J'ai jamais été aussi content de savoir que j'vais avoir un Caporal sur le dos ! » Tom, plus grave, pose une main sur son épaule et sur la mienne pour nous séparer. « Scott, tu retiens pas la bonne partie de l'info là. » Nous fronçons tous les deux les sourcils, ne comprenant pas où il veut en venir. « T'étais où, ce matin ? » Je ris nerveusement, le regard fuyant. C'est qu'il est attentif au moindre détail. « ...chez Lucy. » j'avoue finalement, mordillant ma lèvre inférieure avec un peu de gêne. « Bah mince alors... » Scott n'en revient pas. Il me toise comme si j'étais un vieux camarde de classe perdu de vue depuis dix ans, qui a grandi et pris du poil au menton. Puis il court vers le reste du groupe. « Eh les gars, vous le croirez jamais ! » Je soupire, à la fois amusé et exaspéré. Je me tourne vers Tom, avec qui je suis désormais seul pendant que les autres rient de mes exploits. « Et toi, où est-ce que tu étais passé hier ? » Il a ce sourire en coin de ces moments où il s'apprête à articuler un mensonge plus gros que lui pour se sortir de la mouise. Celui que j'ai vu plus d'une centaine de fois, mais qu'il ne m'avait jamais adressé à moi. « J'étais ici. J'avais une sale gueule de bois toute la journée. » L'observant gigoter comme un gosse qui ne sait pas quoi faire de ses quatre membres, je remarque une trace rouge sur son cou surplombant un hématome. Mon regard brille en comprenant. Je me doutais qu'il essayerai, mais j'espérais qu'il ne le fasse pas. Ca fait des semaines qu'il répète qu'il n'en peut plus, et qu'il atterrira en enfer d'une manière ou d'une autre, de la main d'un japonais ou non. « ...tu t'es raté. » « Scott m'a décroché. » Je suis pris d'un frisson en imaginant la scène. « Tom, tu... » « Pas de ça, Dan. Pas de sermon catho, ce genre de conneries. Et s'il te vient en tête de me dénoncer, j'irai voir plus haut que ton Lieutenant-Colonel pour te clouer ici avec moi. » Parce que les suicidaires restent aussi à la maison. On ne leur donne pas la satisfaction d'aller se jeter sous le feu ennemi. Ca fait tâche dans les rapports. Mais s'il a tenté de mettre fin à ses jours ici, nul doute qu'il fera tout pour mourir là-bas. Je réalise avec clarté, sans aucunement me voiler la face, que mon meilleur ami ne sera plus à mes côtés pendant longtemps. Je retiens mes larmes, mais mon coeur est lourd. « Je suis content pour toi, l'ami. Pour toi et Lucy. Ca a l'air d'être une chic fille. Et elle a l'air de beaucoup t'aimer. » « Comment tu le sais ? » « A ta droi- » Un boulet de canon humain me percute et atterrit dans mes bras. Je n'avais pas entendu Lucy débouler. Immédiatement, mes bras la serrent de toutes leurs forces. « Je t'aime aussi. » je murmure avant de l'embrasser tendrement, me fichant bien de la présence des autres. « On dit bonjour à miss Lucy, bande de lourdauds ! » lance Tom aux autres qui nous regardent en coin. Ils prennent tous leur sourire le plus nigaud pour la saluer, certains ôtant leur casquette de leur tête. « Booonjooour miss Lucy ! » Je lui adresse un regard disant de ne pas faire attention à eux, puis prends sa main dans la mienne. Une partie de moi me hurle dessus pour que je change mes plans et profite de la journée avec mes hommes, avec Tom. L'autre sait qu'il m'en voudrait de laisser tomber la jeune femme à cause de lui, alors que je suis heureux avec elle. « Tom ! On se revoit demain. » dis-je alors qu'il s'éloigne. Et il a intérêt à être sur ce fichu bateau au matin. « Allons-y, la plage nous attends. » J'attire Lucy hors de la base et nous prenons le chemin de sa maison pour faire les sandwichs dont nous avons parlé ce matin, le pique-nique au bord de l'eau en prélude d'un après-midi à deux. Le temps est toujours aussi radieux, la météo est de notre côté. Je tente de rapidement effacer de mon esprit les marques autour du cou de Tom. Je me demande comment il a fait pour passer inaperçu pendant la visite médicale. Non, je ne dois pas y penser. Sinon, je vais finir par faire marche arrière. Et je dois profiter de Lucy tant que je le peux encore. « Ton père doit vraiment se plaire à faire peur à tout le monde. » dis-je pendant que nous marchons. « Le médecin en avait les genoux qui tremblaient. Il faut lui accorder le mérite d'avoir essayé de lui tenir tête. Mais il a réussi à le convaincre. Est-ce que tu crois qu'il y a quelque chose que je puisse faire pour remercier ton père ? » Je porte la main de la jeune femme à mes lèvres pour embrasser ses phalanges. Visiblement, mes épaules portent un poids en moins. Je suis enfin plus détendu. « Je suis tellement soulagé. » Mais j'imagine que pour elle, ce n'est qu'un pas de plus vers le moment où nous serons séparés. Je ne devrais peut-être pas me montrer si enthousiaste à l'idée de partir. « Je suis déçu de ne pas avoir pu te voir en tenue. Tu dois être très mignonne dans ta blouse. » dis-je pour changer de sujet, lui adressant un léger sourire. L'autre soir, tout le monde la trouvait particulièrement belle dans le bar. J'imagine qu'elle doit toujours faire son effet une fois dans son rôle d'infirmière.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
L'avoir à nouveau dans ses bras était un soulagement. Dan la serrait fort contre lui et l'embrassa tendrement après ces quelques mots d'amour échangés. Elle encadra son visage de ses deux mains, profitant de chacune de ses caresses, y répondant avec tout autant d'amour. Les personnes qui les entouraient lui importaient peu sur le moment. Elle voyait qu'il n'avait qu'une hâte, qui était de partir de cette base et de profiter de la mi-journée qu'il leur restait. Le caporal laissa ses hommes derrières lui -ils avaient certainement à faire aussi-, en quittant la base avec sa belle. Celle-ci nota qu'il y avait quelque chose qui le tracassait. "Quelque chose ne va pas ?" demanda-t-elle en marchant, inquiète. "Tu as l'air... tout retourné." Ils arrivèrent chez Lucy. Sa mère était dehors en train d'accrocher le linge. La belle blonde prépara tout ce dont ils pourraient avoir besoin pour le pique-nique, et ils s'en allèrent à la plage. Il n'y avait pas toujours besoin de se parler, juste un regard, une main mêlée à l'autre, suffisait à dire des mots secrets. Elle rit, gênée, lorsque Dan fit un commentaire sur son père. "Je ne pense pas qu'il apprécie me faire peur à moi." C'était certainement la dernière chose qu'il voulait. Ne pas avoir ce regard déçu ou triste par sa faute. Peter avait horreur de la voir triste, de savoir que quelque chose n'allait pas, encore plus lorsqu'il savait qu'il ne pouvait strictement rien faire pour y remédier. Il y était parvenu le matin-même, en permettant à Dan de retourner sur le front. Ce dernier se montrait très reconnaissant, et voulait faire quelque chose en guise de remerciements. Il embrassa doucement ses doigts, elle le regarda faire avec tendresse. "Tu devrais lui demander." Son père n'était pas du genre à demander systématiquement quelque chose en retour, l'intention lui suffisait souvent. La jeune femme voyait qu'il se sentait mieux, qu'il était satisfait de pouvoir repartir avec ses hommes le lendemain, elle comprenait qu'il avait bien du mal à le cacher. Et Lucy était contente pour lui, sincèrement, mais elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire des plus tristes à sa remarque. Ce n'était plus que l'histoire de quelques heures, se disait-elle. Lucy resta alors silencieuse, jusqu'à ce que Dan change de sujet. Il avait certainement ressenti ce léger malaise qui flottait. Elle rougit légèrement. "Ca ne reste qu'une tunique blanche et une coiffe." dit-elle en lui souriant. Elle haussa les épaules. Lucy ne faisait naturellement pas attention aux diverses avances des centaines de soldats qui défilaient devant elle tous les jours. Elle ne s'en rendait simplement pas compte, et, lorsqu'ils étaient trop insistants, tout ce qu'ils parvenaient à avoir était une jeune femme des plus mal à l'aise, et rien de plus. "Emmy est persuadée que -je cite-, je fais des ravages dans cette tenue. C'est peut-être plus une histoire de fantasmes, je ne sais pas." Elle haussa les épaules. "Je ne suis pas très douée pour remarquer ce genre de choses." ajouta-t-elle, avec un rire gêné. "Sauf quand certains se montrent particulièrement tactile, ça ne me met absolument pas à l'aise. Il y en avait quelques uns, ce matin, avec leur air assuré. J'ai eu de la chance, le médecin que j'assistais avait l'oeil pour ce genre de choses et n'hésitait pas à les remettre à leur place. Il connait Papa, je suppose qu'il aurait très vite fait remonter ce genre d'informations." Etre fille d'un gradé, ça avait ses bons et ses mauvais côtés. Ils arrivèrent à la plage. Lucy fut presque déçue de voir qu'il y avait autant de monde qui avait eu la même idée qu'eux. C'était un dimanche, et le temps était radieux, deux raisons largement suffisantes pour qu'une grande partie de la population de Darwin et les soldats hébergés profite de la beauté du paysage océanique. Dan et Lucy marchèrent de longues minutes dans le sable, s'éloignant de la route qui donnait sur cette dernière. Il y avait déjà un peu moins de monde, mais il y en avait quand même. Ils se débrouillèrent pour s'installer là où ils en trouvaient le moins. Une fois assise, Lucy déballa les sandwichs et en donna un à son amant. "Tu disais que tu pensais connaître un endroit en dehors de tout. Ou nous pourrions être tranquille. Ce serait où, alors ?" Non pas que les discussions aux alentours la dérangeaient, mais, elle préférait lorsqu'il n'y avait que le bruit des vagues, le calme, qu'elle pouvait rêvasser sans avoir peur de se faire interrompre. Le sandwich fini, il restait un peu de farine sur la lèvre inférieure. Lucy rit, et essuya avec son pouce la poudre blanche. Elle était comme hypnotisée par ses lèvres. Elle y avait déjà prêté attention la veille, mais il ne faisait plus très clair. Là, elle pouvait les contempler et les toucher à loisir, du bout de ses doigts. La jeune femme n'avait pas fini son repas, elle l'oublia, même. De longues minutes passaient ainsi, jusqu'à ce qu'elle l'embrasse. D'abord tendrement, ses caresses gagnaient en intensité lorsqu'elle passa ses bras autour de son cou, vouant une véritable dépendance à sa bouche. Elle serrait le tissu de son uniforme entre ses doigts, désirant continuer à l'embrasser plus qu'autre chose. Elle se fichait des gens qui pouvaient les regarder, de ceux qui allaient que ce n'était pas un endroit pour s'embrasser, qu'il fallait trouver un lieu plus intime. Lorsque le baiser prit fin, Lucy garda son visage près du sien, inspirant l'air que Dan expirait. Elle lui caressait tendrement la joue, tout en le regardant de près, amoureusement. Elle ne pouvait s'empêcher de penser au lendemain, voyant déjà le navire prendre le large. Au fond, elle savait déjà que cet après-midi là allait passer bien trop vite.
En matière d'émotions, mon plus grand malheur est certainement d'être un livre ouvert en permanence, et de ne rien pouvoir y faire. Je peux difficilement mentir sur ce que je pense ou ressent. Du coup, je ne m'y risque pas, je ne cherche pas à prendre les gens pour des idiots en prétendant l'inverse de ce qui se lit sur on visage. Alors, quand Lucy me fait remarquer que je n'ai pas l'air dans mon assiette et me demande si je suis tracassé, je ne le nie pas, mais je reste vague au possible, répondant simplement ; « Ca va, ne t'en fais pas. » Je ne veux pas l'inquiéter, je ne veux pas qu'elle soit triste, et plus que tout, je ne veux pas l'entendre me dire qu'elle préfère que je passe l'après-midi avec les soldats, avec Tom, plutôt qu'avec elle. De ce que je connais d'elle à présent, cela serait bien son genre. Et il est hors de question que j'aille où que ce soit où elle ne sera pas pendant les prochaines heures, et ce, jusqu'au matin. Elle m'en veut peut-être de manquer d'honnêteté et de ne pas lui dire ce qu'il se passe, mais elle ne m'en tiendra sûrement pas rigueur de peur de gâcher ce moment. Je lui en parlerai plus tard, si je trouve le courage d'évoquer de nouveau tout ceci. Mais l'instant n'est pas opportun. Je préfère de loin plaisanter avec elle, me changer l'esprit, oublier encore un peu le départ du lendemain. J'aurais vraiment aimé la voir dans sa tenue d'infirmière, que ce soit elle qui seconde le médecin s'étant occupé de mon cas. J'aurais été moins nerveux, je pense. « Celle qui s'est occupé de moi n'avait pas l'air d'avoir marqué les esprits. » dis-je en notant que, moi-même, je ne me souviens déjà plus des traits de son visage. C'était une petite brune très effacée, et sans réel charme. Rien de marquant en soi. Juste une silhouette en blouse blanche et en coiffe. Je ne doute pas que le même accoutrement n'ait pas le même résultat sur Lucy, qui dégage déjà naturellement quelque chose de charmant. Toutes les femmes n'ont pas cette chance. Nous retrouvons la plage où nous étions hier. Mais la veille, celle-ci était bien plus vide, tandis que les rues étaient pleines. Dimanche oblige, les familles, les bandes d'amis et les soldats sont de sortie pour profiter du beau temps. Cela ne me dérange pas plus que ça, mais nous prenons quad même le soin de nous trouver un coin de sable relativement à l'écart. Assis là, j'attrape le sandwich que Lucy me tend et en prends une bouchée. La matinée aura été tout de même riche en émotions, de quoi donner faim. « Tu verras quand nous y serons. » je réponds à la jeune femme avec un sourire lorsqu'elle me demande où je compte l'emmener ensuite, pour nous isoler. Néanmoins, cette idée comporte un détail qui a son importance, et qui pourrait bien tout faire tomber à l'eau -alors que je n'ai vraiment pas de plan de secours, vu que je ne connais rien de Darwin. Je me résigne à en dire plus, tout de même. « Mais je dois quand même te poser une question. Et tu seras priée de faire comme si elle ne t'avait pas suffi à deviner où j'aimerais t'emmener. » Je prends un air faussement sévère, sourcils froncés. De toute manière, si elle ne joue pas le jeu, cela ne sera pas aussi amusant. Histoire de la faire patienter, je reprends une bouchée de mon déjeuner. « Tu as le mal de mer ? » je demande finalement. Voilà, la surprise est sûrement complètement grillée, mais ce n'est pas grave. Du peu que je connais de la ville désormais, mon esprit était rapidement retourné au port où, dans la marina, bien avant le ponton menant au grand navire nous ayant tous amenés ici, sont alignés de nombreux bateaux plus petits, à moteur ou à voile. Nous n'aurons sûrement pas d'endroit plus isolé de la terre que la mer. Mon déjeuner terminé, je remarque que Lucy n'a plus touché à son sandwich depuis un moment. Et après m'avoir légèrement essuyé le coin des lèvres, elle les capture et m'embrasse. Je glisse mes doigts le long de sa mâchoire jusqu'à déposer ma main sur sa nuque, et approcher un peu plus son visage du mien si cela est possible. A peine le baiser a-t-il prit fin, dès que je croise son regard bleu, que je l'embrasse à mon tour, m'amusant à la faire basculer sur le côté pour qu'elle finisse allongée sur le sable. « Je t'entends penser, Lucy Finnigan. » je murmure au bord de ses lèvres, tapotant le bout de son nez avec le mien. La jeune femme est au moins aussi facile à lire que moi. Et il est évident que mon départ accapare une bonne partie de son esprit. C'est un éclat un peu triste que je n'aime pas deviner dans son regard. « Je ne suis pas encore parti. » Tendrement, je caresse ses lèvres avec les miennes, attrapant d'abord l'inférieure avec délicatesse, puis la supérieure, les frôlant légèrement avant de l'embrasser pleinement. Puis je dépose un baiser sur son front, et lui adresse un clin d'oeil. « Termines donc ce sandwich, que nous puissions trouver cet endroit pour nous. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Dan ne voulait vraiment pas cracher le morceau, et pourtant, il était contraint de poser une question à sa belle infirmière. Il lui demanda même de prétendre que la question n'allait pas être une évidence à ce dont il avait prévu. Perplexe et amusée, Lucy haussa les sourcils en riant, acquiesçant d'un signe de tête. Elle prit alors sa question en toute légèreté, faisant qu'elle ne savait absolument pas où il voulait en venir. Elle haussa avec exagération les épaules avant de lui répondre. "La dernière fois que je suis montée sur un bateau, j'avais neuf ans." commença-t-elle, l'air un peu embarrassée. "Mon père voulait m'emmener avec lui à la pêche, je me suis dit que j'adorerais. Puis avec le silence de l'océan, l'horizon inatteignable. Mais les vagues ont eu raison de moi, et ça m'avait vraiment retourné l'estomac." Un très mauvais souvenir pour la jeune femme. Elle avait mis des heures et des heures pour se remettre. Lucy savait que ça ruinait totalement l'idée de base de son amant, et il ne serait très certainement pas tenté de faire un nouvel essai, sachant qu'il y avait une chance sur deux qu'elle passe le reste de sa journée avec des aigreurs d'estomac. Le petit jeu prenait malheureusement fin à ce moment là. "Je suis désolée, Dan." dit-elle, culpabilisant d'avoir tout ruiné. "Tu peux me mettre n'importe quelle plaie ou blessure devant le nez, je ne dirai rien. Mais tout est foutu pour moi si tu me fais voguers sur les mers." dit-elle afin d'alléger un peu l'ambiance, en riant. Elle réfléchissait déjà à une autre solution, trouver une alternative qui pourrait leur convenir à tous les deux, afin de ne pas être perturbé à tout va. Après quoi, Dan la bascula afin qu'elle s'allonge sur le sable, tout en s'embrassant. Chacun parvenait à décrypter l'autre sans trop de soucis. Autant Lucy avait deviné qu'il y avait quelque chose qui le travaillait, mais qu'il ne tenait pas à partager, autant lui avait vite compris que le lendemain matin était ce qu'elle redoutait le plus. Non, il n'est pas encore parti. "Pardonne-moi, c'est plus fort que moi." dit-elle, en fuyant son regard. "Je n'arrive pas à arrêter de penser que ce n'est plus que l'histoire de quelques heures. J'aimerais tellement savoir profiter de ta présence sans me soucier du lendemain." C'était ce qu'elle faisait, d'habitude, mais lorsqu'il s'agissait du soldat, tout prenait une autre dimension, avec laquelle Lucy n'arrivait pas toujours à s'harmoniser avec. Et s'il ne revenait pas. Cette phrase faisait de plus en plus son apparition alors qu'elle espérait de tout coeur qu'il revienne au plus vite. Il l'embrassa tendrement, certainement dans le but de la rassurer ou de l'apaiser un peu, chérissant individuellement chacune de ses lèvres. Ils se redressèrent, et Lucy finissait de manger son sandwich, même si l'appétit n'y était plus vraiment. Ils restaient assis à regarder la mer pendant quelques minutes. Ils avaient le temps, après tout. Le plus important était qu'ils soient ensemble. "Tu disais que l'infirmière qui s'était occupé de vous n'avez pas marqué les esprits." commença-t-elle, rieuse. "Comment peux-tu savoir si cela a été le cas pour moi ?" Lucy était assez curieuse de commencer cela se passait entre les bataillons, les régiments. Elle avait eu vent de cette rivalité relativement enfantine, à savoir qui étaient les meilleurs ou non, il y avait toujours des rumeurs qui circulaient. Elle en entendait beaucoup de la part de ses patients, mais n'y faisait jamais vraiment attention. Le début d'après-midi fit attirer encore plus de monde sur les rivages, Dan et Lucy ne s'y attardèrent pas plus longtemps que ça. Lucy jeta les détritus dans une poubelle puis ils reprirent la route ensemble, à pieds. "Si vraiment nous ne savons pas où aller, nous pouvons toujours retourner chez moi. Papa est au travail au moins jusqu'à l'heure de dîner, et Maman se trouve toujours quelques chose à faire, elle n'aime pas du tout s'ennuyer. Et elle n'aime pas déranger non plus." avoua-t-elle. "Mais avant, je dois juste récupérer une commande chez un fleuriste qui est juste au bout de cette rue." Tenu par un vieux couple, ils faisaient partie des rares qui ouvraient le dimanche. Ils disaient qu'il ne devrait pas y avoir de jours où nous ne pourrions pas acheter des fleurs, et Lucy adorait cette façon de penser. Elle leur avait demandé, comme chaque année, de faire un immense arrangement floral - Mary adorait les fleurs. Cette année-ci, c'était un camaieu de bleu. Lucy tenait le gros bouquet jusqu'à chez elle. "Elle a toujours fait beaucoup de choses pour moi, alors je lui offre des fleurs pour chaque fête. Ca la rend particulièrement émotive, tu verras." dit-elle avec un sourire affectueux. Et l'effet était celui attendu, Mary en avait les larmes aux yeux, lui disant, encore une fois, que ce n'était pas nécessaire. "Mais vous ne vouliez pas profiter de l'après-midi ?" "Il y a énormément de monde à la plage, et puis le ciel avait commencé à se couvrir un peu une fois que nous étions en route pour le fleuriste." "J'aurais adoré parler un peu plus avec vous, Dan, mais je dois vraiment me rendre chez ma soeur, je ne l'ai pas encore vue depuis la nouvelle année. Mais nous aurons tout le loisir durant le dîner, n'est-ce pas ?" s'enthousiasma la mère de Lucy tout en mettant un gilet sur les épaules. La petite blonde prit Dan par la main et le dirigea vers le jardin. Il était assez grand, comparé à celui de ses voisins. Beaucoup de verdures, et d'arbres, ils étaient bien isolés des regards indiscrets sans pour autant perdre beaucoup de lumière. Dans un coin, le potager, et, près de la maison, une table de jardin avec des chaises, où Lucy proposa à Dan de s'installer, et de profiter des derniers instants de luminosité avant que les nuages ne viennent tout recouvrir.
Eh bien, heureusement que j'ai posé la question. Sans quoi, je me serais retrouvé bien idiot, une fois sur le port, à vouloir faire monter dans un bateau une Lucy ayant le mal de mer. Je ne cache pas a déception, j'aurais tant voulu faire un tour en mer. Un vrai tour sur la baie, se laisser porter par les vagues, en toute tranquillité. Nous aurions vraiment été isolés du monde, c'aurait été parfait. J'esquisse un petit sourire, un peu triste, et hausse les épaules. « C'est dommage… Je n'avais pas de plan B. » J'aurais bien proposé que nous nous éloignons de la ville, histoire d'aller du côté de la forêt, aller enfin sur ces falaises qui surplombent la mer. J'ai entendu dire qu'il a une belle cascade, à quelques kilomètres de là, en longeant le cours d'eau entre les arbres tropicaux. Pour limiter la marche, il aurait été nécessaire d'emprunter un véhicule à la base. Mais je n'ai pas envie d'y retourner, et rien n'assure qu'ils nous auraient laissé faire. « Nous trouverons autre chose, tant pis. » Après tout, le lieu n'est pas important. Nous n'avons pas vraiment de temps à perdre à ce sujet. Seulement quelques heures comme Lucy le rappelle. Mon coeur se serre en l'entendant le dire. Je ne sais pas comment lui extirper le lendemain de la tête, quelle cesse de trop en soucier afin de mieux profiter de l'instant présent. Notre après-midi vient seulement de commencer, il nous reste également la soirée à partager, ainsi que la nuit. Les heures peuvent être longues et riches si nous le décidons. « Penses que si je vais là-bas, c'est aussi pour toi. Penses que je vais t'envoyer autant de lettres que possible, comme ça je serais toujours là. » Par la pensée, ou à travers l'écriture. Je ne pourrais pas la prendre dans mes bras, l'embrasser, mais je pourrai lui parler et l'aimer de là-bas. Faire en sorte que ma présence traverse l'océan pour être toujours un peu auprès d'elle en attendant d'être de nouveau présent en chair et en os. « Et puis, je t'ai dit que je reviendrais. » A elle, et à son père qui est bien la dernière personne au monde qu'on puisse souhaiter contrarier. Elle sait que je vais faire attention, que je vais mettre tout en œuvre pour prendre le bateau de retour quand la guerre sera terminée, même s'il doit s'agir de plusieurs années. Après tout, je suis sur le terrain depuis bientôt sept ans. J'ai vu l'Espagne, la Grèce, et maintenant la Malaisie. Je peux bien tenir plus longtemps. Surtout si j'ai une bonne raison de le faire. « J'ai besoin que tu aies confiance là-dedans, que tu croies que je vais revenir. » je murmure, le regard posé sur ses lèvres roses. Ma propre foi ne suffira peut-être pas à me protéger. Mais je sais que si elle prie pour moi, si elle pense à moi, si elle reste convaincue que je lui serais rendu, alors on me permettra de tenir bon jusqu'à ce que je puisse remettre un pied en Australie pour la revoir. Je parviens à lui faire manger le reste de son déjeuner, même sans grande envie, et malgré un léger vent venant soulever un peu de sable, faire grossier les vagues. La jeune femme me demande si elle a été remarquée par les soldats. J'hausse les épaules ; je n'ai pas eu le temps de leur parler assez pour le savoir. « Je n'en sais rien. Mais d'habitude, dans ce cercle d'hommes, quand on croise une jolie femme, c'est la première chose dont on parle. Là, personne ne l'a mentionnée. » Mais il faut dire qu'ils étaient plus préoccupés par le fait de savoir si oui ou non j'allais partir avec eux. « Toi, tu avais l'air de déjà beaucoup plaire, au bar. Et la blouse fait toujours son effet sur un soldat je pense. En plus, tu as vu comment Tom et Scott se sont souvenu de ton prénom. » Et ce n'est pas forcément quelque chose dont on se souvient, un prénom, surtout lorsqu'on sait que l'on est à terre que pour deux jours, et que l'on croise de nombreux visages en si peu de temps. Finalement, nous quittons la plage, et prenons la direction d'un fleuriste où Lucy doit récupérer une commande. Je la suis sans un mot, acquiesçant simplement lorsqu'elle propose que nous restions chez elle, où nous serons sûrement tranquilles. Le vent continue de souffler, apportant avec lui quelques nuages couleur perle approchant depuis la naissance de l'horizon. Dans la boutique, je profite que la jeune femme soit occupée avec la femme du couple de gérants pour discuter avec son mari, marchant d'un pas lent entre les bouquets et diverses fleurs. Il me tend une carte sur laquelle je griffonne quelques mots avant de la lui rendre, ainsi que quelques billets. Avant de partir, j'ai droit à une tape sur l'épaule pour me souhaiter mon courage, à laquelle je réponds avec un sourire un peu timide. La composition choisie par Lucy est ravissante, et sûrement sa mère l'adorera. L'effet est immédiat lorsqu'elle les aperçoit d'ailleurs. Le bouquet est rapidement mis en eau avant que Mary ne s'en aille quelques minutes à peine après notre arrivée. Toujours silencieux, j'approuve d'un signe de tête le fait que nous aurons tout le temps de discuter ce soir, et lui souris pour lui souhaiter un bon après-midi chez sa sœur. J'ai bien du mal à être à l'aise avec l'un ou l'autre des parents de Lucy, et à vrai dire, la perspective du dîner me rend particulièrement nerveux. Je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangé, et cela m'angoisse. Nous nous rendons dans le jardin pour profiter des rares derniers rayons du soleil, avant que les nuages n'aient terminé de le couvrir. Quelle dernière journée maussade, cela donnerait envie de se caler sous une couverture avec un thé, et ne pas bouger. Assis sur l'une des chaises, j'allonge mes jambes, la tête légèrement en arrière, les doigts croisés sur mon ventre. Je me demande combien de mois ou d'années de guerre il reste. Je me demande si je ne ferais pas mieux de rester. Dénoncer Tom, et laisser les autres partir sans nous. Cela sauverait peut-être deux vies. Et je ne perdrais pas mon meilleur ami, je resterai avec Lucy. Cela semblerait être la meilleure solution pour tout le monde. Est-ce égoïste de préférer envoyer un frère à la mort et quitter sa bien aimée pour une question de devoir ? Combien de vies est-ce que je sauve ici en ne retournant pas en prendre là-bas ? « J'ai du mal à croire que tu accepterais de quitter tout ça pour venir te perdre dans un ranch. » dis-je en préférant penser à l'après. Quand je serais revenu, quand j'aurais retrouvé Lucy. Je doute un peu que ma petite citadine vienne jouer les rats des champs chez moi, quittant famille, amis, tout ce qu'elle a toujours connu ici. Je ne me vois pas non plus abandonner mes proches, mes frères et sœurs, mes parents, leurs parents, ni les chevaux. L'élevage passe de main en main dans la famille depuis toujours. Mais il y aurait toujours John et Abe pour reprendre le flambeau si je décidais de prendre mon envol. « Je nous vois bien avoir un chez nous. Quelque chose que nous aurions bâti tous les deux. Juste assez éloigné de Darwin pour m'éviter la vie en ville, mais assez proche pour que tu puisses t'y rendre pour travailler. » dis-je, songeur. Moi, avec la base à côté, j'aurais toujours de quoi faire. Si je reste dans l'armée, il y aura sûrement un bureau pour moi quelque part. Et en restant proche des militaires, je pourrais continuer d'ouvrir mes portes le week-end pour ceux qui en ont besoin. Mon regard se pose sur le ciel qui se couvre un peu plus de minute en minute. Il ne serait pas étonnant qu'il se mette à tomber une de ces pluies diluvienne qui suivent les jours de forte chaleur. Et dieu sait que je déteste la pluie.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Lucy était triste de décevoir à ce point le soldat, qui semblait particulièrement enthousiaste à l'idée de l'emmener en mer. Et il était vrai, qu'au fond, il n'y avait pas d'endroits plus isolés. Il se forçait à sourire, cherchant certainement à ne pas trop faire culpabiliser la jeune femme, mais ça ne fonctionnait pas trop. Ils ne pouvaient pas trop s'éloigner de la ville, il ne leur restait plus beaucoup de temps, et il fallait au plus simple afin qu'ils passent plus de temps à profiter l'un de l'autre que de chercher l'endroit idéal pour avoir un peu d'intimité. L'infirmière lui sourit, en entendant ses propos. Il serait toujours un peu là. Par la pensée, par les prières, par les lettres qu'ils s'enverraient constamment. "Tu as raison. Je ne devrais pas être aussi pessimiste." lui dit-elle avant de l'embrasser tendrement. Dan lui assura une nouvelle fois qu'il reviendrait. Que de toute manière, ils parviendront à se retrouver. Elle lui caressa la joue, touchée. "Et moi je t'attendrai. Aussi longtemps que nécessaire." lui chuchota-t-elle. Lucy se sentait mieux, à force de faire ressortir les bonnes choses, celles qui rassuraient et qui apaisaient. Il lui demandait d'avoir confiance. En eux, en lui, en ses capacités. "J'y crois." dit-elle tout bas. "Je n'espère que ça. Que tu me reviennes." Lucy était catholique, elle ne l'était pas autant qu'Anne, mais il lui arrivait de prier, de se rendre à la messe dès qu'elle le pouvait. "Je prierai pour toi, je ne cesserai jamais de penser à toi." Il avait déjà survécu jusqu'ici, après tout. Sinon, il ne serait jamais venu à elle, ils ne se seraient jamais rencontrés. Lucy avait fini son sandwich, et ils parlaient de l'infirmière qui s'était occupé de lui, à quel point elle n'avait pas marqué les esprits. Elle sourit, amusée. "Je ne veux plaire qu'à toi." dit-elle en riant, les yeux pétillants. "C'est tout ce qui compte à mes yeux." Puis ils se levèrent et allaient chez le fleuriste dont avait parlé Lucy. Celle-ci ne fit absolument pas attention à ce que faisait son amant derrière elle, ayant juste rapidement constaté qu'il discutait avec le gérant de la boutique. Arrivés chez Lucy, ils s'installèrent au jardin afin de profiter des derniers rayons de soleil. Il avait du mal à concevoir qu'elle serait prête à tout plaquer pour changer radicalement de vie. Lucy haussa les épaules. "C'est un compromis comme un autre. Nous en faisons beaucoup, dans une vie." Elle lui sourit. "Ca serait certainement difficile au début, mais je serai avec toi." Et c'était un argument qui avait énormément de valeurs. Dan ne semblait pas entière convaincu. Lucy se doutait qu'elle aurait certainement, à un moment ou à un autre, le mal du pays. Elle qui n'avait jamais quitté Darwin de sa vie, le changement serait plus que brutal. Il reprit ensuite, disant qu'il les voyait bien construire leur propre vie, un peu en retrait de la ville natale de sa belle. Construire leur propre maison et leur propre vie. "Et ta famille, alors ? Tes chevaux, ton ranch ?" demanda-t-elle, inquiète, bien que l'idée d'avoir leur propre maison l'enchantait énormément. Mais Dan était très attaché à sa famille aussi. Les valeurs qui y sont attachés sont encore plus ancrés qu'en ville, la séparation devait certainement être très difficile. Quoiqu'il devait être plus habitué à se séparer de ses proches, avec la guerre. Lucy ne savait pas depuis combien de temps il s'était engagé. "Je dois avouer l'idée de construire notre chez nous m'enchante beaucoup." dit-elle à voix basse. Les yeux de Dan restait rivés sur le ciel, qui se couvrait de plus en plus. Vu l'expression de son visage, Dan était loin d'être enthousiaste pour le temps qui s'annonçait. Discrètement, Lucy se leva et se plaça derrière, et se pencha par dessus, mettant son visage par dessus. "Construisons cette vie une fois que tout sera fini, alors." lui dit-elle au bord de ses lèvres. "Nous nous marierons, nous fonderons une famille." Peut-être était-ce trop prématuré de penser ceci, peut-être pas. Lucy s'en fichait un peu. Doucement, elle glissa ses mains le long de son torse, tout en l'embrassant. "Je ne demande pas plus." Elle feinta un bauser avant d'aller se rasseoir sur sa chaise. "Tu es dans l'armée depuis quand ? Depuis le début de la guerre ?" La grande majorité des soldats s'était engagé à ce moment là. Les toutes premières gouttes de pluie commencèrent alors à tomber sur Darwin, et Lucy soupira, déçue de ne pas pouvoir plus profiter de l'extérieur qu'elle ne l'aurait voulu.
Même si Lucy semble assez sûre d'être capable de s'adapter à la vie que je mène près de Perth, je continue d'en douter. C'est une citadine, même d'une petite ville, et elle n'a toujours connu que cela. Être loin de la civilisation, se salir les mains tous les jours, préférer la nature aux Hommes, ce n'est pas son environnement. Il faudra qu'elle se fasse violence pour s'y habituer, et je crois, au fond de moi, qu'elle ne fera que se forcer et ne sera jamais vraiment heureuse dans ce genre de conditions. Ce n'est pas elle, pas sa vie. « Je ne sais pas si j'aurais à coeur de te demander un tel compromis. » dis-je avec un regard tendre. Je suis bien mieux placé pour trouver un moyen de m’accommoder à elle. Tant qu'on ne me force pas à vivre en ville, dans le bruit, dans l'agitation, je crois que je peux me faire à tout. Darwin est un bel endroit, les alentours m'ont l'air agréables. Avec la base militaire, cela en fait un endroit parfait pour s'installer et contenter tout le monde. Certes, il y a ma famille, mon ranch, la vie que je laisserai là-bas et qui est pourtant tout ce qui m'a fait tenir le coup pendant toutes ces années au front. C'est étrange de se sentir capable de tirer un trait sur tout cela, pour une jeune femme que je viens de rencontrer. Mais ce que j'imagine, ces quelques mois à bâtir notre propre maison, la fondation d'un autre élevage, notre vie à deux, me comblera aussi bien, et je le sais. « Ca sera dur de les quitter, mais ils n'ont plus vraiment besoin de moi, dans le fond. » dis-je en haussant les épaules, comme si cela ne m'atteignait pas, alors que quelque part j'ai terriblement peur qu'ils m'aient oublié, qu'ils ne e reconnaissent pas, ou qu'ils ne me connaissent plus. Que nous soyons des étrangers et des souvenirs lointains les uns pour les autres auxquels on s'accroche sans plus trop savoir pourquoi. « Il y a mes frères, ma sœur, pour continuer de tenir le ranch. Et je suis parti depuis tellement longtemps. Ils sont habitués à mon absence, maintenant, et à ne me voir que deux à trois fois par an. » Ma mère m'a vu grandir par à-coups, à chaque permission, redécouvrant son garçon à chaque fois. La distance et la rareté de ma présence ne m'a jamais vraiment rendu proche de John, d'Abe, d'Elise et de son fils. Nous nous aimons car nous sommes une famille, nous ferions tout les uns pour les autres sous couvert de ce principe, mais nous ne nous connaissons pas vraiment. J'ai toujours été un peu à côté de mon propre cercle familial, trouvant une autre fratrie parmi les soldats. « Rien ne m'empêchera d'aller les voir. » j'ajoute. Parce que les liens du sang sont ce qu'ils sont, je ne pourrais jamais vraiment tirer un trait sur eux. Ils seront toujours ce que j'ai de plus précieux. « Connaissant mes parents, ils pourraient même être heureux que je construise quelque chose de mon côté. » Après tout, les parents veulent le bonheur de leurs enfants. C'est le plus important pour eux ; ça, et assurer leur retraite. Ils auront les deux, et donc sans raisons pour m'empêcher de faire ma vie comme je l'entends. Ce projet de vie semble plaire à Lucy. Elle s'approche de moi et couvre ma vue sur le ciel morose avec son joli visage. Mon sourire me revient immédiatement. Quand la guerre sera terminée, nous pourrons bâtir cette maison. Nous marier, avoir des enfants. Cela sonne comme une évidence. C'est ainsi que cela doit se passer, et pas autrement. « Ca me semble parfait. » je murmure en l'embrassant. Puis elle file de retour sur sa chaise. J'arque un sourcil en entendant sa question. Je ne pensais pas qu'elle évoquerait la guerre de quelque manière que ce soit, même pour en savoir plus sur moi. Dans le fond, l'un et l'autre sont difficile dissociables, il faut faire avec. « Un peu avant. Je me suis engagé à dix-huit ans, j'ai passé un bon moment à l'école militaire et j'ai fait de la logistique jusqu'en 36. Là, je suis parti en Espagne pour aider pendant la guerre civile, puis je suis rentré pendant peut-être six mois avant de repartir quand cette guerre-là à éclaté. » j'explique avec cette neutralité militaire, comme si je lisais un rapport à voix haute. Puis je soupire. 36, et nous débutons l'année 1942. « Ca fait… six ans de terrain. » Oui, bientôt sept. Sept ans loin de ma famille, à ne les voir pas plus d'un mois par an. Les vétérans ont rarement passé autant de temps au front. Il y a eu la grande guerre, pendant quatre ans. Mais peu sont ceux qui ont signé pour plus de cinq années de combats. Excepté que je n'avais pas vraiment le choix. J'aurais su, peut-être n'aurais pas été volontaire pour aller en Espagne. « C'est long. » je murmure, songeur. Une goutte de pluie me fait redescendre sur terre. « On devrait rentrer. » Je quitte ma chaise et ouvre la porte menant à l'intérieur par la cuisine, laisse Lucy passer et rentre à mon tour. En une minute, le débit d'eau s'écrasant depuis le ciel ne cesse d'augmenter. Mains dans les poches, je me poste devant l'une des portes-fenêtres du salon et observe les gouttes tomber sur le mobilier de jardin. Comment je pas se sentir morse face à un temps pareil une veille de départ ? « J'ai horreur de la pluie... » dis-je tout bas. Cela n'a pas vraiment d'explication. Je n'aime ni la pluie froide, ni la pluie tiède, ni la fine, ni les grosses gouttes, encore moins la mousson. Je n'aime pas leur bruit, ni ce qu'elles font du paysage, et surtout pas la sensation d'avoir des habits trempés sur moi. Je soupire de nouveau. Je me trouve de bien mauvaise compagnie pour la pauvre Lucy. « Tu te souviens, tout à l'heure, tu as dis que je n'avais pas l'air d'aller bien. » Ce n'est sûrement pas une information qui fera de moi un joyeux drille, mais peut-être que je me sentirai un peu mieux en la partageant. En étant plus seul à tenir ce poids sur mes épaules. « J'ai vu Tom. Ca fait plusieurs mois qu'il me dit qu'il est fatigué de la guerre. » Beaucoup d'entre nous le sont, mais tous ont une bonne motivation pour tenir et continuer, et se disant que cela ne peut plus durer bien longtemps. « Mais c'est quelqu'un qui n'a personne. Pas de parents, pas de frère ou de sœur, pas de famille éloignée. Il n'a que nous. Et nous… nous faisons la guerre. » Il ne peut pas quitter la brigade, il le sait. Il est coincé avec nous, parfois incapable de tirer sur la gâchette. Il pourrait rester au pays s'il se faisait blesser par exemple. Mais seul ici, que ferait-il de sa vie ? Il attendrait ceux d'entre nous qui reviendrons, et il se haïra de ne pas avoir été là pour les autres, il aura honte de nous avoir laissés. Il n'a pas vraiment d'issue, à ses yeux. « Il a voulu se pendre. Scott l'a décroché. Mais j'ai vu les marques sur son cou. » Mon regard décroche enfin du dehors et se pose sur Lucy alors que je m'approche pour m'asseoir sur le canapé. « Si je le dénonce, il me dénoncera aussi. » Acte désespéré, et le seul moyen pour lui de ne plus être seul au monde s'il devait rester au pays. « Il se tuera sûrement sur le terrain. Personne ne pourra l'en empêcher. » Cela m'affecte profondément, et pourtant, j'en parle avec le détachement de quelqu'un qui a déjà fait son deuil. S'il veut mourir, il mourra. Je ne peux rien faire pour mon ami et frère que de respecter cela. Toutes mes larmes et mes protestations n'y changeront rien.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Dan n'avait pas le coeur à forcer Lucy de s'arracher aussi brutalement à sa ville natale, à sa familles, à ses amis. Il se doutait quelque part qu'elle ne s'en remettrait jamais, qu'elle finirait pas avoir le mal du pays à s'en rendre malade et ne plus jamais sourire. Mais lui semblait être plus prêt à rester éloigné de sa famille, il aurait maintes occasion pour les revoir. Lucy se faisait du soucis pour lui, lorsqu'il disait que le ranch n'avait plus besoin de lui. S'installer définitivement ailleurs faisait couper le cordon, un petit peu. Elle s'en voulait un peu, du fait de ce détachement, même s'il argumentait que la ferme continuait très bien de tourner sans lui. La belle blonde resta silencieuse à ses propos, mais il y avait un léger brin de tristesse dans son regard, à voir que tout n'était que compromis. Que, dans un cas comme dans l'autre, il y en aurait un des deux qui ne sera plus jamais près de sa famille. Lucy avait essayé de voir le bon côté des choses, tout ce qu'ils pourront bâtir ensemble de leur côté, et le soldat retrouva aussitôt le sourire. L'idée lui semblait parfaite, il acceptait qu'ils fondent une famille, que leur maison en devenir soit animée par quelques petites têtes jouant dans tous les sens. Et ils s'embrassaient, concluant ce pacte. Elle voulait aussi en savoir plus sur lui, et, aussi surprenant cela pouvait-il être, elle ramenait le sujet de conversation à la guerre. Il s'était engagé depuis des années, comme son père, et il avait vu du pays, étant même allé jusqu'en Europe. Six ans qu'il allait de front en front, six qu'il tenait le coup. "Tout ce parcours pour venir jusqu'ici..." dit-elle avec un sourire tendre. La pluie commençait à pointer le bout de son nez, et abrégea leur conversation. Dan et Lucy rentrèrent dans la maison. La pluie était diluvienne, le ciel était gris, presque déprimant. Il disait ne pas aimer la pluie. Elle le regardait attentivement, lui caressant doucement le dos. "Alors ne la regarde pas." dit-elle tout bas. "Oublions-la, elle aussi." Elle lui souriait tendrement. Non, il ne fallait rien gâcher du temps qu'il leur restait. Ni la guerre, ni le mauvais temps. Dan se confia, revenant sur une conversation écourtée un peu plus tôt dans la journée. Elle acquiesça d'un signe de tête afin de lui affirmer qu'elle s'en souvenait bien. Il parlait de Tom, son meilleur ami. Celui-ci disait être épuisé de la guerre, au point d'avoir voulu mettre fin à ses jours. Acte qu'elle savait réprimé chez les militaires. Pourtant, il semblait qu'il allait partir avec tout le monde le lendemain. Lucy lui prit doucement la main, l'invitant à s'asseoir pour le canapé. Dan disait qu'il s'était fait à l'idée, que tous les soldats avaient cette relation très particulière avec la mort. "Cette guerre est impossible à vivre pour tout le monde." lui dit-elle après un long moment de silence. "Encore lorsque l'on sait que l'on a personne qui attend à la maison, ou au port." Lucy lui caressa tendrement les cheveux. "J'en connais plusieurs, des soldats, comme ça. Des hommes que j'ai soigné après qu'ils se soient tirés une balle quelque part. Tous me suppliaient de ne divulguer à personne la réelle histoire. Tout ce qu'ils voulaient, c'était soi retourner chez eux, d'autres, c'était d'espérer de vivre dans un monde meilleur si Dieu le permettait." Lucy était persuadé que tout dieu devrait accueillir tous les suicidés dans ses bras. "Je ne connais pas Tom plus que ça. Mais je connais ces regards, j'en ai vu beaucoup. Qu'ils n'en peuvent plus, que cette guerre les a détruit. Vous devez prendre la mort à la légère, vous devez vous y faire, sinon, on devient fou. On atteint notre point de rupture." Lucy n'oubliait aucun de ces regards. Ils étaient si difficiles à soutenir, et la jeune femme avait versé des larmes plusieurs fois après de lourdes journées de travail. Elle aussi, à certains moments, elle était à cran. Finir sa journée avec la tenue et les mains en sang. Son père venait souvent la chercher le soir, tard. Il savait que si personne ne l'arrêtait, elle ne s'arrêterait pas, surtout quand elle perdait ses moyens et que la seule chose qui lui faisait maintenir le cap, c'était de travailler, de sauver des vies d'autant qu'elle le pouvait. Alors Peter la prenait dans ses bras, la serrait fort jusqu'à que sa fille, si chère à ses yeux, finisse par lâcher prise, évacuer ce trop plein d'émotions par un lourd chagrin. C'était déchirant pour lui, mais nécessaire, il le savait mieux que personne. Lucy s'était perdue dans ses pensées, au milieu de toutes ces images. "Je prierai pour lui, aussi. En espérant que là où il ira, il sera un homme comblé. Mais je continuerai de croire que s'il survit à ce cauchemar, il trouvera quelqu'un qui saura l'aimer comme il se doit. Qu'il y trouvera son point d'attache." Elle haussa les épaules. "Sinon, ce serait pour une prochaine fois." Cette histoire de vies futures s’accommodaient à tout, finalement. C'était peut-être naïve, ou un excès d'optimisme que d'espérer quelque chose de meilleur après la mort. Mais ça marchait. [color=#006699]"Ne le laisse pas partir seul."t-elle tout bas.[color=#006699] "Il aura beau chercher à mettre fin à ses jours, je pense que tout homme craint la mort quelque part. Alors, si tu le peux, soit avec lui jusqu'à son dernier souffle, dis-lui que tout ira bien, promets-lui des choses, que tu t'en sortiras, et que là où il ira, il n'aura plus jamais mal. Que ce soit le corps, ou l'âme." C'était des mots qui rassurent, Lucy les connaissait par coeur. Ses yeux s'étaient humidifiés. "Tu le vois tout de suite quand quelqu'un part sereinement, et c'est aussi un soulagement pour soi." Plutôt ça que des visages crispés par la douleur ou l'horreur de la situation. Elle en avait accompagné beaucoup dans l'au-delà. Elle finit par sourire. "Il y en a beaucoup à qui j'ai promis que je trouverai quelqu'un de bien, que je saurai l'aimer et le combler de toute mon âme." Puis elle l'embrassa tendrement. "Où qu'ils soient, je peux leur dire que j'ai tenu ma promesse."
Je gâche sûrement un peu du précieux temps qui nous reste en étant aussi mélancolique et en abordant des sujets si tristes. La mort et la guerre fait déjà bien assez partie de notre quotidien, je ne devrais pas les incruster dans notre parenthèse à deux. Mais j'ai le coeur lourd, et je me sens bien incapable de traîner ce poids seul jusqu'au moment où je pourrai mettre des mots noir sur blanc à propos de ces événements afin de m'en décharger un peu. Sur le terrain, je n'aurai pas le temps ni l'occasion d'être réellement triste ou de pleurer mon ami. Il faudra garder la tête froide. Pourtant, mes yeux restent secs à cet instant. Au fond, j'ai l'impression que Tom est déjà mort. Depuis longtemps. Il est une coquille vide faisant acte de présence depuis des semaines. Il fait mine de rire, de s'amuser, d'être toujours le même, et cela est peut-être une parfaite illusion pour les autres. Moi, je le connais trop bien pour ne pas voir ce qui le ronge. Il n'a même plus envie de finir la soirée du nouvel an en compagnie d'une demoiselle. Elles n'étaient que des réconforts éphémères pour quelqu'un sujet à un profond sentiment de solitude chronique. Je soupire. J'ai l'impression que, guerre ou non, son histoire se serait terminée comme ça. Mais côtoyer la mort de si près tous les jours l'a complètement miné, achevé. « Je ne prends pas la mort à la légère… J'essaye juste de ne pas me laisser dévorer par ça. » dis-je tout bas pour corriger Lucy. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres, je suppose que la majorité ne veut plus considérer les amonts de cadavres comme des restes de personnes comme eux. Mais ce n'est pas le cas ni de moi, ni de ceux qui m'entourent. Nous sommes tout aussi nombreux à laisser toute sa valeur à chaque vie, nous répétant que le job est le job, et si ce n'est pas eux alors ce sera nous. « Je ne voudrais pas que mes ennemis ou mes propres compatriotes prennent ma mort à la légère, alors je ne le fais pas pour eux. » j'ajoute. C'est dans la même lignée idéaliste que bon nombre de mes pensées, mais elles ont l'avantage de rendre le tout plus supportable. Je me dis que nus entre-tuer n'empêche pas de nous respecter ; les décisions viennent de plus haut, nous n'y pouvons rien. J'adresse un petit sourire à Lucy pour la remercier de penser à Tom dans ses prières. Il en aura bien besoin. Dieu sait que les suicidés ne traversent pas les portes de son royaume et terminent prisonniers de leur plus grand péché à jamais, le jouant en boucle pour toujours. Il peut mourir sur le terrain, si son intention est de mourir, il sera tout de même jugé suicidé. C'est sûrement ce qui me rend le plus triste. Je pourrais prendre sa main, lui promettre bien des choses pour apaiser son esprit, cela ne sera que des mensonges au final. « Tu crois que je le reverrai, lui aussi ? » je demande avec un peu d'espoir. C'est la seule hypothèse qui permet de briser la chaîne et de me donner un peu de réconfort. L'idée qu'il ne restera pas longtemps flagellé par ses actes dans l'au-delà, mais qu'il redescendra là, sur terre, quand son heure viendra, pour lui donner une nouvelle chance. Je pose délicatement une main sur sa joue de Lucy alors qu'elle appose ses lèvres aux miennes avec tendresse. « Je t'aime. » je murmure. Je pose mon front contre le sien, les yeux fermés, et glisse ses mèches blondes derrière ses oreilles pour dégager son joli visage. « Tu sais si bien soigner les esprits aussi. » De sa voix douce, de son regard bienveillant, elle semble avoir le pouvoir d'apaiser à peu près tous les maux par la parole ou par sa simple présence. Un petit ange descendu du ciel pour veiller sur nous pendant que nous vivons des temps difficiles. Je me sens particulièrement chanceux qu'elle soit ici. “ Je suis désolé, je ne suis pas de très bonne compagnie aujourd'hui… “ dis-je avec un sourire navré. Je cherche quoi dire pour alléger l'ambiance, mais j'avoue que la seule chose dont j'ai envie est d'être simplement tout contre Lucy, blotti dans ses ailes pour me ressourcer et me donner du courage.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Chacun survivait cette guerre comme il le pouvait. Certains étaient fatalistes, se disant que c'en était fini pour eux de toute façon. D'autres s'y accrochaient un peu plus, à espérer que ça allait bien finir un jour, et que des jours heureux et ensoleillés reviendront bientôt. Lucy était de ceux qui voulaient y croire, trouvant toujours quelque part une lueur et s'y percher jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun nuage. Et depuis que Dan était apparu dans sa vie, les nuages s'étaient dissipés. Même s'il avait besoin de parler de choses profondément tristes, il fallait bien qu'il les partage avec quelqu'un qui ne se trouvait pas sur le front. Il se faisait du souci pour son ami Tom, qui avait déjà tenté de mettre fin à ses jours. Cela ne la choquait pas plus que ça, elle se sentait surtout très triste qu'il y ait des personnes qui soient aussi désespérées que cela. Que la dernière issue pour sortir de cet enfer était d'aller de l'autre côté pour ne plus jamais revenir. Cela affectait profondément Dan, elle le voyait bien, dans ses yeux, ses attitudes. Sa dulcinée restait silencieuse à ce qu'il disait, attentive à chacune de ses paroles. "Je ne prends aucune mort à la légère." dit-elle tout bas. Quelque part, chaque décès l'avait changé un peu, elle avait appris à apaiser, à les faire partir en toute sérénité bien que la tâche était parfois difficile. Qu'ils n'aient pas ce visage crispé par l'horreur et la douleur alors que leur âme s'en allait dans un endroit bien plus paisible. "Et je ne veux pas penser à la tienne." dit-elle d'un air un peu triste, tout bas. Elle ne voudrait pas avoir son sang sur ses mains, sur sa tunique, la sensation de savoir qu'elle ne peut pas faire plus pour le sauver, n'avoir aucun autre choix de le laisser partir. Lucy s'efforçait de ne pas y penser, mais elle savait déjà au fond d'elle-même qu'elle ne s'en remettrait jamais, qu'il la laisse derrière lui sans avoir le choix. Elle commencerait à errer sans but, à faire semblant de vivre et continuer à exercer un métier qu'elle adorait et qui serait l'une des dernières choses à lui faire tenir le cap. Dan finit par lui demander s'il allait revoir son ami. L'infirmière lui sourit tendrement, en lui caressant avec affection la joue. "Tu le reverras." lui dit-elle doucement. "Dieu voit tout ce que vous subissez, jour après jour. Je pense qu'il a pitié de nous et qu'il comprendra que dans de telles circonstances, tout ce que nous désirons est d'être apaisé, et que vous le rejoindre n'est que la dernière issue de secours que nous avons. Quand nous n'avons plus aucune raison de vivre, plus de personnes à aimer. Il le voit, tout ça." Elle le regardait les yeux attendris, lui caressant les joues avec le pouce pendant quelques secondes silencieuses. "Alors oui, tu le reverras, que ce soit bientôt ou dans un futur plus éloigné." Lucy croyait dur comme fer en ce qu'elle disait, que Dieu voyait à quel point tout le monde souffrait et qu'il pardonnerait à tous, encore plus aux soldats risquant leur vie tous les jours. Dan prit son visage entre ses mains alors qu'ils s'embrassaient tendrement. "Tu n'as pas à t'excuser, mon amour." lui dit-elle, souriante, avant de l'embrasser une nouvelle fois. Il se blottit alors contre elle. Lucy l 'entoura doucement dans ses bras, logeant l'une de ses mains dans ses cheveux qu'elle caressait doucement. Pendant un temps, elle restait comme ça, juste silencieuse, chérissant l'être qui lui était le plus cher. Puis elle commença à rêvasser et durant ces moments là, il lui arrivait très souvent de chantonner bouche fermée. Elle ne savait pas combien de temps ils étaient restés, assis sur le canapé, alors que la pluie continuait à tomber de plus belle. Le ciel était gris et sombre, cela reposait un peu les yeux. L'avoir ainsi près d'elle l'apaisait, elle adorait s'occuper ainsi de lui, ne penser et ne se soucier que de lui. "Qu'est-ce que tu aimerais manger ce soir ? Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?" finit-elle par lui demander, se rendant compte que le temps passait bien trop vite qu'il fallait songer au dîner. Elle embrassa doucement sa tête, le sortant d'une certaine torpeur. [color=#006699]"Reste avec moi, ce soir." |/color]dit-elle en recroisant enfin son regard vert. "J'aimerais tellement marcher avec toi jusqu'à la base demain, être avec toi d'autant que l'on puisse nous le permettre." Elle n'était pas certaine que lui soit d'accord, et son père moins encore, pensant que la séparation serait bien trop difficile pour elle là-bas, mais elle essayait quand même. C'était inévitable de penser au lendemain.
« N’y pense pas alors. » je murmure avant de déposer un léger baiser sur la tempe de Lucy qui s’inquiète de ne pas me voir revenir, ou de rentrer au pays avec un pied dans l’autre monde. Je crois que si cela devait être le cas, j’aimerais qu’elle soit la personne auprès de moi. Même si je sais l’horreur que cela peut-être d’assister à la fin d’une personne que l’on aime, je ne voudrais pas être entouré d’inconnus et ne reconnaître aucun visage avant de partir. Néanmoins, je ne compte pas revenir dans un tel état. J’espère bien avoir mes deux bras et mes deux jambes lorsque je remettrai le pied à Darwin pour la retrouver. Rentrer sain et sauf est tout ce qui compte désormais afin que nous puissions tous les deux bâtir notre chez nous, notre havre de paix après les années de guerre. Nous l’aurons bien mérité après toute cette peine, toutes ces pertes. Lucy pense que je reverrai Tom. Que ce soit dans l’au-delà où nous pourrons nous rejoindre quand l’heure sera venue. Ou peut-être dans la vie suivante. « C’est tout ce que j’espère. » je réponds avec un fin sourire, un brin triste. Il doit bien y avoir plusieurs sortes d’âmes sœurs, des âmes qui ne se quittent pas à travers les siècles, qui se retrouvent toujours ; un amour éternel, mais aussi, pourquoi pas, des amis chers, des parents proches. Des personnes qui doivent faire partie de notre vie, croiser notre chemin pour nous faire avancer sur celui-ci, ou nous accompagner tout du long. Les paroles de Lucy sont réconfortantes, si douces à l’oreille. Je pourrais rester là, fermer les yeux et l’écouter parler pendant des heures, balayer mes doutes, mes peurs, me donner confiance. Sa présence est une caresse permanente de l’esprit, apaisante comme un cocon dans lequel se lover. Je reste tout contre elle un long moment, silencieux. Je finis même par poser ma tête sur ses jambes, somnolant, écoutant ses murmures mélodieux sur fond de pluie tombante. Pour rien au monde je ne voudrais que cet instant prenne fin. Et je ne saurais pas dire combien de temps cette plénitude a duré, jusqu’à ce que Lucy brise le silence, songeant avec raison au dîner. Gardant ma tête sur ses jambes, je me tourne de manière à être sur le dos et pouvoir la voir. « Ce que tu sais préparer de mieux, ce que tu préfères cuisiner. » dis-je finalement après avoir réfléchi une petite minute. Qu’elle se fasse plaisir, qu’elle me fasse goûter ce dont elle a envie. J’ai bien envie de savoir ce qu’elle aimer préparer, connaître sa spécialité toute personnelle. Je me redresse un peu pour déposer un baiser sur sa joue. « Je te l’ai dit, il n’est pas question que je me sépare de toi ce soir. » Je tapote le bout de son nez avec le mien, lui souriant tendrement. Ici, si ses parents ne le voient pas d’un mauvais œil, ou à la base s’il le faut. Mais je ne passerai pas cette dernière nuit seul. Il me trouble un peu plus de savoir que Lucy souhaite m’accompagner demain, ne voulant perdre pas une seule minute de disponible. J’y réfléchis quelques secondes. Je me doute qu’elle tienne à me dire au revoir. J’ai surtout peur que cela soit particulièrement difficile pour nous deux, et que la peine teinte de gris tous nos agréables souvenirs. « Tu pourras peut-être venir jusqu’au bateau, si ton père est d’accord. » je finis par dire. Passer à la base ne prendra que quelques minutes, le temps de faire mon sac, être compté et regroupé avec les autres gars pour ensuite aller ensemble au port rejoindre le navire. Nous pourrons nous dire au revoir avant que je ne monte à bord. Quelques secondes, le silence revient. Je garde mon regard plongé dans les yeux bleus de la jeune femme, caresse tendrement sa joue. J’approche mon visage du sien pour l’embrasser avec douceur, longuement. Mes doigts passent entre ses mèches blondes, glissent sur sa nuque pour prolonger cette caresse autant que possible. Elle me manquera tellement. « Je crois que je vais apprécier la pluie, finalement. » dis-je au bord de ses lèvres. « Je pourrai repenser à ce moment à chaque fois qu’il pleut. » Rien que nous deux, profitant de la présence l’un de l’autre, s’embrassant avec amour. « Et il pleuvra souvent. Nous allons repartir en pleine période de mousson. » Je pourrai penser à ce moment quasiment constamment alors, et il réchauffera mon cœur quand je serai trempé jusqu’aux os. « Tu crois que tu pourrais nous faire du café, s’il te plaît ? » je demande au bout d’un moment. Je sens que j’ai bien du mal à sortir de ma torpeur, et puis, une boisson chaude ne peut que faire du bien avec ce temps. Je laisse Lucy se rendre en cuisine pour s’occuper de cela. Pendant ce temps, je déambule dans le salon, observe les tranches des livres, les babioles, les cadres photo. Il y en a plusieurs de Lucy, la fille unique adorée. Elle est toujours si belle. Quand elle revient, j’ai jeté mon dévolu sur un des clichés. Je lui montre le cadre en question ; « Tes parents m’en voudraient si je subtilise cette photo ? » Après tout, peut-être qu’ils y tiennent plus qu’une autre que je pourrais emporter. « J’aimerais avoir un souvenir avec moi. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Tout était devenu si apaisant, si calme. Il n'y avait que pour bruit de fond la pluie, qui était loin d'être désagréable. Ca les berçait, et tout semblait si serein. Il n'y avait qu'eux deux, cette intimité qu'ils pouvaient pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient. Cela peut sembler stupide, que cela ne remonte qu'à quelques jours, mais Lucy avait l'impression que c'était depuis une éternité. Dan avait même fini par poser sa tête sur ses jambes, se laissant bercer par ses caresses et la mélodie qu'elle chantonnait en rêvassant. On en oubliait presque la guerre. Les minutes passaient, et elle avait fini par demander ce qu'il voudrait manger pour le dîner. Il restait un invité, après tout. Il lui laissait finalement le choix après une petite minute de réflexion. Du bout de ses doigts, Lucy lui caressait le visage, et riant doucement. "J'ai envie..." Elle réfléchit quelques secondes. "De pâtes. Je pourrai essayer de faire une sauce avec selon ce que nous avons en réserve, j'aviserai bien." Elle était assez débrouillarde en matière de cuisine, elle se laissait souvent aller selon le goût du jour. Mauvaise jardinière, mais une bonne cuisinière malgré tout. Lucy ne put s'empêcher de sourire lorsqu'il dit qu'il ne comptait définitivement pas passer cette dernière sans elle. Il s'était un peu redressé, approchant ensuite son visage afin de pouvoir lui caresser la joue, ne se détachant pas une seule seconde de son regard bleu, puis il l'embrasse longuement. Ses doigts se plaisaient à tenir et chérir son visage et son cou, afin de faire durer ce contact le plus longtemps possible. Lucy craignait que son père refuse qu'elle vienne avec lui. En effet, le chef de famille connaissait sa fille par coeur, et savait ce dont elle était capable. Et le voir empaquetter ses affaires et se mêler à la foule de militaire puis le perdre de vue n'était pas ce qu'il y avait de mieux pour elle. Lucy finirait par le supplier de rester, cette peur viendrait la ronger jusqu'à la moelle, cette horreur de savoir qu'il y avait la possibilité qu'il ne lui revienne jamais. C'était de trop, pour elle. "J'espère qu'il pleuvra lorsque tu rentreras alors." dit-elle, ses lèvres frôlant les siennes, le regard tendre. "J'aime beaucoup ces moments là, où il n'y a que nous deux. Et rien d'autre." Lucy espérait qu'il ne tombe pas malade, avec toute cette humidité à venir. Surtout qu'il s'agissait de véritables pluies diluviennes là-bas, ça ne pardonnait pas et tout le monde ne rêve que d'être au sec, ce qui était presque impossible. "Je vais en faire de suite." dit-elle doucement avant de se lever et d'aller préparer le café. Il n'y avait qu'une tasse de sortie, Lucy ne buvait pas le café, elle n'aimait vraiment pas, ça l'écoeurait. Mais pourtant, elle en appréciait l'odeur, cela lui rappelait à chaque celle du petit déjeuner. Elle buvait du thé ou un chocolat chaud, selon ses envies. Quelques minutes plus tard, elle revint dans le séjour et lui rendit la tasse. Il était vivement intéressé par l'un de ses portraits. "Je ne pense pas que ça va les déranger. Ils ont encore beaucoup trop de clichés de moi en réserve, quelque part. Ils veulent que j'en fasse assez régulièrement." Certainement pour les souvenirs, ce genre de choses, cela ne la gênait pas plus que de coutume de se faire photographier. "Prends là." lui dit-elle tendrement. "Mais... Je voulais aussi te donner autre chose." commença-t-elle, bien plus timidement. "Pour que tu ne m'oublies pas." Lucy passait ses doigts derrière son propre cou afin d'ouvrir le fermoir d'une chaînette sur lequel se trouvait un pendentif. Celui-ci était très simple et orné de belles pierres précieuses. C'était de forme ovale avec en son centre un topaze bleu ciel, entouré de toutes petites pierres de saphir blanc. Un bijou simple qui passe inaperçu en traversant les époques, mais d'une valeur inestimable aux yeux de la jeune femme. Celle-ci prit l'une des mains de son amant, et y déposa avec beaucoup de précaution le bijou, puis fit refermer ses doigts par dessus. "Il était à ma grand-mère, et même à sa mère avant elle, je crois. Maman me l'a donnée lorsqu'elle était partie. C'était une belle femme, aussi. Elle aimait aussi beaucoup rêver, et ma mère a trouvé plus juste de sauter une génération et léguer ce bijou à une personne tout aussi rêveuse que sa propre mère." expliqua-t-elle, le sourire pendu aux lèvres en se remémorant cela. "Je l'aimais beaucoup. Elle était très courageuse. Depuis que je l'ai, ce pendentif ne m'a jamais quittée une seule fois, alors..." Elle haussa les épaules, un peu embarrassée. "Ce sera un peu comme avoir une partie de moi en permanence avec toi."
Des pâtes. Je ne peux pas m’empêcher de rire. Je m’attendais à plus élaboré et original que ça, mais si c’est ce dont elle a envie… Eh bien, va pour les pâtes. « Ca me va. » dis-je avec un sourire amusé, haussant les épaules. Ce n’est pas vraiment le plat qui est important en réalité, qu’importe ce qu’il y a dans l’assiette. Et puis, je ne suis pas difficile –dans l’armée, on ne peut pas l’être. Je me satisfais de tout sans jamais me plaindre. Que ce soit de la nourriture, des conditions de vie, de la météo. Je me souviens que nous avons eu de la chance en arrivant en Malaisie au début du mois dernier ; du côté des montagnes, les régions sont relativement épargnées par la mousson. Néanmoins, quand nous serons de retour sur le terrain, demain, la pluie aura eu le temps de faire son bout de chemin jusqu’au campement, et nous finirons tous trempés la majeure partie du temps. Un rêve pour quelqu’un comme moi qui a toujours eu ce genre de temps en horreur, d’autant plus que les gouttes sont chaudes et violentes. Le temps sera long, là-bas, les journées interminables, à n’en pas douter. Contrairement à Lucy, j’espère rentrer sous un soleil éclatant, malgré les doux souvenirs de cette journée avec elle pendant ce temps maussade. Il faudra bien ça pour sécher mes os qui auront eu le temps de se gorger d’eau. J’aurai vu bien assez de pluie pour toute une vie. Tout près d’elle, lui souriant tendrement, je garde mon regard dans le sien, perdu avec plaisir dans ces iris bleus qui hanteront mes rêves. Il faudrait que le temps s’arrête à cet instant. J’en photographie chaque détail dans mon esprit. « Nous aurons plein de moments de ce genre quand je serai revenu. » dis-je tout bas avec un sourire complice. Quand la guerre sera terminée, nous aurons toute la vie pour nous, et tant de choses à bâtir, tant de rêves à concrétiser. Si nous survivons à cela, nous pourrons survivre à tout. En attendant, je souhaite garder un peu de sa présence avec moi. Je prends la tasse de café que Lucy me tend et demande si je peux emporter une photo. Visiblement, cela ne dérangera pas, ses parents en ont bien d’autres et lui en font faire souvent. « Ils ont bien raison. » dis-je avant de porter la boisson chaude à mes lèvres. Ils gardent un souvenir de leur trésor, de la manière dont elle grandit, et il est important d’avoir une trace de tout ceci. Avec l’autorisation de Lucy, je retourne le cadre et défait les petites agrafes qui maintiennent le cliché à l’intérieur pour le récupérer. C’est désolant, mais je suis bien obligé de le plier en deux pour le glisser dans une des poches de mon pantalon. De toute manière, cette photo vivra pire que ça. Pendant ce temps, la jeune femme ajoute un autre présent à me donner. Elle défait le collier qui orne son cou, une pièce qui a visiblement autant de valeur sentimentale que pécuniaire, et le dépose dans ma main. Le pendentif appartient aux femmes de la famille, aux plus rêveuses d’entre elles du moins. Je vois bien à quel point Lucy y tient. « Lucy… » Je cherche mes mots pendant quelques secondes, mais le mouvement négatif de ma tête laisse déjà deviner ma pensée. J’ai surtout peur de la vexer en refusant d’accepter ce cadeau. Mon regard est des plus désolés. « Je ne peux pas le prendre. Il pourrait se perdre, ou s’abîmer, ou m’être volé. » Il suffit qu’il glisse de mes poches sur le terrain, ou qu’un autre soldat le trouve à son goût et veuille l’échanger contre un peu de compagnie dans un tripot du coin entre deux combats, et ce bijou si précieux ne reviendrait jamais à sa propriétaire. « Je ne me pardonnerai vraiment pas qu’un objet d’une telle valeur disparaisse à cause de moi. » J’espère qu’elle le comprend. « Et je t’assure que je n’aurai pas besoin de ça pour que tu habites constamment mes pensées. » j’ajoute avec un petit sourire. Je n’ai pas besoin de plus que la photo que je subtilise déjà. Du moins, je n’ai pas besoin d’un objet aussi précieux. Je déroule donc la chaîne et la replace autour du cou de Lucy, clos le fermoir délicatement sur sa nuque et replace ses cheveux par-dessus. « Gardes-le, j’insiste. » je murmure avant de déposer un baiser sur son front. Puis je récupère mon café, en bois une gorgée et retourne observer les autres cadres photos éparpillés dans le salon. C’est un foyer qui semble heureux. Mais j’imagine qu’il n’a pas été tous les jours simple d’être fille unique. Le bruit de la porte de la maison me tire de mes pensées. Le père de Lucy revient trempé de la base. « Bonsoir. » Ma voix est toujours nerveuse et timide face à lui, et garde pourtant la fermeté d’un salut militaire conventionnel. Il dépose ses affaires dans l’entrée et embrasse sa fille. « Sers-moi aussi un café, s’il te plaît. » demande-t-il avant de se tourner vers moi. « Je suppose que vous avez déjà été cordialement invité à rester dîner. » J’acquiesce d’un signe de tête, gêné comme tout. « Prêt pour le départ de demain ? » Prêt, oui. Mais de moins en moins impatient au fur et à mesure que les événements qui m’attendent se dessinent avec plus de précision. « Oui, monsieur. Merci encore de me permettre d’y aller. J’ai une dette envers vous. » Une dette que j’espère pouvoir rembourser un jour, d’une manière ou d’une autre.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Lucy aimait cuisiner, certes, mais il y avait des jours où elle choisissait la simplicité. Et là, c'était le cas, car elle ne voulait pas forcément passer tout son temps dans la cuisine alors qu'elle pourrait profiter de son âme-soeur. Et puis, un plat de pâtes pourrait devenir une merveille avec un accompagnement adéquat, Lucy avait sa petite idée derrière la tête. Une sauce, avec quelques légumes, de la crèmes, des champignons, de quoi satisfaire les goûts de tout le monde. Il était si sûr de lui qu'il y aura plein de moments ainsi lorsqu'il reviendra. Lorsque la guerre sera finie, qu'ils pourront construire leur vie à deux par la suite. En ces temps sombres, cette idée pourtant si simple était idyllique. Lucy lui caressa, passant ses doigts sur son visage. "Il me tarde de vivre ces moments là." lui dit-elle tout bas, avec un léger sourire dessiné sur ses lèvres. Le soldat avait ensuite sorti la photo du cadre après avoir eu son autorisation, et du la plier afin de pouvoir la glisser dans sa poche. Il donnait raison à ses parents qui réclamaient sans cesse de nouveaux clichés de leur fille chérie. Et celle-ci tenait absolument à lui donner quelque chose d'autre. Quelque chose qui avait toujours fait partie d'elle, et qui lui était important et tout aussi important que de le confier à l'homme de sa vie. Elle avait bien du mal à dissimuler un tant soit peu sa déception et sa tristesse lorsqu'il replaça le collier à sa place initiale. Elle l'écouta, mais baissa les yeux et la tête sans dire mot. C'était un cadeau. On ne refusait pas un cadeau, jamais. Dan continuait de déverses divers arguments pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas besoin d'un tel objet pour penser à elle, et qu'il y avait une multitude de risques que ce soit perdu ou volé. Elle ne comprenait pas, et peut-être que lui ne comprenait la valeur qu'elle attachait à ce geste. Le soldat l'embrassa sur le front puis continuait de regarder les quelques clichés de sa belle. Celle-ci avait gardé ses mains jointes, sans dire mot. La porte d'entrée s'ouvrit soudainement, laissant apparaître le père de Lucy dans la pièce, trempé par la pluie. Elle regarda et lui sourit faiblement, acquiesçant d'un signe de tête lorsqu'il lui demanda de lui faire une tasse de café. La jeune femme se dirigea dans la cuisine et servir de cette boisson chaude. Café noir, comme d'habitude. Elle les entendait discuter, sans y prêter une réelle attention. Lucy retournait dans la même pièce que les deux hommes et tendit la tasse à son père. Elle finit par lui demander, timidement. "Est-ce que je peux accompagner Dan demain, jusqu'à ce qu'il monte sur le navire ?" "Non, Lucy." Sa réponse était ferme et sèche, comme tout bon officier militaire. Elle était prise de court, et resta longtemps silencieuse avant de pouvoir articuler quoi que ce soit. "Mais je ne le reverrai pas avant longtemps. Nous nous étions dit que nous resterions autant que possible ensemble." "Je t'ai dit non." "Mais, Papa..." "Dois-je encore me répéter, Lucy ?" Sa voix était devenue bien plus forte, et sévère, le ton incroyablement dur. Lucy regardait son père avec terreur, les yeux bordés de larmes, avant d'aller se réfugier dans sa chambre, laissant les deux hommes à nouveau seul à seul. Peter soupira, et se frotta brièvement les yeux. "J'ai horreur de crier sur elle." dit-il tout bas. Puis il regarda Dan. "Et ne croyez pas que je fais cela par bonté de coeur. Je sais juste que c'est loin d'être un au revoir des plus adaptés en vous accompagnant. Je la connais, au dernier moment, elle réalisera et elle aura peur de vous laisser partir. Et tout ce que vous verrez ne sera que la tristesse dans ses yeux et cette crainte de ne jamais vous voir regagner ce rivage." Il lui souriait tristement. "Je le connais bien, ce regard là. Le même que sa mère, d'ailleurs." Peter s'installa sur le canapé, même s'il n'allait pas y rester bien longtemps. "Aimez là d'autant que vous le voulez, en toute démesure, mais ne lui infligez cette vision de guerre. Elle en a déjà trop vu." Il n'aurait jamais voulu de ça pour elle, comme tout parent. Il s'en voulait parfois, quelque part, depuis que la guerre avait commencé, d'être militaire. Parce qu'elle en entendait parler au travail, elle le voyait là-bas, et lui en parlait aussi à la maison. "Laissez-la rêver, laissez-là dans son monde. Parce que je sais que c'est tout ce qui lui restera une fois que vous resterez." Lucy était assise au bord de son lit, profondément triste. Elle n'était pas du genre à défier l'autorité parentale. Elle aurait tellement voulu pouvoir l'accompagner jusqu'au bout. Il avait refusé son collier, son père refusait qu'il lui dise au revoir sur les quais. C'était dur pour elle, de se dire que dans moins de vint-quatre heures, elle allait devoir s'arracher de lui. Quelques minutes plus tard, Dan apparut au pied de la porte de sa chambre. Lucy rapidement ses larmes avec sa main et lui sourit, tentant de faire comme si de rien n'était.
Lucy semble vraiment attristée que je refuse son bijou. Et même si sa moue me fend le cœur, je le laisse quand même autour de son cou, sûr et certain qu’il sera bien mieux avec elle plutôt que là-bas avec moi. Même si l’intention est adorable, je pense qu’elle serait tout aussi peinée que le collier lui revienne abîmé. Ou ne lui revienne pas. Et je le serais également. Elle reste silencieuse et murée dans sa déception. L’arrivée de son père n’est pas pour arranger les choses. Lui demandant l’autorisation de m’accompagner jusqu’au navire demain, celui-ci refuse d’emblée, et tient sa position fermement. Un non définitif que la jeune femme ne saurait contester. J’avais déjà pu constater l’autorité du chef de famille sur sa fille. Elle baisse les yeux et prends sur elle les décisions de son père même si elles lui déplaisent. Néanmoins, face au ton terriblement froid de celui-ci, elle fuit à l’étage comme une enfant que l’on punit. Pour ma part, je reste muet tout du long de leur échange, et une fois que la jeune femme a quitté le salon, je n’ose pas plus prendre la parole. A la fois désemparé et soulagé, je ne sais pas trop où me mettre, et encore moins de quel côté me ranger. Mon avis tend plutôt vers celui du militaire. Et pour cause, j’avais le sentiment que ce n’était pas une bonne idée que Lucy vienne me dire au revoir. Que cela serait bien trop douloureux pour elle, autant que pour moi. Je me voyais déjà obligé de l’arracher à moi dans les cris et les larmes. Cela m’aurait mis un trop grand coup au moral juste avant de retourner au front. Je soupire, désolé par tout ceci, et je vois bien que le général l’est également. « Je… Je ne comptais pas la laisser venir, en réalité. » j’avoue en m’asseyant face à lui. Je termine ma tasse de café et la pose sur la table basse qui nous sépare. J’avais laissé au père de Lucy le soin de décider si oui ou non elle pouvait venir, et s’il avait accepté, je pense que c’est moi qui ne lui aurais pas permis de m’accompagner. « Je pensais partir de bon matin, sans qu’elle ne se doute de rien. » J’avais déjà prévu de m’esquiver du lit tout en douceur, sans faire un bruit, sans un geste brusque afin qu’elle reste endormie. A son réveil, j’aurai déjà été sur le bateau, loin d’ici. « Elle m’en aurait sûrement voulu, mais je trouvais que c’était la meilleure solution. » Et le soldat face à moi doit sûrement comprendre cette décision, même s’il n’approuve peut-être pas la manière de faire. Il aurait suffi d’un regard larmoyant de la part de la jeune femme pour me faire fondre comme neige au soleil et céder. Je préfère éviter ce genre de confrontation, je ne saurais pas être aussi autoritaire que son paternel. « Nous venons de nous rencontrer, mais j’ai déjà l’impression de la connaître très bien. Je savais qu’il serait trop difficile pour elle de dire au revoir. Elle se serait effondrée comme un château de cartes. » C’aurait été impossible à supporter. Je ne veux pas la voir pleurer et souffrir. Du moins, ce n’est pas le genre de souvenir que je veux d’elle. « Je préfère partir en ayant son joli visage endormi comme dernière image d’elle, plutôt que ses larmes. » Quand mon regard ose quitter mes mains jointes pour croiser celui du militaire, je vois qu’il comprend parfaitement cette volonté. Le silence demeure une minute, et Lucy ne revient toujours pas. Quelque chose me dit qu’elle ne compte pas redescendre de si tôt. « Est-ce que vous m’autorisez à la rejoindre ? » je demande à son père timidement. Il n’est peut-être pas nécessaire de demander son approbation, mais cela me semble plus convenable. Il acquiesce d’un signe de tête. J’emprunte donc l’escalier et traverse le couloir pour rejoindre Lucy dans sa chambre. Elle est assise au bord du lit, toute penaude, essayant de faire bonne figure. Je lui adresse un regard tendre, surplombant un sourire désolé. « Ne sois pas triste. » dis-je en m’approchant doucement. Je m’installe à côté d’elle et passe un bras autour de ses frêles épaules. Mes lèvres déposent un baiser sur sa tempe. « Il sait ce qu’il y a de mieux pour toi. » Je lui fais délicatement tourner le visage afin de croiser son regard. Ses beaux yeux sont légèrement rougis. Je caresse sa joue, restant silencieux quelques secondes. Puis je prends sa main. « Viens, ne te laisse pas miner comme ça. Tu sais ce qui est un bon remède contre les coups de blues ? Les pâtes. Allons faire ce dîner tous les deux, d’accord ? »