Les sensations se multiplient alors que la cadence continue d'augmenter en intensité, perdant l'esprit dans un flot d'émotions et de frissons devenu impossible à contenir. Tout devient si incontrôlable. Des soupirs et gémissements qui se multiplient aux baisers plus brûlants et aux caresses qui gagnent en fermeté. Profitant que le petit corps de Lucy me surplombe légèrement, je parcours sa silhouette sous toutes les coutures, continuant d'apprendre par coeur chaque grain de beauté qui ponctue son épiderme. J'embrasse son cou, ses épaules, et descends le long de sa poitrine pour déposer quelques baisers sur ses seins. Mes mains saisissent tantôt ses hanches, tantôt ses cuisses ou ses fesses, accompagnent ainsi chaque mouvement de va et viens, toutes ses ondulations sensuelles. Cette caresse perpétuelle d'un corps dans l'autre me fait perdre la tête au fur et à mesure, jusqu'à ce que je ne puisse plus contenir plus longtemps le plaisir si intense que Lucy me procure, et que je veuille le laisser m'envahir complètement. Elle n'est plus loin non plus de ce point de non-retour. Alors plus ses muscles se raidissent, plus je la serre fort dans mes bras. Plus elle gémit, plus mes râles lui répondent. Et lorsque son corps se perd tout entier noyé par cette vague de volupté, le mien craque et ma volonté se brise, faisant trembler mes os et libérant mon propre plaisir en elle. Pendant ces secondes parfaites, elle est mienne et je suis sien corps et âme. Ma respiration reprend enfin, laissant échapper un long gémissement satisfait. Je garde mon front posé sur son épaule, ses doigts entre les cheveux humidifiés par la sueur, puis relève le visage pour laisser Lucy capturer mes lèvres avec une passion incontenue. Mon dos atterrit sur le lit, la jeune femme au-dessus de moi, ne cessant de m'embrasser qu'une fois ses lèvres repues. Puis elle se câle contre moi, au creux de mon cou ; je caresse tendrement ses mèches blondes et son dos, le temps de nous remettre de nos émotions et que nos pensées retrouvent leur cours. “Je t'aime…“ je murmure avant de l'embrasser sur la joue tout en tendresse. Je relève son joli visage afin de capter son regard bleu, brillant encore de ces restes de sensations qui filent dans ses veines. “Je suis à toi pour toujours maintenant. Et tu es à moi pour toujours.” Nous ne sommes pas mariés, mais cela est tout comme. Nous nous sommes aimés inconditionnellement sous le regard de dieu, nous avons uni nos âmes comme le feraient un mari et une épouse ; il y a dans cet acte cet accord tacite, celui d'être l'un à l'autre à jamais. Je vois les paupières lourdes de Lucy sur ses jolis yeux, son regard s’éteint lentement par le sommeil qui s'installe doucement après tant d'émotions. Il faut se faire à l'idée que notre course contre le temps doit prendre fin et qu'il est l'heure de se reposer. Laisser nos esprits se ressourcer au contact l'un de l'autre pendant la nuit, qui sait s'ils dansent, s'embrassent et s'aiment aussi pendant que nous dormons. Doucement, je me redresse avec l'aide d'un bras, l'autre entourant Lucy pour la garder tout contre moi. Je la fais délicatement basculer en arrière, l'installe dans le lit et la couvre avec la couverture. Je me suis installé à côté d'elle, sur le flanc, la surplombant encore un instant pour déposer un baiser sur son front. “Dors, mon ange.” je murmure alors qu'elle semble déjà bien paisible, à la frontière du monde des rêves. Mes doigts frôlent son visage, mon regard détaille tous ses traits si doux et les arabesques de ses cheveux blonds sur l'oreiller. Il n'y a qu'une oeuvre d'art pour rassembler autant de perfection. “Tu es tellement belle…” dis-je d'une voix à peine audible. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter pareille beauté dans mon existence, pareil amour. Cessant de la contempler au bout de quelques minutes, je m'allonge à mon tour ; la jeune femme se glisse instinctivement contre moi et dépose sa tête sur mon torse. Les yeux fermés, je caresse inlassablement son épaule, cette caresse régulière suffisant à me bercer et m'accompagner vers un sommeil profond. Je rêve du jour de mon retour du front avec une telle précision que les images ressemblent à celles d'un souvenir d'un jour qui n'a pas encore eu lieu. Je n'ai jamais cru aux rêves prémonitoires, mais ce songe est d'une telle clarté... Et cela me conforte dans l'idée que je reviendrai auprès de ma Lucy un jour.
Je suis réveillé par la chaleur d'un des premiers rayons du soleil frôlant mon visage à travers la fenêtre. Le ciel est doré au dehors, flamboyant comme le canon d'un fusil. Ma belle dort encore, elle n'a pas bougé d'un pouce. Lentement, je dégage mon bras qui entourait ses épaules et fait glisser sa tête sur l'oreiller. Je me glisse hors des draps dans un bruissement de tissu furtif, quittant à regret le contact si doux de son corps nu contre le mien. Mon regard la quitte à peine, ne manquant pas une seconde de la vision de ce petit ange endormi dans un bain doré. Toujours sans un bruit, j'enfile mon pantalon et ma chemise. J'abandonne sur sa table de chevet un morceau de papier griffonné et l'embrasse légèrement sur la tempe. Puis je quitte la chambre, ferme derrière moi une porte légèrement grinçante. Les marches de l'escalier sont de mon côté et m'épargnent une symphonie de claquements. Bien sûr, le père de Lucy est en bas. Je reste muet et lui adresse un regard désolé. Je ne veux pas faire de la peine à sa fille, mais ceci est bien le seul moyen de lui en faire le moins possible. Et puis, nous n'avons pas à dire au revoir, car nous nous reverrons. Mon coeur se serre en attendant l'accord muet du militaire pour que je puisse quitter sa maison comme un voleur, emportant avec moi l'amour de son trésor. Il se dégage finalement du passage et me laisse atteindre la porte. Je le remercie d'un signe de tête et file sans plus tarder. Il ne me faut qu'une dizaine de minutes pour atteindre la base. Les couloirs sont emprunts d'un silence de mort alors que chacun fait son sac dans sa chambre. Si les corps sont reposés après ces quelques jours hors du front, les esprits le sont bien moins et se sentent déjà éreintés, mais non sans une certaine motivation pour la plupart. Personne ne part de gaieté de coeur, mais nous partons faire ce que nous avons à faire, et cela nous va. Ayant à peine défait mon sac, je n'ai qu'à le jeter sur mon épaule avant de rejoindre mon supérieur. Nous effectuons le compte des hommes de la brigade ensemble. Tom est bien dans le lot. Nous nous adressons l'un l'autre une tape à la fois triste et encourageante dans le dos. Il ne faut pas se laisser abbatre. Adviendra que pourra. Toute la troupe se met en marche quelques minutes plus tard. Nous traversons Darwin endormi ; néanmoins, quelques personnes se sont réveillées pour dire au revoir le long des rues et sur le port. La seule beauté de cette guerre est qu'elle aura apporté Lucy dans ma vie, me dis-je en voyant l'imposant navire à quai. “Lucy, Pardon de voler nos adieux, mais je ne supporterai pas de voir tes larmes avant de partir. Prie pour moi et garde espoir, car j'ai promis que je reviendrai pour que nous vivions nos rêves. Je t'aime plus que tout. Dan”
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Le coeur momentanément plus léger, elle laissait Dan parcourir sa peau avec ses lèvres, la regarder inlassablement avec délice et dévotion. Ses yeux sur son corps entièrement dénudé ne la gênait pas, parce que c'était lui. L'amour de sa vie, son âme-soeur, sa moitié. La personne dont elle ne pouvait plus se passer dès que leurs yeux s'étaient croisés fortuitement la première fois. Le beau soldat ne tarda pas à la rejoindre dans cette phase de volupté et de plaisir. Il appuyait sa tête contre le haut de son torse, se remettant doucement de ses émotions, et tentant de retrouver une fréquence respiratoire décente. Elle caressait tendrement son cuir chevelu pendant qu'elle-même sentait son coeur se calmer. Et sans plus attendre, Lucy commençait à l'embrasser avec cette passion débordante, les faisant basculer tous les deux sur le lit. Le baiser terminé, elle s'appuyait contre lui. La jeune femme se laissait très facilement bercé par les doigts de Dan qui se glissaient délicatement entre ses mèches blondes humides. Elle aurait très bien pu s'endormir là, mais il lui releva la tête. Lucy lui sourit tendrement, les yeux encore bien brillants. Leur union venait de se conclure, en quelque sorte. La première fois restait significative, mais elle ne pouvait pas pleinement s'en délecter à cause de cette douleur persistante. Mais cette fois-ci, tout avait été différent. "Je suis à toi, et tu es à moi. Pour toujours." répéta-t-elle à voix basse. L'un comme l'autre savait qu'ils étaient désormais unis jusqu'à la mort, et même au-delà. Il n'y avait pas d'alliance, ni de cérémonie, mais leur âme était scellée à l'autre depuis cet instant, et à jamais. Lucy avait été tellement heureuse d'entendre ces mots, prononcés par son amant. Elle se sentait bien, complète, entière. Elle l'embrassa alors tendrement, comme pour graver ces paroles et ces actes dans leur chair et dans leur âme. Mais la jeune femme commençait à beaucoup fatiguer, presque à contre coeur. Alors qu'elle somnolait déjà, Dan la bascula très délicatement afin de pouvoir l'allonger sur le lit et la recouvrir de la couverture. Et elle s'endormit. Elle entendait encore sa voix au lointain, indistinctement. Mais rien que l'entendre et le savoir encore près d'elle était suffisant pour rendre son sommeil profond, et paisible. Dès qu'elle le sentit allongé, elle se blottit tout contre lui, se laissant enrober par sa chaleur et sa douceur. Tout était si parfait.
Ce fut un rayon de soleil traversant son visage qui la réveilla. Lucy plissa des yeux, et s'étira longuement, s'allongeant de l'autre côté et espérant sentir son soldat près d'elle. Sa main palpa l'oreiller, il n'y avait aucune tête qui se reposait là. Elle fronça des sourcils, encore bien endormie, se rendant compte qu'il y avait quelque chose d'anormal. Ce genre de réveil était insupportable à vivre. Son coeur bondit d'un coup dans sa poitrine lorsqu'elle ouvrit les yeux et qu'elle se rendait compte qu'il n'y avait personne d'autre qu'elle dans son lit. Elle se redressa en sursaut, totalement paniquée, en recouvrant sa poitrine avec le drap. "Dan ?" dit-elle, espérant qu'il ne soit que dans la salle de bain, par exemple. Mais personne ne répondait. Il y avait quelques secondes de flottement avant que Lucy ne se lève subitement et s'habille en toute vitesse, et qu'elle remarque le mot qu'elle ne lut qu'en diagonal. Elle descendit en trombe les escaliers et allait dans la salle à manger, où ses parents finissaient de déjeuner tranquillement. Sa mère la regarda d'un air désolé en voyant toute la détresse qu'il pouvait y avoir dans le regard de sa fille. "Lucy..." commença-t-elle de sa voix douce, cherchant certainement à tout expliquer par la suite à sa fille adorée. Celle-ci regarda son père, cherchant des informations sur les questions qu'elle se posait, et dont elle avait déjà malheureusement la réponse. Il lui était si difficile de retenir ses larmes. Elle serrait fort sa mâchoire, tentant de rester forte au possible. Alors elle se précipita en dehors de la maison. Peter se leva également, appelant sa fille à plusieurs reprises à voix forte. Lucy courrait du plus vite qu'elle pouvait, jusqu'au port. Elle s'arrêta, elle était encore assez loin des quais. Mais de là où elle était, elle voyait que le navire n'était plus là où il avait été. John, l'un de ses amis, marchait par là, et comprit rapidement ce qu'il se passait. Elle comptait continuer sa course jusqu'au quai, mais il la stoppa dans son élan. La jeune femme se débattit."Laisse-moi y aller ! Laisse-moi y aller !"s'affola-t-elle. Mais les bras de John étaient bien plus forts et la maintenaient plaquée contre lui. "Il est parti, ma Lulu, tu sais qu'il est déjà parti." lui dit-elle alors, sachant qu'il n'y avait aucune phrase magique qui pouvait l'apaiser. La jeune infirmière continuait à se débattre jusqu'à en être épuisée et fondre en larmes. About de force, elle se laissa tomber sur ses genoux, et son ami l'accompagna dans sa chute, maintenant son étreinte et en lui caressant les cheveux. Il laissait les larmes couler, persuadé qu'elle parviendrait à se calmer seule. Il n'y avait de toute façon pas grand chose à dire, dans de telles situations. Aucun mot pour la soulager, rien n'allait garantir qu'il reviendrait bel et bien en vie. Son père l'avait suivie jusque là, son coeur se brisa certainement lorsqu'il vit sa fille aussi dévastée. Il fallut beaucoup de temps avant qu'elle n'accepte de rentrer. Elle priait beaucoup, n'avait que son travail pour occuper les heures. Et les jours qui passaient sans voir un seule sourire éclaircir son visage se multipliaient considérablement.
Cette première lettre m’a demandé un peu de temps, il faut m’excuser. Je m’en voulais bien trop d’être parti ainsi lundi, je n’arrivais pas à écrire une seule ligne. Et puis, je ne savais pas si tu voudrais encore me parler. J’espère que tu ne m’en veux plus, même si tu n’as peut-être toujours pas compris ma décision. Mais en te voyant profondément endormie et si belle, je ne voyais pas d’autre moyen. Je ne voulais pas te tirer de beaux rêves pour des au revoir qui nous auraient tous les deux brisé le cœur. Je ne voulais pas te voir pleurer. Je souhaitais garder ton visage doux et paisible comme souvenir. Tu semblais si bien, si tranquille que c’en était à douter qu’il y avait la moindre guerre hors des murs de ta chambre. C’était une vision réconfortante à emporter avec moi. Et si elle doit être la dernière image de toi que je dois avoir de cette vie, j’en serais heureux.
J’ai toujours ta photo, bien sûr. J’essaye de toujours la garder sur moi, ou épinglée à mon journal, bien caché. C’est que j’ai eu la bonne idée de la sortir de ma poche devant les autres gars, l’autre jour, et que ton succès a été immédiat. Ils trouvent tous que tu ressembles à un ange (sauf un qui trouve que tu as des airs de Lana Turner), mais honnêtement, je n’aime pas trop que quelqu’un d’autre t’appelle ainsi, même si je ne dois certainement pas être le seul. Du coup, je garde la photo pour moi, hors de portée. Je n’aimerais pas qu’un des soldats la vole entre mes affaires pour se tenir compagnie (je t’assure qu’ils en sont capables).
Tu me manques déjà beaucoup. J’imagine que ce manque ne sera que grandissant au fil des semaines, jusqu’à ce que je m’y habitue. Tom et Scott savent me tenir l’esprit occupé, et parfois, au milieu d’une conversation, ils éclatent de rire tous les deux. Ils rient à chaque fois que je me mets à parler de toi. A ce qu’ils disent, je parviens à faire revenir tous les sujets de discussion à toi sans que je le remarque. C’est sûrement vrai. En dehors du terrain, tu habites toutes mes pensées. Je me demande souvent si tu penses à moi au même moment, et si nos pensées se rejoignent à mi-chemin au milieu de l’océan. Je me demande comment tu vas, ce que tu fais de tes journées. Racontes-moi ce qu’il se passe au pays, dans ta vie. Il n’y a pas grand-chose à dire de cette première semaine ici, et comme prévu, il pleut à torrent. Les choses sont assez calmes pour le moment mais je pense que les combats reprendront véritablement dès demain. De toute manière, tu sais que je ne t’enverrai jamais de récits de guerre. Je ne veux pas que tu t’inquiètes.
L’un de mes compagnons m’a raconté s’être baladé avec d’autres soldats aux alentours de Darwin pendant la permission. Ils ont traversé la forêt en long et en large. Il m’a dit qu’il y a un bout de terrain à moins d’une demi-heure de la ville, juste avant que la terre forme une falaise couverte de forêt. Tel qu’il me l’a décrit, et tel que je l’ai imaginé, j’ai pensé que ce serait l’endroit idéal pour nous. Je ne peux pas m’empêcher d’y penser, et cela me donne encore plus hâte de rentrer. Et hâte de passer d’autres nuits comme la dernière.
Je t’embrasse ma Lucy, Dan
PS : L’arrivage du courrier a lieu une fois par semaine, alors j’ai demandé à mon ami Parker un coup de main. Son équipage fait l’aller-retour tous les trois ou quatre jours. Je vais lui confier mes lettres, tu pourras lui confier les tiennes, elles me parviendront plus vite. Demandes le Caporal Sullivan.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
10 janvier
Mon cher Dan,
Je ne saurais décrire les émotions qui ont pu me parcourir ce matin là, tout avait été si rapide. Je dois avouer que je ne voulais pas parler à qui que ce soit pendant plusieurs jours, j'étais bien trop peinée pour même faire semblant de sourire, pas même à mes parents. J'étais bien parce que j'étais avec toi, contre toi. Nous étions ensemble. Qu'il est douloureux de voir un si beau rêve se balayer en quelques secondes lorsque l'être aimé n'est pas à nos côtés dans le lit. Je ne peux pas t'en vouloir parce que je t'aime beaucoup trop. Mais je mentirai si je disais que tout allait parfaitement bien.
Pour tout dire, même le temps est maussade, par ici. Les nuages gris sont persistants et ne semblent pas vouloir se laisser dissiper par le vent. Le soleil me manque. Tu es ce soleil. J'ai l'impression que les journées se sont ternies, qu'il n'y a plus vraiment de couleurs, par ici. Tout est si gris, tout est si triste. Certains ont réussi à reprendre le cours de la vie sans trop de soucis, je suppose que je fais partie de ceux qui en ont le plus de mal. Même à l'hôpital, c'est encore assez calme. Alors, dès que je le peux, je me rends à l'église, et toutes mes prières sont pour toi, et tes amis. Et chaque jour, je rappelle à Dieu les promesses que nous nous étions faites et que nous avions beau être éloignés l'un de l'autre, nous restons unis. Il ne nous manque plus que la bague, mais mon âme est scellé à la tienne depuis bien longtemps déjà. Et j'ai parfois ce sentiment, à la fin de mes prières. J'ai l'impression de ressentir que tu es toujours bien là, sain et sauf, qu'importent les pluies diluviennes. Mon inquiétude est constante Et alors, une rose devient à nouveau rouge, les arbres sont à nouveau, même si ce n'est que pour quelques heures. Il n'est pas un seul instant sans que je pense à toi. Tous les soirs, je me rends au port, avec cette idée folle d'espérer de voir un navire se dessiner à l'horizon et se rapprocher des côtes.
Il faudra que nous allions dans ce petit coin de paradis alors, lorsque tu seras à nouveau là. Il est hors de question que je m'y rende sans toi.
J'espère que la photo ne s'abîmera pas trop vite avec l'humidité constante sur le terrain. Il y en a beaucoup qui racontent qu'une photographie renfermait des âmes. Mais certainement pas le coeur. C'est pourquoi tu trouveras, ou peut-être l'as-tu déjà vu, mon pendentif dans cet enveloppe. Il m'est insupportable de savoir mon coeur loin du tien, c'est pourquoi je ne pouvais que te l'envoyer. Garde-le constamment près de ton coeur, afin qu'ils puissent battre constamment à l'unisson. Ce bijou n'a pas d'autres places que près de toi. Tu le sais bien, quelle valeur j'attache à ce pendentif, quel importance il a pour moi, à quel point il fait partie de moi. Mais je suis tout à toi, donc ce collier aussi. Et si tu ne veux que me le rendre, tu n'auras pas d'autres choix que de revenir et me le donner en main propre. Parce qu'il t'appartient.
Si tu savais comme tu me manques. Le son de ta voix, tes baisers, tes bras qui me serraient si forts contre toi. Je me sens tellement en sécurité en ta présence, je n'ai de cesse de penser aux nuits que nous avions passé ensemble. J'essaie de me rappeler chaque sensation, mais tout commence à s'éloigner, c'est étrange. Je voudrais tellement que ce soit immortel.
Prends bien soin de toi mon amour, Lucy, ton petit ange.
Cette fois je t’écris à peine après avoir fini de lire ta lettre. Parker reprend immédiatement le large, si je ne te l’envoie pas tout de suite, il faudra attendre au moins quatre jours avant de te faire parvenir ces mots, cela serait bien trop long.
Tout va bien ici, nous déplorons peu de blessés graves et encore moins de morts. Seulement des égratignures et des hématomes (et oui, j’en ai quelques-uns, mais je me porte très bien). Tom et Scott sont toujours à mes côtés, et nous gardons un œil attentif les uns sur les autres. Ils meurent d’envie de lire nos lettres et ne cessent de sautiller par-dessus mon épaule, mais je ne compte pas partager une seule ligne de notre correspondance. Ce sont nos pensées à nous. Mes camarades ne cessent de dire que j’ai de la chance de t’avoir, d’avoir trouvé quelqu’un, et surtout quelqu’un comme toi. Ils ont bien raison. Ils n’ont pas idée d’à quel point songer à toi et au simple fait de te tenir de nouveau dans mes bras me fait tenir chaque jour. Tu n’as pas idée non plus. Je me suis rendu compte que je suis bien plus lassé de la guerre que je ne voulais le croire, que ces années de terrain m’ont véritablement éreinté. Il est toujours plus difficile de tenir son arme chaque jour au bout de sept ans. Continue de prier pour moi ma Lucy. Même si je suis prudent, il n’y aura jamais trop d’yeux pour veiller sur moi et me permettre de revenir sain et sauf. Et c’est tout ce qui importe.
J’étais assez contrarié de trouver ton collier dans ta lettre. Je t’ai dit qu’il y a de très grands risques qu’il se perdre ici et que tu ne le retrouves jamais. Je ne me pardonnerai pas. Mais puisque c’est ton souhait que je l’ai, je le garde. Il se trouve dans la poche de ma veste sur mon torse, donc près de mon cœur. J’ai enroulé un bout de la chaîne autour du bouton de la poche, ainsi, je pense qu’il ne pourra pas tomber. Je l’espère en tout cas. Maintenant qu’il est là, je suis content de l’avoir. C’est un peu plus de toi qui m’accompagne ici, et j’ai l’impression que cela peut me porter chance. Je ne sais pas si cela a du sens de penser ainsi, mais cela apporte du réconfort, ce qui n’est jamais en trop.
Tu trouveras aussi un petit quelque chose avec ma lettre. Cela explique aussi pourquoi je voulais qu’elle te parvienne vite. J’ai trouvé cet anneau en bois chez un artisan dans un village non loin de notre campement. J’aimerais que tu le portes en attendant que je puisse t’offrir une véritable bague. Il est tout petit, pour aller sur tes doigts si fins. Tu m’épouseras, quand je serai de retour, n’est-ce pas ? Je veux que nous soyons ensemble aux yeux de Dieu et aux du monde. Je n’ai aucun doute à ce sujet, je sais parfaitement au fond de moi qu’il n’y aura que toi, que tu es mon avenir. Qu’importe depuis combien de temps nous nous connaissons, nous sommes deux anciennes âmes, et nous aurons toute la vie, toutes nos vies, pour nous connaître d’avantage et nous apprendre par cœur. J’aurai aimé faire pareille demande dans d’autres circonstances, mais je ne pouvais pas attendre. Tu dois m’épouser, Lucy, sans ça je ne serai jamais entier.
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15 janvier
Mon amour,
C'est toujours un plaisir et un soulagement de recevoir une lettre venant de toi. Mon père vérifie tous les jours les couriers à la base pour prendre ceux qui viennent de toi. Je suppose qu'il cherche à se faire pardonner, ou peut-être sait-il que ce sont bien les seules choses qui me font sourire ces derniers temps. Lire ton écriture m'apaise grandement.
Je suis heureuse de savoir que tu te portes bien, mêmes si ces petites plaies et ces hématomes m'affectent tout autant que toi. J'ai l'impression de les sentir sur ma peau. Contrairement à tes amis, les miens en demandent très peu sur le contenu de nos lettres. Ils savent que cela fait partie de notre intimité, j'apprécie vraiment qu'ils ne soient pas trop curieux à ce sujet. Cette guerre nous lasse tous, ceux qui sont sur le terrain en premier. Et je te promets que mes prières restent quotidiennes, Dieu entend ton nom chaque jour, avec toujours ces promesses que nous nous étions faites. Mais tiens bon, mon amour. Je garde en moi cet espoir que cette fichue guerre ne durera pas, et que tu retourneras au plus vite dans mes bras. Pense à ces nuits qui nous ont appartenu.
Je me doutais que tu n'apprécierais pas en premier lieu de voir ce que contenait l'enveloppe. Mais c'était plus fort que moi. Il en devait être ainsi, et pas autrement. Si je ne l'avais pas fait, je l'aurai regretté ou serai devenue folle. Mais désormais, il se trouve là où il devrait bien être: au plus près de ton coeur. Je me sens bien, de savoir que ce bijou est avec toi, de l'autre côté de l'océan.
J'ai immédiatement compris ce dont il s'agissait, lorsque j'ai ouvert la lettre. Tu seras heureux de savoir que cet anneau se trouve depuis le début sur mon annulaire gauche. Quand j'ai commencé à écrire la lettre, Papa l'a vu. J'ai cru qu'il serait contrarié, ou en parfait désaccord avec tout ce que ceci signifiait. Je craignais de devoir essuyer de nouvelles larmes sur les joues, mais il a soudainement eu un de ces merveilleux sourires, comme s'il était le plus heureux de tous les pères. Il m'embrassée au niveau de la tête et m'a serré dans ses bras avant de me laisser finir d'écrire. Je suppose qu'il a donné son accord, ainsi. Cela lui rappelle certainement son propre mariage. Mais c'est tout ce dont je désire. Je veux être ta femme, porter ton nom, et t'aimer jusqu'à la fin des temps. Porter tes enfants, et construire notre vie. Oui, je vais t'épouser.
Ta présence me manque, j'ai tellement hâte de me réveiller à nouveau dans tes bras, tout contre toi. J'en rêve beaucoup, et les réveils sont parfois difficiles. Je préférerai que ce ne soit pas que des rêves.
Tu pardonneras la petite taille de cette lettre et le temps qu’elle a pris avant de te parvenir. Tout s’accélère ici et je n’ai que peu de temps. Peu de temps pour souffler, pour t’écrire, même pour penser à toi, et pour pleurer mon ami. Tom est mort peu de temps après que j’ai reçu ta lettre. J’ai beau me refaire en boucle le fil des événements, je n’arrive pas à savoir s’il est tombé sous les balles de sa propre volonté ou non. Parce qu’il semblait si déterminé à mourir, Lucy, aussi déterminé qu’il pouvait l’être, tête de mule qu’il était. Et là, lorsque je l’ai tenu dans mes bras en attendant qu’il s’en aille, il tremblait et son regard laissait deviner énormément de peur. Il m’en voudrait de te le dire, mais cette peur m’a tellement frappée et prise aux tripes, je crois qu’il n’y a que toi pour le comprendre. J’aurais presque préféré qu’il meure de son propre chef, quand et où il le voulait, plutôt que d’une balle dans le dos lorsqu’il s’y attendait le moins. Ne serais-ce que pour le voir partir satisfait, et non les larmes aux yeux. C’est comme si son départ était bâclé, alors qu’il aurait mérité tellement mieux. Je n’arrive pas à me satisfaire d’avoir été là pour lui. Je ne sais pas si cela lui a été d’un quelconque réconfort, mais cela ne l’a pas été pour moi. Je ne peux que me répéter que j’ai perdu mon meilleur ami, mon frère, et que je n’ai pas su le protéger, ni des ennemis ni de lui-même, jusqu’à la fin de la guerre afin qu’il puisse rentrer avec moi. S’il avait eu une chance, lui aussi aurait pu trouver une femme à aimer, une famille à fonder, un but dans la vie. Nous ne savons pas d’où provenaient les balles, mais cela n’a pas d’importance. J’en veux à tout le monde. Aux autres, aux miens, à Dieu. Je me sens tellement seul, Lucy. Te rêver près de moi est pire que tout. Car au réveil, tu n’es pas là. Cela ne fait que rendre le vide encore plus grand.
Je dois tenir pour ma brigade, ils sont aussi dévastés.
Il n’a personne, Lucy. J’ai envoyé une lettre à mes parents pour qu’ils financent son enterrement, l’Etat ne fournit que la stèle. Il ne doit pas finir oublié. Promets-moi de fleurir sa tombe quand il y sera.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
25 janvier
Mon cher Dan,
Quels mots peut-on utiliser pour panser des blessures aussi profondes ? Je ne crois pas que ça existe. Parfois, je me demande moi-même comment je fais pour accompagner tous ces soldats que nous perdons à l'hôpital. Cela me fend le coeur à chaque fois. Alors, comment cela doit-il être lorsque l'on se trouve au milieu d'un enfer humide et inhospitalier, où l'on a rien pour soulager les maux si ce n'est l'affection que l'on a pour son frère d'armes ? Tu as été avec lui, jusqu'au bout. Et même s'il avait ce regard terrifié, ce n'en était pas après toi. C'est après toute cette guerre qui nous empoisonne un peu plus tous les jours, nous empêchant de voir un futur de toutes les couleurs, où il n'y aurait que rires et chansons. Tu as fait ce que tu pouvais faire pour lui. Et tu ne peux pas dire qu'il n'avait personne. Il avait toi avant tout, il avait tous ses amis sur le front, et ce n'est pas rien. Il ne souffre plus, désormais, et veille sur toi constamment, aux côtés de Dieu. Et Tom aura alors une bien plus belle vie dans sa prochaine vie, où il ne connaître ni la guerre, ni toutes ces peines qu'il a du endurer.
Je voulais t'écrire juste après ton enterrement. Il y avait plus de monde que je n'aurai pensé, il y avait beaucoup de personnes qui avaient été joyeusement marqué par sa présence le soir du Nouvel An. Si seulement tu pouvais voir sa tombe, il y a des fleurs de toutes les couleurs, de partout. Un bel hommage pour signer un renouveau pour lui. La cérémonie était simple, mais je ne pense pas qu'il aurait voulu d'une mascarade exagérée. J'ai récupéré ses médailles pour toi, je pense qu'il aurait voulu que ce soit toi qui en hérite, en sa mémoire.
Tu n'es pas seul, mon amour. N'oublie pas que mon coeur et mon âme sont là, tout près des tiens, prêts à te chérir lorsque rien ne va, et que ton seul souhait soit un moment où tu puisses t'envoler et te réconforter dans mes bras. Je n'attends que ça. Te voir arriver au port et m'occuper de toi autant que possible, être là constamment pour toi pour panser tes blessures, autant de la chair et de l'âme et t'aimer de tout mon amour. Tu es quelqu'un de fort et de courageux, je n'en doute pas une seule seconde. Et je continue toujours de prier pour toi, tout comme je prierai pour Tom.
J'espère que le papier de la lettre restera imprégnée de mon parfum, que je viens de vaporiser, lorsqu'elle te parviendra. Si rêver t'es si douloureux, alors souviens-toi plutôt de nos moments, de cet amour inconditionnel.
Et je voulais te dire que mes parents sont particulièrement enthousiastes à l'idée de notre mariage. Bien sûr, mon père s'attendra à ce que tu viennes lui demander ma main, mais au fond, ça n'est qu'une formalité à laquelle il est très attaché.
Comme toujours, tu sais si bien guérir tous les mots si facilement. Ta lettre m’a fait tellement de bien. Tu es certainement bien plus forte et courageuse que je ne le serais jamais, mon ange. Je suis soulagé de savoir que Tom ne sera pas oublié, qu’il était bien entouré. Qu’on se souvienne de lui comme le personnage joyeux qu’il était au Nouvel An, souriant et enjoué. J’aime aussi le revoir blaguer autour d’une bière et faire les yeux doux à toutes les demoiselles qui passaient devant lui. Il me manque énormément, mais je suis déjà moins triste. J’ai tant de merveilleux souvenirs avec lui, je dois me concentrer là-dessus. Merci d’avoir récupéré ses médailles, je les garderai précieusement.
Je n’arrête pas de penser à nos moments tous les deux aussi. Quand je ferme les yeux, je revois avec une telle précision les traits de ton visage de ce matin où tu dormais. Je contemple cette image pendant des heures. Sinon, je songe au soir du réveillon. Je nous revois danser ensemble, et les regards interloqués des soldats qui me faisaient bien rire. Je pourrais presque les entendre faire le décompte tous à l’unisson, et sentir tes lèvres sur les miennes. Je peux sentir, sous mes doigts, la douceur de ta peau et de tes cheveux, je peux sentir ton parfum et retracer dans les moindres détails les courbes de ta silhouette. Tout est ancré dans ma tête. Je pensais que je ne pourrais jamais oublier tes yeux bleus, pourtant, mes souvenirs concernant ce détail ne me semblent jamais fidèles à ce qu’ils sont dans la réalité. Je crois qu’on ne peut en saisir la couleur, l’éclat et toute la beauté que lorsque l’on te voit en face. Cela me rappelle à quel point tu me manques.
Nous ne tarderons pas à nous marier une fois que je serai rentré. Si ton père tient à ce que je demande ta main, je le ferai. Je ne pensais pas que tes parents puissent être enthousiastes à ce sujet. J’ai parlé de toi aux miens dans mes lettres, mais je n’ai pas évoqué cela, ni nos nuits passées ensemble. Ils désapprouveraient. Ils sont heureux de me voir amoureux, ils n’y croyaient plus. Mais ils sont bien trop à cheval sur les commandements de Dieu (je pensais l’être aussi) pour ne pas m’en vouloir d’avoir vécu tout ceci hors mariage. Qu’importe, je ne regrette rien, au contraire. Et je sais que Dieu ne nous en tient pas rigueur.
Je dois être tout à fait honnête, même si je ne veux pas que tu te fasses un sang d’encre pour moi. Je t’écris depuis l’infirmerie de notre camp. On vient de m’ôter un éclat de métal de l’épaule. Rien de grave, je t’assure. L’infirmière ici est loin d’être aussi douce que toi. A vrai dire, je n’ai qu’une hâte, c’est ce que tu sois celle qui s’occupe de mes blessures. Si cela peut te rassurer, dis-toi que je suis en sécurité dans un bâtiment en dur à l’écart des combats pendant quelques jours.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
31 janvier
Mon amour,
Je suis heureuse de savoir que tu parviennes à te rappeler des plus beaux souvenirs que tu pouvais avoir avec lui. Ce sont des images qui t'aideront et qui te suivront tout au long de ta vie.
Chacun de nos instants vécus ensemble sont beaux, uniques. Parfois, je manque de mots pour les décrire, mais tout était parfait. Il me tarde tellement de créer de nouveaux moments ainsi, où nous ne sommes que tous les deux, à nous aimer éperdument, tout comme des moments plus simples. A partir du moment où je suis à tes côtés, je me sens entière, complète. Etre à toi est une si belle douceur de vivre. Ton contact, tes caresses me manquent. Ta chaleur aussi. Je m'en souviens très bien, mais cela me frustre très vite parce que je le désire encore plus. Et ton regard rempli d'amour, ces mots que tu me soufflais. Les journées me semblent tellement plus longues sans toi, comme si le temps se jouait cruellement de moi, à me forcer à patienter encore plus, à rajouter des heures à ces journées monotones. C'est injuste.
Mes parents se sont mariés une semaine après s'être connus, ils se voient peut-être un petit peu en nous. Et vu comme cela a terminé, ils ne voient pas en quoi cela pourrait être différent pour nous. Nous aurons de beaux jours devant nous. Je comprends que ta famille puisse désapprouver. A mes yeux, nous sommes déjà mariés, en quelque sorte. Je ne porte pas encore ton nom, mais tu as accepté ce que toute femme veut donner à son époux, et nous nous sommes faits des promesses pour une vie que nous ne pouvons que vivre ensemble. Et ces promesses là seront à jamais scellées à l'église, et la nuit qui suivra ensuite. Dieu sait certainement que tout est déjà tracé pour nous, depuis bien longtemps.
Mon coeur s'est tellement accéléré lorsque j'ai lu que tu avais été touché. Mais si ce n'est qu'une blessure mineure, c'est comme si on me blessait moi aussi, et la douleur m'est peu supportable. J'aimerais tellement être la seule et l'unique qui puisse panser tes blessures et m'en occuper jusqu'à ce que ce soit guérie. Une nouvelle cicatrice à apprendre par coeur. J'avoue ne pas être très tranquille, même si tu te trouves à l'écart du front pendant quelques jours. Je n'ai de cesse de prier pour toi, puisse Dieu te protéger jusqu'à ce que tu reviennes dans mes bras.
De retour sur le terrain, les combats sont particulièrement intenses en ce moment. On nous parle de la fin de la guerre pour bientôt, mais nous avons plutôt l'impression qu'elle ne s'arrêtera jamais. Dans le fond, il y aura toujours une guerre quelque part dans le monde, il n'existe pas un jour sans. Mais si celle-ci pouvait vraiment se terminer bientôt, ce serait un soulagement. Nous recevons des nouvelles d'un peu partout par la radio, et on nous rapporte parfois des horreurs que je ne te rapporterai pas par peur que tu n'en dormes pas. Nous sommes loin d'être les moins bien lotis au fond de cette région perdue de ce pays trop plein de pluie. C'est ce que je me dis quand je me plains de mon épaule et de mes chevilles couvertes de boue. Ça pourrait être pire. Quoi qu'il en soit, malheureusement, il n'y a que mon supérieur pour m'assurer que c'est bientôt la fin, et j'ai envie de le croire. De croire que nous serons tous rentrés au bercail dans quelques semaines au plus. Que je serai à nouveau près de toi ma Lucy.
Déjà un mois que tu es loin de moi. Je ne saurais pas dire si le temps passe vite ou lentement. On perd rapidement la notion du temps ici, j'ai parfois du mal à savoir quel jour nous sommes. Mais je compte toujours les jours qui nous séparent. Est-ce que tu portes toujours le bracelet que je t'ai donné ? C'est parfois étrange de ne plus l'avoir à mon poignet, mais je sais qu'il est où il doit être. Moi, j'ai toujours ton collier. J'ai finalement laissé ta photo dans mon journal, elle s’abimait bien trop dans mes poches. D'ailleurs, tu en trouveras une de moi avec cette lettre. Le dernier bateau de ravitaillement a apporté avec lui un photographe qui nous suit partout. Il nous a tous tiré le portrait. J'en ai aussi envoyé un à ma famille.
Ne te fais pas trop de souci pour moi, d'accord ? J'ai tellement hâte de pouvoir t'appeler ‘'ma femme’’.
Je t'aime, Dan
5 février
Lucy,
Dan m'a demandé de te prévenir qu'il se trouve de nouveau à l'infirmerie et qu'il ne pourra pas écrire pendant quelques jours. C'est de ma faute, Lucy, je suis tellement désolé… Je ne peux pas t'en dire plus, il serait furieux. Mais ne t'en fais pas, il va s'en sortir, sa vie n'est pas en jeu. Prie pour lui. Scott.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
9 février
Mon cher Dan,
Je n'arrive plus à fermer l'oeil depuis que Scott m'a envoyée cette brève lettre pour me prévenir que tu as de nouveau été emmené à l'hôpital. Je ne cesse de penser à toi, et mon coeur saigne à l'idée que tu ne sois pas en mesure de m'écrire. Que s'est-il donc passé ? J'aimerais tellement que tu m'expliques, que je sache à quoi m'attendre lorsque tu me reviendras et ce que je peux faire pour t'aider. Vraisemblablement, mes prières quotidiennes ne suffisent plus et j'avoue ne plus savoir quoi faire pour faire en sorte qu'il ne t'arrive rien. J'en souffre tellement.
Je garde toujours bien ton bracelet autour de mon poignet, il ne me quitte presque jamais, sauf quand je risque de l'abîmer ou de le tâcher. Mais il est toujours bien là. Tout comme cette anneau qui est éternellement autour de mon doigt. C'est tout ce que j'ai de toi, même si j'ai cette photo en plus, alors je garde le tout au plus près de moi autant que possible. Tu as l'air déjà si fatigué sur ce cliché, si las. J'ai tellement hâte que cette guerre se termine, que je puisse ainsi te revoir au plus vite et que nous commencions notre vie ensemble.
Il y a beaucoup de blessés qui reviennent sur Darwin dans un état désastreux. J'ai tellement peu de te voir dans un de ces brancards, ou lorsque l'on n'arrive même plus à reconnaître un visage. Il y en a beaucoup qui sont partis, aujourd'hui, j'ai fait ce que j'ai pu pour les accompagner au mieux et je suis tellement mécontente de moi-même lorsque je n'ai pas réussi à soulager leurs maux parce qu'ils étaient bien trop importants. Ils ont le visage crispé et je sais qu'ils ne nous ont pas quitté en paix. Mais je ne sais pas quoi faire de plus. Si ce n'est de prier avec eux, leur parler, leur promettre des tas de choses. L'un d'eux m'a même demandée de chanter. Et c'était comme s'il s'était endormi, mais pour ne jamais se réveiller. Papa a du me chercher au travail plusieurs fois parce que je veillais trop tard et que personne ne parvenait à me faire sortir de là, et prendre un peu de repos. Mais je ne dormais pas, je ne pensais qu'à toi. Je ne fais que prier et espérer que tu ailles bien, et que Scott aille bien aussi. Il s'en voulait terriblement, dans la lettre qu'il m'a écrite.
Pardonnes-moi de te causer tant de souci. Je t'écris maintenant que je le peux. Je vais bien, je suis toujours en sécurité. Scott va bien aussi. Rien de tout ceci n'est de sa faute. Continues de prier, car si Dieu t'entends, je serais bientôt de retour. De toute manière, la guerre est terminée pour moi. Je t'avais dit que je ne te raconterai pas la guerre ici, mais puisque tu veux savoir ce qu'il s'est passé, je te dis tout.
Le 31, nous avons quitté la Malaisie. Il fallait admettre que notre échec là-bas était cuisant. Nous nous sommes rendus en Indonésie, en renfort. J'ai l'impression que les anglais nous ont abandonnés. Ils sont partis se retrancher à Singapour, dans leur forteresse, ont fait exploser le pont de Johor, et nous ont laissé de l'autre côté. Sûrement pour que nous, les troupes fraîches revenues de permission, nous fassions écraser afin de les retarder. Cela ne leur aura pris que quelques jours pour nous passer dessus. Que veux-tu que nous fassions, sans le moindre avion, sans char ? On en nous a promis dès notre arrivée en décembre, et toujours rien. Il est trop tard pour ça maintenant, nous savons tous que c'est pour préserver la fierté de Churchill que les troupes tiennent et meurent alors qu'il est évident que la défaite n'est qu'une question de jours.
Ca fait toute une semaine que le sol tremble sans s'arrêter. Les murs de l'hôpital tremblent aussi. Les bombardements n'arrêtent pas une seule minute, le sol est criblé d'immenses trous comblés par les cadavres de ma division, de mes amis. Au moins, ils ont la décence de ne pas faire exploser l'hôpital pour nous achever, merci à l'honneur des japonais. Et puis, ils savent que les blessés ne seront d'aucune utilité, alors ils ne viennent même pas nous chercher comme trophées.
Les japonais ont voulu nettoyer la zone vite et bien pour dégager le passage vers Singapour. Ils ont largué les bombes incendiaires depuis le ciel. Il n'y avait rien à faire à part essayer de se mettre à l'abri. Je ne peux pas te décrire l'anarchie qui a régné pendant ces longues minutes. Personne ne comprenait ce qu'il se passait et personne ne savait quoi faire, où se réfugier. Tout le camp était en bois, il n'en reste rien. Depuis la mort de Tom, il n'y avait plus que Scott pour palier à mon oreille sourde. Je ne voulais plus qu'il se préoccupe de moi, il est bien trop difficile de garder un œil sur moi tout en se protégeant soi-même. Je ne pouvais pas deviner où les bombes allaient atterrir au son. Je t'avais promis de revenir, alors je voulais suivre les hommes qui couraient se réfugier dans le prochain village. Scott refusait de venir. J'essayais de le persuader de me suivre quand le toit du baraquement où nous étions a cédé. Je me souviens n'avoir rien ressenti sur le moment ; Scott m'a dégagé des débris en feu, retiré ma veste et ma chemise qui brûlaient sur ma peau, et nous avons couru vers la forêt. Puis nous avons marché pour rejoindre l'hôpital. Quand j'ai réalisé ma douleur, je me suis écroulé pour deux jours entiers.
Ils ont essayé de me faire voir l'état de mon dos, et c'est vrai que ce n'est pas très joli. Au moins, je n'ai que cette partie du corps qui a brûlé. Mais ça fait un mal de chien. Les infirmières changent les bandages régulièrement, tous les jours, et c'est un moment franchement atroce. Ca guérit bien, qu'elles disent, très bien même. J'ai de la chance, malgré tout, et c'est sûrement grâce à tes prières.
Il y a énormément de morts, et tous les soldats qui avaient fui vers le village ont été faits prisonniers. Scott et moi avons eu la chance d'échapper à l'un de ces deux sorts, et c'est grâce à lui, et non à cause de lui. Nous attendons que les japonais marchent sur Singapour et sur les anglais avec un certain esprit de revanche je te l'avoue. Ils nous ont abandonnés là en sachant exactement ce qui allait se passer. La ville est encerclée à l'heure où je t'écris. Nous écoutons les nouvelles à la radio, je n'ai que ça à faire quand je ne dors pas (je crois qu'ils m’assomment avec les antidouleur).
Bien sûr, les médecins ont découvert ma surdité partielle. Ils veulent me renvoyer au pays aussi vite que possible, mais pour le moment tout est bien trop chaotique. Alors on attend.
Je ne fais que penser à toi ma Lucy. J'ai hâte de rentrer, et savoir que ce n'est qu'une question de jours me rend encore plus impatient. Bientôt je serai là, mon ange. J'espère que tu seras toujours là à m'attendre.
Tu me manques tellement, Dan.
PS: Ton collier est resté dans ma veste, je viens de le réaliser. Je suis sincèrement désolé.
15 février
Pour Lucy F. Je rentre à la maison. Au port dans deux jours. D.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
"Lucy n'a pas voulu sortir non plus, ce soir ?" "Non, la dernière lettre de Dan l'a littéralement dévastée, elle est inconsolable." dit tristement Amy, en sirotant son verre de bière. Elle aurait tellement espérer en faire plus pour son amie, aucun d'entre eux n'avait l'habitude de la voir dans un tel état. Leur Lucy qui était toujours aussi naïve et souriante, avec cette liberté incroyable de rêvasser dans son propre petit monde. Voilà qu'on l'avait contraint de briser son rêve et de devoir endurer les souffrances de l'homme qu'elle aimait. "Et dire que nous pensions que tout ceci ne l'atteindrait jamais, voilà que l'on s'est décidé à la toucher en plein coeur. Ne rien pouvoir faire pour elle pour l'apaiser ne serait-ce quelques minutes me désole au plus haut point." ajouta la jeune femme. "Je crois qu'elle n'a pas souri une seule fois depuis qu'il est parti. Et elle n'a pas fermé l'oeil depuis un bout de temps aussi. C'est beau l'amour, mais ça reste incroyablement destructeur quand même." Elle soupira d'exaspération. "Putain de guerre." dit-elle en écrasant sa cigarette dans le cendrier et en sortant du bar sans même terminer son verre.
Mary, quant à elle, était assise au bord du lit de sa fille. Elle était presque soulagée de voir Lucy s'être enfin endormie, après l'avoir entendue pendant des jours sangloter le plus silencieusement possible. Elle ne voulait pas déranger, ni inquiéter, mais ses parents la connaissaient par coeur. Ils s'étaient permis de lire cette dernière lettre afin de comprendre ce qu'il se passait réellement. Lucy était bien placée pour savoir à quel point les brulûres pouvaient faire souffrire quelqu'un et qu'il était très difficile de l'en soulager. Pour le peu de fois où elle s'endormait, elle cauchemardait et entendait Dan hurler à la mort, suppliant que l'on abrège ses souffrances. Ca lui était insupportable. Alors elle préférait rester allongée, le corps inerte, à voir les heures défiler longuement et à se demander s'il respirait encore au moment où elle pensait à lui. Elle restait des heures à l'église, le curé l'avait supplié à maintes reprises de rentrer chez elle et de se reposer, et de se nourrir. Mais l'appêtit n'y était plus vraiment non plus. Mary caressait doucement ses cheveux blonds. Elle dormait, enfin. On voyait que son visage était légèrement crispé par l'inquiétude. "Viens, laisse-la rêver, Mary." dit Peter à voix basse, après avoir observé la scène pendant plusieurs minutes. Il souriait, un peu tristement. A contre coeur, la mère quitta la chambre de son enfant, espérant que celle-ci passe au moins une nuit complète. "Tu as des nouvelles ?" chuchota Mary. Son époux hocha négativement la tête. Il était difficile d'avoir des informations concernant le bataillon de son futur beau-fils. Peter retourna dans la chambre de sa fille, bien après. Il s'installa également au bord du lit et dégagea une mèche de cheveux sur le visage de sa fille. "Lucy, ma chérie..." dit-il tout bas, afin de ne pas la brusquer dès le réveil. Elle s'étira longuement, le réveil était particulièrement difficile. Il lui caressa la joue du bout des doigts, comme il pouvait le faire lorsqu'elle était petite. "Je ne veux pas te bousculer, et il fait à peine jour dehors. Le soleil ne s'est même pas encore levé." dit-il doucement, afin qu'elle se situe un peu dans le temps. Il la laissa s'éveiller doucement. "Et je pense qu'il faudrait que tu regardes l'horizon. Il y a un navire qui approche." Lucy sentit subitement son coeur bondir dans sa poitrine, et elle ouvrit grand les yeux, en se redressant et regardant son père. Elle voulait être sûre qu'elle avait bien compris ce qu'il venait de dire. "J'ai eu l'information au courant de la nuit, il arrive avec un peu d'avance." Il lui souriait tendrement, face à sa fille adorée qui manquait de mots et qui ne savait pas ce qu'il fallait commencer à faire. "Je te laisse te préparer, pense à manger quelque chose avant de partir." dit-il en se relevant. Lucy s'habilla et se fit même un peu belle en deux temps trois mouvements. Elle prit un simple toast qu'elle avala en marchant, d'un pas hâtif. Son coeur battait tellement vite, cela l'étourdissait. Approchant du port, elle vit que certains soldats avaient déjà eu l'occasion de sortir les premiers. Lucy scrutait chaque visage pour le retrouver le plus vite possible. Elle était un peu paniquée, aussi, pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas. La population militaire se densifiait de plus en plus, elle craignait de le manquer. Son coeur explosa lorsqu'il apparut dans son champ de vision, et elle se faufila en courant entre les soldats jusqu'à arriver à lui. Elle ne lui laissa même pas le temps de réaliser quoi que ce soit qu'elle prit son visage entre ses mains -n'oubliant pas la localisation de ses blessures-, et l'embrassant. Des larmes de joie et de soulagement coulèrent le long de ses joues. "Je t'aime. Je t'aime tellement." dit-elle la voix toute tremblante au bord de ses lèvres, avant de les embrasser une nouvelle fois.
« Dan, sois pas con, ils vont partir sans nous. » grommelle Scott qui s’impatiente, bras croisés. Cela ne fait que quelques minutes que nous sommes sur place, mais le temps nous est compté. Toutes les troupes embarquent sur quelques navires de fortune histoire de quitter le pays au plus vite et rejoindre les bateaux qui sont au large. La reddition des armées du Commonwealth a été déclarée tôt ce matin, et acceptée en début d’après-midi. L’ordre de rentrer en Australie est tombé il y a une heure. Alors j’ai couru jusqu’à notre ancien campement, désormais un champ de ruines couvert de cendres et de cadavres calcinés. L’odeur qui s’en dégage est à peine supportable. Du mieux que je peux, j’essaye de retrouver le lieu où nous étions ce jour-là, et de retracer notre parcours. Tous deux sous le choc, nous ne nous souvenons plus par où nous sommes passés. Les souvenirs se sont embrouillés ; il ne reste que la chaleur brûlante, la terre qui tremble, et l’instinct de survie qui fait galoper le rythme cardiaque à toute allure. « Juste une minute, je ne peux pas rentrer sans. » Le nez dans les cendres, je cherche encore un peu, les mains légèrement tremblantes, terrorisé à l’idée de retourner les restes d’un de mes frères d’armes. Je fais abstraction de ces images atroces qui tentent de s’imposer à moi et me concentre sur mes fouilles. Enfin, je fourre mes trouvailles dans mon sac et file au port de Singapour.
L’infirmerie du navire est bien moins confortable que la chambre que j’avais à l’hôpital. Qu’importe, on ne m’y fait pas rester. C’est une trop petite pièce pour gérer l’immense flux de blessés qui est soudainement arrivé. Je m’y rends uniquement pour faire changer mes bandages. Ce qui est toujours loin d’être un moment agréable, plus de dix jours après l’incident. Rien contre la douleur cette fois. Il y en a peu, il en faut pour ceux qui en ont plus besoin que moi. Alors on serre les dents. « Je suis vraiment désolé… » murmure Scott en voyant mon visage rouge pivoine et mon front sur lequel perle de la sueur. L’infirmière fait de son mieux pour être délicate tout en faisant ce qu’elle a à faire le plus vite possible, l’air désolée de ne pas pouvoir atténuer la souffrance. « Arrêtes avec ça, c’est pas de ta faute. » je réponds sèchement. Mes mains serrent le bord du lit si fort qu’elles en deviennent blanches. Les bandelettes anciennes retirées, la demoiselle prépare les nouvelles, me laissant le temps de souffler avant de reprendre. « Si tu m’avais suivi, on serait encore là-bas tous les deux, en train de trimer pour les japonais. » Parce que quitter le pays est une chose pour les soldats sur le terrain, mais pour ceux faits prisonniers, négocier leur libération est une toute autre chose. « Je te jure que je préfère avoir le dos dans cet état plutôt que d’aller mourir dans un de leurs trous de charbon. » Et je ne le dis pas pour qu’il ait la conscience tranquille. « Prêt ? » demande la jeune femme avec un petit sourire se voulant réconfortant. J’acquiesce d’un signe de tête, me disant que le plus vite cette torture prendra fin, le mieux ce sera.
Nous sortons sur le pont pour observer le couché de soleil. Ce petit point à l’horizon est cette fichue terre que nous ne foulerons plus jamais. Pour une fois, nous nous fichons bien d’avoir gagné ou perdu. En revanche, nous sommes tristes de laisser tant de corps derrière nous. Tant d’amis qui ne seront pas retournés à leurs familles et qui n’auront droit qu’à une stèle symbolique sur un cercueil vide. « Hâte de la revoir ? » demande Scott pour briser le long silence qui s’était installé et qu’il trouvait de plus en plus lourd. Je souris en coin. « T’as pas idée… » Je me vois la prendre dans mes bras, la serrer aussi fort que je le peux, l’embrasser et lui dire à quel point je l’aime. Nous pourrons commencer notre vie tous les deux, nous marier et vivre ces rêves que nous partageons. La guerre est finie pour moi, et je ne retournerai jamais sur le terrain. Malgré les longues années passées là-bas, je parie que ma pension ne sera pas terrible, même avec mes blessures. Lucy n’a pas eu le temps de répondre à ma dernière lettre, et je n’ai rien reçu de sa part suite à mon télégramme. Peut-être qu’elle a pris peur. Peut-être qu’elle ne veut pas d’un fardeau tel que moi. « Et si elle ne venait pas ? » je demande finalement, inquiet. Qu’elle ne soit pas au port à notre arrivée serait pire que tout. « Dis pas n’importe quoi. Elle sera là. Ta belle gueule est intacte, alors t’as rien à craindre. » Riant, Scott m’assène une tape encourageante sur l’épaule, provoquant une vive douleur dans tout mon dos. Je retiens un hurlement et pas mal d’insultes alors que mon camarade se fond en excuses, essayant de réprimer plus de rires.
Le navire arrive bien plus tôt que prévu au port. Lucy ne sera sûrement pas présente. Je tente de cacher ma déception pressentie derrière la joie de rentrer au pays pour de bon. J’ai les traits tirés, fatigués ; impossible de dormir cette nuit. D’un pas tranquille, je descends sur le ponton, mon sac à la main. Gardant un brin d’espoir de voir apparaître ma petite blonde, mon regard glisse sur chaque tête, la cherche. Elle apparaît subitement juste là, devant moi, essoufflée. Une seconde plus tard, la jeune femme capture mes lèvres et moi son corps entre mes bras, lâchant toutes mes affaires instantanément. Ses larmes venant mourir au coin de sa bouche rendent le baiser salé ; un goût de soulagement qui n’est pas désagréable. Mon cœur explose dans ma poitrine, je me sens presque tremblant lorsque je réalise véritablement ces retrouvailles. Elle m’a manqué. Elle m’a tant manqué. « Je t’aime. » dis-je à mon tour avant de récupérer ses lèvres. Je ne remarque même pas le crépitement d’un grand flash près de nous au moment où le photographe appuie sur le bouton de son appareil pour nous immortaliser. Je ne lâche pas Lucy pendant de longues minutes. Je retiens mes propres larmes, la gorge serrée. « Je suis là. C’est terminé. » je murmure avec un sourire, sans trop savoir si je le dis pour elle ou pour moi qui peine à croire à cette réalité. Mes jambes me semblent soudainement si fragiles. Toute la pression retombe tout à coup et me donne envie de m’écrouler sur place. Sept années viennent de quitter mes épaules. Pendant quelques secondes d’un épuisement sorti de nulle part, je m’appuie sur Lucy pour rester debout. « Viens, partons d’ici. » dis-je avec un signe de tête indiquant la sortie du port. Je n'ai qu'une envie, c'est d'avoir un toit sur la tête, la présence réconfortante de ma belle près de moi et, dans l'idéal, une immense tasse d'un vrai bon café. Mais avant de nous mettre en route, je reprends subitement ; « Oh, attends. Tiens. » Je sors d'une poche de ma veste le collier que Lucy m'a donné et le loge au creux d'une de ses mains. Il n'était pas question de le laisser là-bas. [/color]